Numérique : dé-valisons pour ne pas être dévalisés !
01/05/2021 - 3 min. de lecture
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Thibault Lanxade est Président Directeur Général du Groupe Jouve.
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Le contexte de la crise COVID19 a placé l’expression « souveraineté numérique » au cœur du débat public. Nous n’en avions jamais autant parlé, dans tous les milieux économiques et sociaux et sur toutes les rives politiques.
Ce surinvestissement langagier intervient alors même qu’en parallèle la réalité de cette souveraineté numérique devient de plus en plus évanescente. De ce point de vue, cette expression emprunte de plus en plus les caractéristiques du « mot-valise », du standard commode derrière lequel tous les intérêts se réfugient sans en mesurer pour autant ni la portée réelle ni les exigences concrètes.
Dans cette situation de crise, nous devons relever le défi impérieux de « dé-valiser » cette souveraineté numérique !
Ce que nous avons observé sur le déploiement du numérique en santé pendant cette crise, illustre parfaitement notre situation très ambivalente. D’un côté, le Gouvernement promettant le recours aux outils numériques et d’un autre côté, l’odyssée de « Stop COVID ». Cela a conduit à donner l’image d’un pays bloqué dans une approche réglementariste : alors même que le RGPD permettait d’avancer, nous nous sommes perdus dans des discussions à n’en plus finir. Un débat similaire serait-il en train de se produire au moment où s’engage un processus vaccinal si vital pour l’avenir de notre pays ? Une nouvelle fois, nous voyons poindre le même risque vis-à-vis des outils numériques adjuvants à la vaccination : beaucoup d’incantations et peu de réalisations effectives.
En parallèle, nos concitoyens n’ont en rien limité leurs souhaits d’un recours croissant aux outils numériques en santé et, plus largement, dans leurs vies quotidiennes. Ils se tournent donc, de manière utilitariste, de plus en plus largement vers l’innovation numérique venue des Etats-Unis et de Chine. Nous devons donc urgemment « dé-valiser » l’idée de souveraineté numérique, faute de quoi l’Europe en serait dévalisée au premier sens du terme.
Quel risque véritable ? D’ici à quelques années, c’est, le spectre d’une relégation numérique complète de la France et de l’Europe. L’émergence d’un « Netflix de la santé » par lequel les Français les plus favorisés – et les plus ouverts à la mondialisation numérique – auraient accès à une batterie d’algorithmes essentiels, nous rendraient non seulement dépendants à des outils externes mais plus grave, cela viendrait altérer les principes de solidarité fondant notre socle de protection sociale.
Dans son projet présidentiel de 2017, Emmanuel Macron avait repris l’idée de créer au niveau de l’Etat une métaplateforme numérique, une « plateforme des plateformes » qui transforme les principes d’organisation et les modes d’action de l’État et qui, à l’image des grandes entreprises du numérique – principalement les GAFAM -, mette en place des dispositifs d’intermédiation permettant de faciliter les échanges d’informations ainsi que la production de biens et services. A cette métaplateforme, d’autres plateformes satellites innovantes, issues du monde bouillonnant du numérique doivent pouvoir s’agréger pour servir l’intérêt général. Force est malheureusement de constater, en ce début d’année 2021, que l’écart est très grand entre l’intention et sa réalisation. L’objectif était alors double : d’une part accélérer la révolution numérique en partant du principe que les flux d’intelligence et de créativité se situent désormais dans la « multitude », c’est à dire davantage à l’extérieur qu’à l’intérieur des organisations ; d’autre part, stimuler l’engagement citoyen, qui favorise et utilise l’innovation du plus grand nombre, qui garantisse des ressources accessibles à tous.
Aujourd’hui il n’en est rien !
Nous sommes désormais face au mur ! Cette souveraineté numérique française ne peut plus être pensée sans être portée au niveau européen. Pour être palpable par nos concitoyens, la révolution numérique doit pouvoir s’incarner dans des transformations du quotidien mais aussi dans la mise en œuvre d’un projet structurant et mobilisateur en termes de souveraineté numérique. Sortir du mot-valise pour passer à la souveraineté réelle, française et européenne.
Fixons-nous dans un premier temps des objectifs pragmatiques. Lançons dès maintenant un grand programme européen sur la mobilisation des outils numériques face à la crise COVID19. Engageons-le avant la fin de ce premier trimestre. Mettons-le en œuvre avant la fin de ce semestre.
Ce ne serait certes qu’un premier pas. Mais nous commencerions déjà à sortir un peu du mot-valise.
01/05/2021