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Christine de Langle est Rédactrice en Chef adjointe de Lumières Internationales Magazine, Historienne de l’art et Fondatrice d’Art Majeur.
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La question des ouvertures d’établissements culturels ouverts au public est un feuilleton passionnant ! Jugez plutôt.
On a d’abord eu la fermeture de tous les musées, puis on a découvert que les galeries d’art restaient ouvertes, car ce sont des lieux de commerce. Celles-ci viennent de fermer à cause des nouvelles mesures sanitaires. Mais les maisons de vente aux enchères restent ouvertes, à la grande fureur des galeristes qui crient à la discrimination. Ubu n’est pas mort, pensez-vous ? Si Kafka n’est peut-être pas très loin, l’Administration est toujours là et pense à tout à votre place. Si celles-ci sont ouvertes et celles-là fermées, c’est une question de rattachement administratif : les maisons de vente aux enchères sont rattachées au Ministère de la Justice et les galeries d’art au Ministère de la Culture. Une question d’influence réussie pour défendre ses intérêts ? Un ministère qui répond et l’autre non ?
Où que l’on se tourne, il est question de marché, à tout prix préserver le marché de l’art et favoriser les transactions pour faire vivre les galeries mais aussi et surtout les artistes présentés.
L’art vu uniquement par le prisme du contemporain et de sa valeur marchande ? Mais bientôt, nous n’aurons même plus besoin d’œuvres d’art. Les tendances actuelles du marché évoluent vers les œuvres virtuelles qui s’arrachent sur la toile à des prix faramineux. Depuis l’émergence des NFT (Non Fugible Token) ou jetons non fongibles, ces actifs 100 % virtuels permettent d'authentifier des œuvres d'art en les inscrivant dans une blockchain, un registre décentralisé et infalsifiable. Ce procédé de tokénisation, qui consiste à encoder l'œuvre et son empreinte numérique dans un registre blockchain, entend révolutionner le marché de l’art. Récemment, un NFT réalisé par l’artiste américain Beeple a été vendu aux enchères pour la sa somme de 69,3 millions de dollars. On comprend mieux que les maisons de ventes aux enchères veuillent rester ouvertes !
Pendant les premiers confinements, on a beaucoup parlé de "Zoom fatigue". Puis, on s’est habitué tout en constatant une souffrance psychologique de plus en plus grande par cette absence de liens avec le monde physique (personnes et objets). Les musées se sont adaptés et ont augmenté considérablement leur offre internet. Une des plus sympathiques et conviviales est celle de la Frick Collection à New York, "Cocktails with a Curator". Un conservateur vous propose le commentaire savant d’une œuvre de son choix qu’il accompagne d’un cocktail qui lui semble particulièrement adapté avant de trinquer à votre santé ! La recette du cocktail vous est même proposée sur le site du musée. Une manière de célébrer un lien particulier qui unit l’amateur d’art et l’œuvre qu’il "déguste".
Que nous manque-t-il quand nous n’avons plus accès aux œuvres d’art ? Et que venons-nous chercher quand nous déambulons dans les salles d’un musée ou d’une exposition ? Loin de balayer la question d’un revers de main, essayons d’y voir plus clair. Commençons par un réflexe primaire qui fait désirer ce dont on est privé. Interrogeons-nous ensuite sur notre rapport à l’œuvre d’art. Que venons-nous chercher ? Du plaisir (Poussin parle de "délectation"), des souvenirs, de la connaissance, des émotions partagées, une autre notion du temps, une pensée libre et personnelle. Quand Kandinsky parle de la peinture, il décrit "une puissance dont le but doit être de développer et d’améliorer l’âme humaine".
Cet accès aux œuvres d’art nous rappelle ce que nous venons chercher inconsciemment, un lien avec d’autres époques, d’autres systèmes de pensée, un témoignage charnel de ce qui fut les passions, les recherches, les questionnements d’une vie. Derrière l’œuvre, l’artiste nous regarde et nous interroge. Et toi, qu’en penses-tu ? Qui es-tu ? Que désires-tu ? Voilà pourquoi, bien souvent, l’œuvre d’art agit tel un miroir ; elle est le miroir de nos craintes et de nos attentes, un face-à-face intime et unique qui nous révèle la profondeur de notre quête. L’exigeant Cézanne le savait bien: " je veux que la fréquentation d’un maître me rende à moi-même, toutes les fois que je sors de chez Poussin, je sais mieux qui je suis".
Nous sommes tous des amateurs d’art !
03/04/2021