Pourquoi faut-il des Chefs ?

01/09/2021 - 12 min. de lecture

Pourquoi faut-il des Chefs ? - Cercle K2

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Marin pendant 38 ans, l'Amiral Olivier Lajous a commandé trois navires de combat, participé à de nombreuses opérations extérieures, (Liban, Iran-Irak, Afghanistan, Tchad-Libye, Yémen-Erythrée) et été DRH de la Marine Nationale. Élu DRH de l'année en 2012, il a ensuite été Président du Directoire de BPI Group de 2018 à 2019.

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D’aucuns prônent un monde sans chefs qui serait plus favorable au développement de l’intelligence collective. Il apparaît cependant que, dans la plupart des cas, lorsque vous laissez quelques temps un groupe sans chefs, les meilleures volontés et les énergies les plus fortes s’étiolent, laissant s’exprimer les conflits entre égo, avant le plus souvent de basculer dans la violence ou le désespoir. Il y a de fait dans toute société autant d'éléments de discorde que de membres, car chacun y vit avec toutes les limites de son seul regard et tous les diktats de ses pulsions. Rien n’est plus violent qu’une société dans laquelle chacun pense que la liberté est sans limites. Il n’y a pas de liberté sans un juste équilibre entre droits et devoirs.

Fussent-ils généreux et désintéressés, les dévouements qui ne sont pas réunis autour d’un même sens aboutissent fatalement à un échec. Plus les membres d’une équipe sont des personnalités fortes et généreuses, plus il leur faut des chefs pour canaliser leurs énergies, les orienter vers des objectifs précis et les aider à synchroniser leurs actions. Sinon c’est l'éparpillement des forces, la dispersion des efforts et, parfois, ces actes égotiques insupportables, sans souci du voisin, qui ont pour effet de compromettre l'harmonie, la performance et la sécurité de l'ensemble.

Cependant, un chef, si bien doué soit-il, ne peut tout savoir, tout connaître ni tout voir. L'ardeur que tous les équipiers mettront au travail en commun sera proportionnée au sentiment qu'ils auront de leur autonomie et de leur responsabilité dans l'œuvre à réaliser au sein de l’équipe. Mais, attention, il y a une conception dangereusement fausse de l'équipe : celle qui tend à faire d'elle un absolu niant le besoin de chefs. La plupart des sociétés ont pour base une hiérarchie, une autorité légitime dans son origine (élection ou nomination), dont l'exercice se tempère par un esprit d'équipe bien compris qui lie les chefs à leurs équipes tout en leur confiant l’entière responsabilité juridique donc pénale des actions menées.

Le rôle du chef ?

Il ne faut pas s'imaginer qu’être chef est facile. Être chef suppose une culture de la relation qui conduit à comprendre les replis les plus intimes de l'âme humaine, la sienne et celle des autres.

Être chef ne consiste pas à rassembler autour de soi des adhésions sentimentales ou des intérêts.

Être chef exige essentiellement de savoir faire travailler ensemble des individus, de reconnaître les capacités de chacun et de les encourager à être autonomes et responsables. À l’image d’une chaîne et de ses nombreux maillons, toute organisation n’a de force que celle de son maillon le plus faible : "il n'y a pas de tâche inférieure, et pas d'être inférieur, mais ce qui est inférieur, c'est d'accomplir mal sa tâche" (Charles Péguy).

Le chef n'est dans son rôle que s'il agit non pas pour son seul plaisir, même s’il est très important qu’il soit heureux dans son rôle, mais prioritairement pour le bien collectif et la solidité de la chaîne. Il ne se sert pas des personnes de l’entreprise, il les aide à se mettre au service d’une cause qui les dépasse, lui, comme eux. Son autorité est liée à l'existence et à la conscience de cette mission qu’avec l’équipe ils portent collectivement.

"Pour venir à bout des choses, le premier pas est de les croire possibles", disait Louis XIV. Être chef c’est croire. Mais il ne suffit pas de croire, il faut aussi faire partager son enthousiasme. "La force vive d'une armée ne croît pas en raison du nombre des soldats et des moyens matériels, mais bien plus en raison de l'esprit qui l'anime" (Maréchal Hubert Lyautey). Ceci est vrai pour tout groupe humain, quel qu'il soit. Créer un climat de confiance et de courage en mobilisant sur le sens est l'un des aspects les plus importants du rôle des chefs.

L'ascendant moral des grands chefs vient de la grandeur de leurs visions. L'homme a besoin de larges horizons ; il étouffe dans la mesquinerie. "Aux officiers qu'il soit demandé, avant tout, d'être des convaincus et des persuasifs, osons dire le mot, des apôtres doués au plus haut point de la faculté d'allumer le feu sacré dans les jeunes âmes, ces âmes de vingt ans prêtes pour les impressions profondes, qu'une étincelle peut enflammer pour la vie, mais qu'aussi le scepticisme des premiers chefs rencontrés peut refroidir pour jamais" (Maréchal Hubert Lyautey.) Un chef sceptique, quelle que soit la forme de son scepticisme, élégante ou cynique, est un briseur d'élan pour lui-même et pour les autres. Le timide qui manque d’audace aura du mal à mobiliser les talents, autant que l'audacieux ou l’orgueilleux sans idéal, uniquement soucieux de lui.

Ainsi, le chef est celui qui dégage des moindres événements tout ce qui peut en être tiré de favorable et ne se laisse abattre ni par la contradiction, ni par l'insuccès. Le premier mouvement lorsqu'un événement fâcheux arrive est le plus souvent de se plaindre ou de se mettre en colère. Que d'énergie gaspillée ! Le mieux est d'envisager froidement la situation et de se dire : "comment m'y prendre pour transformer cet ennui en avantage ?". Même si l'on ne voit pas la solution immédiatement, le fait de réagir positivement constitue sans aucun doute la meilleure attitude. Cela demande du courage, comme le disait Sir Winston Churchill : "le succès n’est pas final ; l’échec n’est pas fatal. C’est le courage de continuer qui seul compte".

 

Qu’est ce qui fait qu’un chef est reconnu ?

L'exercice de l’autorité est une épreuve exigeante, poussant celui ou celle qui s’y consacre au bout de ses capacités de réflexion et d’action.

On entend souvent dire qu’un vrai chef, c'est celui qu'on admire, qu'on aime et qu'on suit :

  • On l'admire parce que l’on reconnaît sa compétence autant que son appétence pour guider l’action collective, ses qualités morales autant qu’intellectuelles, la force de son exemple.
  • On l'aime parce que l’on a confiance en son désintéressement, en son esprit de service ; on sait que, pour lui, chacun compte pour quelque chose et plus encore pour quelqu'un, et c'est pourquoi il peut compter sur chacun.
  •  On le suit parce que sa parole, sa présence, son souvenir parfois même, constituent autant de stimulants. On se sent prêt à s’engager avec lui au service d’une cause qu’ensemble on accepte de porter.

"Ce n'est point avec l'usure de l'habit que disparaît le prestige, mais avec l'usure de l'âme", dit l’abbé Courtois. C'est l'homme ou la femme qui importe dans le chef. Ses qualités se manifestent à l'occasion des actes les plus ordinaires de la vie. C'est le plus souvent d'une somme de toutes petites choses quotidiennes que naît ou meurt l'autorité d’un chef.

Mais précisément, qu’attend-t-on de nos chefs ?

 

L’esprit de décision.

Le plus grand malheur pour un chef, c'est de craindre de parler et d'agir en chef. Quand un chef se laisse aller à oublier sa condition de chef, ses équipes ont beau jeu à leur tour de l'oublier.

Le chef dûment mandaté n'a pas à se faire pardonner son rang de supérieur, pas plus qu'il n'a à mendier l'obéissance. Qu'il dirige sans arrogance, mais qu'il dirige ! Qu'il tienne son rang sans orgueil, mais qu'il s'y tienne ! La carence de l'autorité est autant préjudiciable à une collectivité que son excès.

Quand, par fausse humilité, par peur des responsabilités ou crainte de faire de la peine, un chef hésite à prendre une décision et à faire respecter son autorité, il alimente un état d'anarchie dont lui-même et ses équipes sont les victimes.

Rien n'est plus dangereux pour un chef que l'incapacité à décider. Certes, il faut, avant de décider, procéder à un examen lucide et consciencieux des solutions en présence. Mais vouloir trouver la solution parfaite est une chimère. C'est en ce sens que la décision vaut mieux que la précision, car de la perpétuelle hésitation du chef naît l'inquiétude des collaborateurs. Un homme peut être un savant génial, un technicien remarquable, un philosophe éminent, mais s'il ne sait pas prendre en temps utile la décision qui s'impose et la faire respecter, il n'est pas un chef.

Il doit aussi savoir ne pas s’entêter si la décision prise s’avère non pertinente. L’autorité passe aussi par la capacité à reconnaître que l’on s’est trompé et que l’on en a tiré les enseignements. "Il n’y a aucun mal à changer d’avis… pourvu que ce soit dans le bon sens" (Sir Winston Churchill.) Chez les marins, on sait que naviguer à vue et tirer des bords est la seule bonne méthode pour traverser les tempêtes. Il faut en permanence s’adapter aux conditions de la navigation et seule la mer commande !

 

L’esprit de discipline.

Ce qui rend la discipline évidente, c’est un fort sentiment de l'intérêt commun, de l'œuvre commune. La discipline ne risquera pas alors d'affaiblir les initiatives, bien au contraire.

Être discipliné ne veut pas dire se taire, s'abstenir ou pratiquer l'art d'éviter les responsabilités, mais agir dans le sens des ordres reçus et, pour cela, trouver dans son esprit la possibilité de réaliser ces ordres et dans son caractère l'énergie d'assurer les risques éventuels qu'en comporte l'exécution.

En ce sens, la discipline nous place face à notre liberté, celle de savoir dire non, notamment quand la dignité de la personne humaine n’est pas respectée. L’objection de conscience tout comme la désobéissance sont alors des devoirs autant que des droits inaliénables.

Être discipliné invite à être libre, c’est-à-dire à choisir d’agir dans un cadre respectueux des droits et devoirs de chacun des membres d’une communauté à laquelle on décide d’appartenir. "La véritable trahison est de suivre le monde comme il va et d’utiliser l’esprit à le justifier" (Jean Guéhenno). Ne soyons pas les passagers clandestins de nos vies ! La discipline nous rend libre car elle nous permet de nous réaliser au travers de règles, celles des gestes métiers notamment.

 

Le calme.

Pour garder son calme, il faut avoir pris l'habitude de ne jamais rien dramatiser et, selon la formule du Maréchal Ferdinand Foch, "ne pas prendre au tragique les choses simples, mais simplifier les choses tragiques".

Le chef qui veut être digne de diriger une équipe doit commencer par être capable de se commander à lui-même. Sans maîtrise de soi, personne ne peut prétendre à la maîtrise des choses et encore moins des hommes.

Toute la personne du chef doit dégager une impression de sérénité pour que ceux qui l'entourent se sentent en sécurité. Le moindre signe d'inquiétude, a fortiori d'affolement, peut avoir des répercussions irréparables sur le groupe.

Instinctivement, à l'heure du danger, on regarde le visage du chef ; si l'on surprend chez lui de l'énervement ou de l'angoisse, cette impression se reflète dans la communauté. Un des généraux de Verdun, qui attendait dans son poste de commandement les nouvelles de l'attaque et n’en pouvait savoir que des bribes transmises par téléphone filaire, écrit dans son journal de campagne : "l'inquiétude me dévore, l'angoisse me torture, et pourtant, si je veux conserver mon prestige, faire rayonner la confiance, il me faut offrir aux yeux inquiets qui m'interrogent à la dérobée un masque impassible. Mon geste doit rester sobre, ma voix ferme, ma pensée lucide. Je ne connais pas d'épreuve plus dure, plus décisive, pour la volonté du chef" (Général de division Fénelon Passaga).

Pour rester calme, le chef doit savoir se ménager. Un chef fatigué, fourbu, harassé, excédé, ne saura jamais en capacité de gérer une situation difficile. C'est tout un art que de connaître ses limites et de ne pas donner dès le début toute sa puissance, au point d'être essoufflé au moment où l'on aurait besoin d'un reste de vigueur. Si la santé et la puissance de travail sont au premier rang des conditions requises pour être un chef, il est tout autant essentiel pour lui de savoir prendre du repos. L’Empereur Mongol Gengis Khan disait : "le chef infatigable n'est pas apte à commander". Tous les meneurs d'hommes sentent le besoin de s'isoler pour méditer au calme et se réservent du temps pour élaborer leur action immédiate ou lointaine. C'était ce que le Maréchal Joseph Gallieni appelait "son bain de cerveau". On prend une douche dans le temps de l’action, un bain dans le temps de la réflexion ! Le chef, à force de tout donner, peut s’épuiser rapidement s'il ne songe à son ravitaillement intellectuel et spirituel. Il doit organiser son temps de façon à se ménager quotidiennement au moins une heure de méditation et de lecture. Il doit avoir régulièrement, avec ses amis et ses proches, des réunions qui ne lui apportent pas seulement amitié, amour et repos, mais qui lui permettent surtout d’enrichir ses réflexions. Il doit cultiver sa faculté à créer, imaginer des solutions nouvelles, tenter des expériences, rester ouvert à la richesse humaine, à la diversité et la multiplicité des possibles, sans se laisser enfermer dans leur complexité et encore moins dans des dogmes.

Pour rester calme, il faut que le chef ne se laisse jamais déborder, ni par les occupations, ni par les événements, ni par les hommes et les femmes de ses équipes, ni même et surtout par lui-même. Ce qui fatigue et ce qui énerve, ce n'est pas tant ce que l'on fait que ce que l'on n'arrive pas à faire. Perdre le contrôle de soi est toujours le plus sûr moyen de perdre son autorité sur autrui. Un maintien tranquille, ayant sa source non dans un tempérament flegmatique mais dans une discipline personnelle, exerce sur les gens un rôle apaisant. Un chef énervé cesse de remplir la plus essentielle de ses fonctions qui est d'incarner l'autorité. Le premier qui s’énerve a perdu ! Ce constat doit inciter le chef à résister à la colère et à comprendre que chaque fois qu’il y succombe, il se fragilise en montrant ses limites et, plus dangereusement encore, il engage la sécurité du groupe en l’entrainant dans ses craintes.

 

La lucidité.

Avoir un grand idéal, c'est bien ; mais tout cela n'est rien si celui-ci reste une vue de l'esprit, un vague concept. Il faut que l'idéal s'incarne dans la réalité. Le métier de chef ne convient pas au rêveur qui, vivant dans la stratosphère, oublie d'avoir la tête sur les épaules, les pieds sur terre et le cœur battant.

Chef, c'est un métier qui ne convient pas au pessimiste qui, ne voulant voir que le mauvais côté des choses, des gens et des événements, est incapable de découvrir leurs possibilités cachées. C'est un métier qui ne convient pas plus à l'optimiste que sa candeur parfois naïve met à la merci des charlatans. Le métier de chef ne convient pas enfin à ces bavards verbeux qui croient avoir agi pour avoir beaucoup parlé. En se payant de mots, ils se nourrissent le plus souvent d'illusions.

En France, sous l'influence d’un enseignement exagérément élitiste, l'intelligence n'est plus, pour beaucoup, la faculté de voir le réel, mais la faculté de spéculer et disserter brillamment. D'un homme habile à palabrer on dit qu'il est intelligent. Il imagine des systèmes complexes, il échafaude des hypothèses ; il croit déchoir en allant voir sur le terrain ce qu'il en est. Et pourtant, "le pire dérèglement de l'esprit est de voir les choses comme on veut qu'elles soient, au lieu de les voir telles qu'elles sont" (Jacques-Bénigne Bossuet). Le Maréchal Ferdinand Foch pour sa part disait à ses officiers : "ne vous contentez pas de ce qu'on vous dit : allez-y voir vous-même... Les faits sont là. Il faut les voir. Ils restent. Ce n'est pas avec du sentiment que vous les ferez disparaître".

Avoir le sens du réel, c'est aussi se connaître soi-même, connaître ses possibilités aussi bien que ses limites. Cela fait partie des données du problème et il faut avoir le courage de ce que l'on est avant d'avoir la tentation de ce que l'on veut être. Le goût de l'action fait trop souvent oublier la nécessité de repenser continuellement ses racines, le pour quoi et pour qui de ses actes. On part dans un grand élan puis, faute de temps, absorbé par les tâches venant au jour le jour, on glisse inéluctablement vers l'automatisme et la routine. Pour limiter ce risque, un grand dirigeant entretient à côté de lui un groupe d'hommes et de femmes de méditation chargés de remettre continuellement l'œuvre en cause pour l'entretenir en intelligence et en spiritualité.

Avoir le sens du réel, c'est encore avoir le sens de tout le réel. Certains esprits ont parfois la tentation de se focaliser sur un détail et de ne plus voir que ce détail. Le vrai chef ne perd jamais la vision de l'ensemble ; il garde toujours présente à l’esprit la synthèse dont il a la charge, ce qui lui permet de garder le sens des proportions et de ne laisser à chaque chose que son importance relative. C'est tout un art que celui qui consiste à donner à chaque chose son juste coefficient de valeur.

Avoir le sens du réel, c'est enfin développer en soi ce flair qui permet de voir en un coup d'oeil les nouvelles possibilités qui se présentent pour les utiliser et prendre une décision nouvelle adaptée aux circonstances. On appelle cela l’agilité, mieux encore, l’intelligence de situation.

 

Conclusion.

Au terme de cette réflexion j’espère vous avoir fait partager l’idée que diriger c’est incarner la personne du chef, c’est-à-dire unir les hommes et les femmes de l’entreprise, se mettre avec eux au service de la mission, avoir une âme d’artiste autant que d’entrepreneur, savoir choisir, décider, assumer ses actes, être discipliné, loyal, optimiste, calme, juste et lucide. Un sacré défi à vrai dire !

Amiral Olivier Lajous

01/09/2021

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