Nasrin Sotoudeh est avocate. Avocate et emprisonnée pour avoir exercé son métier.
13/11/2020 - 10 min. de lecture
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Soumise à la procédure des tribunaux révolutionnaires iraniens, elle a dû recopier sa sentence à la main : sept ans et six mois de prison pour "collusion en vue de nuire à la sécurité nationale", 74 coups de fouet pour être apparue sans voile en public, un an et six mois de prison pour "acte de propagande contre l’État", sept ans et six mois de prison pour "appartenance à un groupe illégal", trois ans de prison et 74 autres coups de fouet pour diffusion de fausses informations, deux ans de prison pour trouble à l’ordre public et douze ans de prison pour avoir encouragé la "corruption" et la "dépravation".
33 ans et demi de prison au total : une condamnation à vie donc.
À l’origine de ces peines dont la démesure trahit l’injustice, son action pour la défense des droits fondamentaux - notamment ceux des femmes.
À l’origine surtout, un ensemble normatif basé sur la charia – dont le Code de criminalité islamique et lois pénales islamiques - incompatible avec le respect des droits fondamentaux, comme l’a d’ailleurs fermement relevé la Cour européenne des droits de l'homme : "la Cour reconnaît que la charia, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques. La Cour relève que, lues conjointement, les déclarations en question qui contiennent des références explicites à l’instauration de la charia sont difficilement compatibles avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention, comprise comme un tout. Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme, et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique, et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses" (CEDH, Arrêt Refah Partisi c. Turquie, 31 juillet 2001).
En Iran, depuis la Révolution de 1979, la République Islamique impose le port du voile aux femmes à partir de l’âge de 7 ans.
Les femmes qui ne portent pas le hijab en public – les "bi-hijabs" - sont pénalement sanctionnées : "les femmes qui se présentent dans les lieux publics et sur les routes sans porter le hijab islamique sont passibles d’une peine de dix jours à deux mois d’emprisonnement ou à une amende de 50 000 à 500 rials" (Code pénal islamique, art. 638).
La police des mœurs surveille l’ensemble de la population féminine, soit 40 millions de femmes et de filles, et s’assure du respect du port du voile.
Même lorsque les femmes couvrent leurs cheveux d’un foulard, elles peuvent encore être considérées en infraction à la législation sur le voile obligatoire si quelques mèches dépassent ou si leurs vêtements sont jugés trop colorés ou trop près du corps.
Autant d’appréciations subjectives qui ouvrent évidemment la voie à des abus d’autorité et des violences discriminatoires.
En 2017 et 2018, Nasrin Sotoudeh a défendu plusieurs femmes qui ont enlevé leur voile en public, "les filles d'Enghelab" ("révolution" en persan), actrices du mouvement de désobéissance civile initié par Vida Movahedi le 27 décembre 2017. Cette jeune mère de 31 ans était montée sur une armoire électrique située en face de l'Université de Téhéran, la tête nue, agitant un foulard blanc noué autour d'un bâton en opposition au port obligatoire du voile. Une contestation aussi inédite que courageuse : "Vida est restée presque trente minutes sans voile avant qu'on ne l'arrête. Comme c'était la première, les forces de l'ordre ne savaient pas comment réagir", expliquait alors Nasrin Sotoudeh. Vida Movahedi était arrêtée et condamnée à une amende.
Cependant, son action isolée se transformait rapidement en mouvement général et était relayée par de nombreuses femmes, bravant l’interdit en dévoilant leurs cheveux.
Des hommes se joignaient également à la contestation en brandissant, eux aussi, des voiles au bout de bâtons.
En suite de ce premier soulèvement populaire, des interpellations et condamnations massives intervenaient pour juguler cette revendication des droits les plus élémentaires.
L’une des clientes de Nasrin Sotoudeh, Narges Hosseini, était arrêtée le 29 janvier 2018, accusée d’"avoir paru en public sans le hidjab", d’"avoir fait un acte haram", c’est-à-dire illégal selon la charia, et d’"avoir encouragé à la corruption".
L’ajout de cette dernière accusation n’est pas anodin.
En effet, alors que le non-respect du port du hidjab en public fait encourir une peine de prison maximale de deux mois, l’incitation à la corruption, elle, peut valoir jusqu’à dix ans de prison.
Une très lourde peine témoignant de la détermination des autorités iraniennes à endiguer la vague contestataire visant le port obligatoire du voile, quitte à tordre le bras des lois sous couvert de qualifications juridiques artificielles et ineptes relevant de la "sécurité nationale".
Et en la matière, les choix et l’imagination ne manquent pas : corruption, espionnage, propagande, incitation à la débauche, prostitution...
Le mercredi 21 février 2018, c’est Shaparak Shajarizadeh qui était appréhendée alors qu'elle agitait son voile blanc devant les passants. Elle était immédiatement arrêtée et conduite au centre de détention de Vozara, à Téhéran, pour y être interrogée par des agents du renseignement iranien : "ils m'accusaient d'être une espionne et de propagande contre l'État. Ils étaient agressifs. Ils m'ont insultée et m'ont violemment battue. Je leur répondais de ne pas se comporter ainsi face à une femme". Shaparak Shajarizadeh était libérée sous caution au bout d'une semaine, puis de nouveau arrêtée à deux reprises. Sa dernière libération, en mai 2018, était due au combat sans relâche de son avocate Nasrin Sotoudeh, arrêtée à son tour en juin 2018.
Dans le même temps, l’Ayatollah Khamenei réaffirmait qu’il était inconcevable d’assouplir la loi sur le port du voile islamique: "Avec le hijab, l'Islam a fermé la voie qui entraînerait la femme sur un chemin déviant", le dirigeant opposant le "modèle" de la femme occidentale qui "se caractérise par la séduction des hommes et la nudité", quand "la femme musulmane est celle qui fait preuve de foi et de chasteté".
Sans commentaire.
Début 2019, Vida Movahedi réitérait son opposition au port obligatoire du voile en apparaissant tête nue au sommet du dôme au centre de la Place Enghelab, agitant à bout de bras son voile et des ballons rouges. Elle était une nouvelle fois arrêtée, poursuivie pour "incitation à la corruption et à la débauche", et "avoir encouragé à la corruption et la prostitution en levant son voile". Elle était condamnée à un an de prison le 2 mars 2019.
En 2018 et 2019, au moins 112 femmes étaient arrêtées et/ou détenues en raison de leur participation à des manifestations pacifiques contre le port obligatoire du hidjab.
Au-delà de la problématique du port obligatoire du voile, déjà tellement lourde de sens, c’est un système totalitaire et une justice arbitraire que dénonce Nasrin Sotoudeh.
En témoigne son combat contre les lois interdisant aux personnes accusées d'infractions relevant de la sécurité nationale - et donc, également, les bi-hijabs - de recourir à l'avocat de leur choix, c’est-à-dire de pouvoir bénéficier des droits de la défense les plus basiques, et in fine du droit à un procès équitable.
En 2015 déjà, Nasrin Sotoudeh dénonçait les méthodes utilisées par le régime iranien dans le film "Taxi Téhéran" de Jafar Panahi : "ils font en sorte que nous sachions qu’ils nous surveillent. Leurs tactiques sont évidentes. Ils te créent un casier politique. Tu deviens un agent du Mossad, de la CIA, du MI6. Ensuite, ils ajoutent une affaire de mœurs. Ils font de ta vie une prison. Tu es sorti, mais le monde extérieur n’est plus qu’une grande prison. Ils font de tes meilleurs amis tes pires ennemis. Il te reste à fuir le pays ou alors à prier pour retourner au trou. Donc il n’y a que ça à faire : ne pas s’en faire !".
Car entre les emprisonnements et les châtiments corporels successifs s’immisce une véritable entreprise de terreur et d’intimidation.
Emprisonnée depuis 2018 pour avoir exercé son métier en défendant les contestataires d’un régime totalitaire, Nasrin Sotoudeh a entamé le 11 août 2020 une grève de la faim pour obtenir, depuis sa geôle, la libération des prisonniers politiques dans son pays.
Compte-tenu de son état de santé préoccupant, elle a, le 7 novembre dernier, "été relâchée de façon temporaire avec l'aval du procureur chargé des prisons des femmes" (Agence Mizan Online).
Nous apprenons aujourd’hui que Nasrin a contracté la Covid en prison, alors même que de multiples alertes ont été données depuis plusieurs mois sur les conditions de détention favorisant la propagation du virus et sur le nombre de ses codétenues d’ores et déjà malades.
Au plan international et depuis 2019, plusieurs organisations, dont l’ONU, appellent à sa libération immédiate : "les avocats jouent un rôle essentiel dans la protection des droits de l'homme. Nous exhortons les autorités iraniennes à libérer tous les avocats arbitrairement détenus pour leur travail de défense des droits juridiques et humains des Iraniens, et à permettre aux avocats d'entreprendre leur travail sans crainte d'être arrêtés ou intimidés par l'État" (Déclaration de l’ONU de mars 2019).
Malgré ces condamnations internationales et l’indignation générale, les représentants d’Ali Khamenei, Guide suprême des mollahs, continuent activement leur répression contre les femmes en Iran, toujours sous le prétexte, si cher aux régimes totalitaires, de "sécurité nationale".
"Selon l’ordre émis par le commandant en chef des forces de sécurité de l’État, l’un des points critiques que la police doit prendre en compte dans l’accomplissement de ses missions est de s’occuper de combattre le vice selon la charia", a déclaré le représentant de Khamenei dans la province de Khorassan-Razavi, Ahmad Alam ol-Hoda, à la prière du vendredi 23 octobre 2020.
Il encourageait les forces policières à une répression sans faille au nom de l’ordre social et de la sécurité : "l’axe de responsabilité de la police est de maintenir l’ordre et la sécurité. Si les courants de luxure sont discutés en termes positifs dans la société, il n’y aura pas de sécurité ni d’ordre dans cette société" (Agence ILNA – 19 août 2020).
Parallèlement, Falahati, représentant de Khamenei dans la province de Guilan, félicitait les forces policières pour avoir apporté leur soutien aux forces de "promotion de la vertu et de la prohibition du vice" : "la révolution a été créée pour assurer la sécurité des croyants… Nous ne devons pas être indifférents aux contrevenants. Nous devons plutôt leur interdire le vice ou les dénoncer au pouvoir judiciaire et à la police" (Agence Mehr – 23 octobre 2020).
Ghorban-Ali Dorri Najafabadi, représentant d’Ali Khamenei dans la province de Markazi et imam du vendredi de la ville d’Arak, incitait purement et simplement à la dénonciation massive et au harcèlement des femmes dans la rue : “L’avertissement verbal n’est pas un crime, mais le devoir de chacun” (Agence Mehr – 23 octobre 2020).
Si l’ONU rappelle très régulièrement l’Iran à ses obligations internationales en matière de droits fondamentaux, force est malheureusement de constater que ces interpellations sont totalement ignorées.
Et pour cause.
La difficulté majeure est que l’Iran adopte vis-à-vis de la communauté internationale un comportement d’une déloyauté et d’une hypocrisie flagrantes. D’une part, en soumettant la ratification des conventions internationales à des conditions incompatibles avec leur but même. Ainsi, l’Iran conditionnait-elle son adhésion à la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes de 1979 à deux réserves : l’applicabilité des seules dispositions de la Convention compatibles avec la charia, et sa non-soumission à la Cour Internationale de Justice dans le cadre de l’exécution de cette Convention. Autant dire que ces réserves – outre qu’elles sont constitutives d’une violation de la Convention de Vienne sur les Traités internationaux – privaient la Convention de toute efficacité juridique et de toute force contraignante.
D’autre part, en s’affranchissant de l’exécution des conventions d’ores et déjà ratifiées. Car l’Iran a – certes avant de devenir une République islamique – voté en faveur de la Déclaration de 1948 et adhéré aux deux Pactes de 1966 : le Pacte international sur les droits civils et politiques et le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels.
Cependant, les instruments internationaux n’étant pas self-executing en Iran, il est aisé pour cette dernière de les ignorer dans la mesure où ils ne satisfont pas au droit islamique.
En résultent des violations continues et répétées des droits fondamentaux, violations qui démontrent l’impuissance - ou le manque de volonté ? - de la communauté internationale.
La résolution prise le 19 novembre 2019 par la Fédération Internationale pour les Droits Humains – FIDH – relative aux "violations graves et systématiques des droits humains en Iran" donne, au choix du lecteur, vertige ou nausée - et il ne s’agit que des chiffres "officiels" : 2 femmes condamnées à mort par lapidation en 2018 ; 567, 507 et 256 personnes exécutées respectivement en 2016, 2017 et 2018, dont des personnes condamnées pour "insulte au prophète de l’Islam" et des mineurs ; 85 mineurs dans le couloir de la mort en 2018 ; des condamnations judiciaires massives à des châtiments corporels (amputations, lapidations, arrachements des yeux, flagellations, tests de virginité) ; outre les nombreuses morts douteuses maquillées en suicide avec interdiction de pratiquer une autopsie et enterrement immédiat (tel fût le cas de Kavous Seyed-Emani, écologiste canado-iranien dont la famille n’a pu récupérer la dépouille qu’à ces conditions).
Démonstration est faite que le combat de Nasrin Sotoudeh pour le respect des droits et libertés fondamentaux est capital.
Démonstration est faite également que le soutien et l’action de la communauté internationale demeurent indispensables et doivent encore s’intensifier.
"Si tu veux embellir ce monde pour autant que l’éternité,
Dis au vent d’écarter ton voile de ta face, pour un instant.
Si tu veux abolir la loi qui rend ce monde périssable,
Crève l’écran de tes cheveux : il s’en répandra mille vies.
Le vent et moi sommes deux gueux, des vagabonds, des inutiles.
Nous sommes enivrés tous deux par ton parfum et par tes yeux".
L’odeur de tes cheveux - Chams ad-Din Mohammad Hafez-e Chirazi – Poète persan – XIVe siècle.
13/11/2020