Réflexions libres sur la gestion de crise en période Covid-19
28/10/2020 - 5 min. de lecture
Cercle K2对所有发布观点既不赞同也不反对,所有观点态度仅属于作者个人。
Gauthier Delaforge est Officier supérieur au sein du Ministère des Armées, ancien Auditeur de l’École de guerre et Doctorant en Sciences de gestion.
---
Dans la droite ligne de son billet "Tenir la barre face au Covid-19 ; une boussole pour les décideurs"[1] dans lequel Gauthier Delaforge présentait la saturation et la perte d’initiative comme composantes du chaos, l’auteur partage ici quelques éléments de réflexions sur la gestion de crise en période de Covid-19.
La crise pandémique que nous traversons actuellement interroge résolument nos modèles de gestion de crise et de prise de décision. Avec le déconfinement et la reprise d’une partie de l’activité économique à l’été, la littérature s’est enrichie de nombreuses analyses sur la crise et illustre les réflexions en cours. Ainsi, la rentrée de septembre a vu la parution de plusieurs ouvrages allant du témoignage de l’afflux au sein d’une structure hospitalière[2] à l’analyse de la crise sous le prisme de la sociologie des organisations[3].
Les enjeux majeurs auxquels notre société est actuellement confrontée et le caractère non encore terminé - nous en sommes très loin - de la crise pandémique en cours nous poussent à partager plusieurs éléments structurants à conserver à l’esprit.
Humilité et résilience de la Nation
Qu’il s’agisse du chef militaire ou du décideur civil, celui qui a déjà eu à décider dans le brouillard, c’est-à-dire sans maîtriser l’ensemble des critères de décisions, a intimement éprouvé les vertus de l’humilité.
Ce brouillard de la prise de décision vécu pousse en effet à réprimer tout mouvement d’orgueil. Or, devant le flot de prises de position de tout un chacun sur les réseaux sociaux, ou encore en observant les propos parfois hors champ de compétence des experts des plateaux de télévision, rappeler à l’humilité s’avère une impérieuse nécessité. Non qu’il s’agisse ici d’une posture morale, mais la gravité de la crise actuelle nécessite une résilience de la Nation. Or, la résilience est aujourd’hui largement fragilisée par ce manque d’humilité.
Accepter de ne pas savoir ou de laisser à l’autre l’analyse, se placer en expert sur son créneau et non sur celui de son voisin, constituent une urgente mesure d’utilité publique.
Complexité et système de systèmes
La crise du Covid-19 est globale et complexe. Elle touche en effet tous les pans de la société et son caractère éminemment multifactoriel rend les projections peu compréhensibles pour l’esprit humain. À la différence d’une crise "compliquée", c’est-à-dire pour laquelle il convient de résoudre une équation difficile mais qui présente une solution, la crise actuelle s’avère en effet différente par sa nature.
Gérer cette crise, c’est en effet modifier des variables qui constituent autant de leviers, non pas d’un système mais d’un système de systèmes. De cette singularité de la crise naît la complexité qui est celle à laquelle le décideur est confronté.
Ces systèmes constituent de nombreuses entités interdépendantes qui ont chacune leurs caractéristiques propres. De plus, ils sont eux-mêmes potentiellement composés de sous-ensembles innombrables. Ainsi, une décision prise, comme l’interdiction de réunion au sein de l’entreprise, a des conséquences en cascade touchant de nombreux sous-systèmes a priori peu liés entre eux, comme l’économie du sport, le monde aéronautique ou encore le tourisme.
Modéliser ces sous-systèmes s’avère d’une très grande difficulté et la prise de décision est rendue d’autant plus ardue que le décideur ne peut mesurer finement les conséquences de chacun de ses choix.
L’échelle géographique comme clé de lecture structurante
En sus de la complexité et du caractère global de la crise, la lecture de celle-ci à des échelles géographiques différentes est nécessaire. Elle permet en effet de mieux appréhender le phénomène et, par conséquent, favorise la prise de décision. De plus, cette lecture permet d’éloigner ses propres biais qui obscurcissent la réalité. Ce principe de changement d’échelle que chaque géographe met habituellement en oeuvre dans ses travaux est valable pour tout décideur quelle que soit son organisation.
Ainsi, la vision nationale traduite par un ratio malades hospitalisés / lits d’hôpitaux dans les services de réanimation peut s’avérer rassurante, alors que l’observation à l’échelle d’un bassin de population ou d’un département peut montrer une saturation déjà existante de l’offre de soins dédiée. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en mars et avril 2020, une diagonale nord-est / sud-ouest répartissant, d’un côté, des situations de très fortes saturations et, de l’autre, des structures peu sollicitées.
Si l’effet recherché est bien d’éviter les situations locales de saturation ou de les circonscrire à un département, ce prisme de l'échelle géographique s’avère fondamental. Il constitue également une clé de compréhension de la situation pour nos concitoyens et pour les décideurs locaux qui habituellement sont focalisés sur leur niveau de l’échelle géographique.
Variabilité des critères de prise de décision
Enfin, la prise de décision dans cet environnement complexe doit impérativement être effectuée à travers des critères formellement établis qui permettront de pencher pour une hypothèse plutôt que pour une autre.
Ces critères peuvent être sanitaires (préserver les ainés par exemple), économiques, sociétaux, d’ordre public, etc. Les mécanismes de prise de décision militaires mettent d’ailleurs clairement en lumière cette étape incontournable de l’élaboration d’une décision opérationnelle.
Or, par méconnaissance scientifique initiale de la maladie mais aussi suite aux influences de l’opinion publique et des cercles économiques, la priorisation des critères de décision a varié au cours de cette crise. Si certains critères étaient en effet importants au début de la crise, ils ont pu par la suite s’avérer plus secondaires.
Ainsi, en avril 2020, la poursuite de la scolarité des enfants figurait au deuxième rang de ces critères : l’école pouvait se poursuivre à distance sans impact majeur sur nos enfants. Or, l’importance de ce critère a été aujourd’hui revu. Il constitue en effet une des priorités de la prise de décision, car non seulement l’impact fort de la déscolarisation a été observé, mais les connaissances sur la contagiosité de la maladie par les enfants ont évolué. De plus, en parallèle de cette évolution, le critère de la reprise économique est devenu majeure, nécessitant par conséquent le retour au travail des parents.
Réaliser le constat de la variabilité des critères dans cette crise singulière, c’est, en tant que décideur, prendre du recul sur les choix faits. C’est aussi accepter pour le futur que les critères d’aujourd’hui ne seront pas ceux de demain. Et c’est enfin reconnaître que cette variabilité peut aussi brouiller, à juste titre, la compréhension des décisions prises.
Quelles perspectives pour la gestion de crise en période Covid-19 ? Tout d’abord, sous forme de truisme, nous apprenons tous chaque jour un peu plus dans cet environnement complexe et mouvant. Et cela nous permet d’affiner nos outils de réponse à la crise. Une certitude également : seuls de solides mécanismes de prise de décision accompagnés d’une lecture à différentes échelles permettront aux décideurs de garder le cap dans les mois à venir.
---
[1] Lien article Cercle K2
[2] Claudia Chatelus, Stéphane Loignon, Ma guerre du Covid, Équateurs, 2020.
[3] Henri Bergeron, Olivier Borraz, Covid-19 : une crise organisationnelle, Presses de Sc-Po, 2020.
28/10/2020