Systéme bancaire et soutien aux entreprises face à la crise sanitaire et aux enjeux d’avenir

10/03/2021 - 5 min. de lecture

Systéme bancaire et soutien aux  entreprises face à la crise sanitaire et aux enjeux d’avenir - Cercle K2

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Jean-Jacques Robin est ancien Directeur des Engagements de la Banque Populaire Provençale et Corse à Marseille et, aujourd'hui, expert Conseil Entreprise, consultant et formateur bénévole. Jacques Leleon est Président de Wikinova SAS, Conseil en financement de l'innovation et création de Fablabs.

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Les "fondamentaux du financement" resteront-ils les mêmes avant et après la crise sanitaire ou les banques devront-elles faire preuve, elles aussi, d’innovation, y compris en acceptant de prendre davantage de risques pour participer à l’effort collectif ? 

Tribune contradictoire 

Jean-Jacques Robin : 

Jacques Leleon, pour qui le système bancaire devrait faire preuve de plus d’audace face à  cette crise, notamment en faveur  des TPE et PME, me faisait remarquer que les principes de l’analyse économique et financière, n’avaient pas beaucoup évolué depuis nos débuts, dans les années 80.

Néanmoins, m’appuyant sur mon expérience bancaire en matière d’Engagements, je défends  résolument  le respect des "fondamentaux" en matière de crédit aux entreprises, toujours aussi pertinents malgré la crise. 

L’exemple  d’un  endettement public croissant  dont on "fantasme" l’annulation, au moins pour partie, ne saurait remettre en cause le principe selon lequel, dans la vraie vie, "tout  crédit doit  être remboursé", les grands équilibres du bilan et du compte de résultat devant conduire, in fine, l’entreprise à dégager suffisamment de cash par elle-même pour y parvenir, sans oublier aucun créancier.

Ainsi, le juge de paix reste la sécrétion ou non de trésorerie par l’activité qui fait basculer l’entreprise du bon ou du mauvais côté. Les trésoreries perfusées à coup d’endettement n’ont, selon moi, pas d’avenir.

Le soutien dans l’urgence avec la distribution au 22 janvier 2021, par les réseaux bancaires, de plus de 132 milliards de PGE (Prêts Garantis par l’État) à quelques 645 000 entreprises était sans doute nécessaire et paraît indiquer que les banques ont joué le jeu (taux de refus < 3 %), même si plus de 168 milliards restent à distribuer, ce qui semble démontrer non une prudence excessive des banques mais une demande plus faible que prévue, encore qu’il ne soit pas choquant de rester "sélectif" même pour un crédit très bien garanti par l’État…

Reste que ces crédits devront bien être d’une manière ou d’une autre honorés. Le report d’un an supplémentaire du remboursement qui vient d’être décidé ne fera que différer certaines  défaillances. Une annulation de dette ne pourrait intervenir qu’au prix d’un coût supplémentaire pour le budget de l’État (mise en jeu de sa garantie) et non négligeable pour les banques (risque résiduel).

En conséquence, les "pratiques éprouvées et plus classiques" de distribution du crédit (993 milliards d’encours de crédits mobilisés aux entreprises hors SCI à fin décembre 2020, soit + 14,4 % annuel selon BDF) restent le gage de financements sains en adéquation avec les besoins des entreprises, le bilan des banques et donc, ne l’oublions pas, l’intérêt des clients déposants !

La priorité, eu égard aux enjeux assez clairs de notre économie, me semble ainsi plus relever de la nécessaire optimisation du dispositif de financement en fonds propres et en capital risque que d’une problématique bancaire à proprement parler. Les crédits bancaires dont le rôle, certes, peut toujours être accru dans le cadre du Plan de relance, notamment par la voie des  prêts dits "participatifs", ne sauraient suffire.  

 

Jacques Leleon :

Mon expérience de consultant d’entreprises, habitué à rechercher des sources de financements (crédits bancaires, aides et subventions publiques, crédits d’impôts) pour mes clients, me fait voir les choses sous un angle un peu différent… pas forcément incompatible avec les propos précédents. 

Ayant débuté ma carrière à la banque, j’ai bien conscience des contraintes subies par le système bancaire mais, malgré ces contraintes, il me semble que le systéme bancaire devrait prendre une plus grande place dans le financement des entreprises, surtout en période de crise conjoncturelle.

Mon propos est bien de dire ici que l’implication des banques va être essentielle dans la crise que nous traversons et que donc l’attente est forte vis-à-vis de ces acteurs incontournables en matière de financements court mais également moyen et long termes.

Si les fondamentaux doivent être respectés, la méthode d’approche, en temps de crise, mérite d’être adaptée face à une situation totalement nouvelle et imprévisible, y compris dans sa durée.

Il ne s’agit pas de sauver coûte que coûte des entreprises non viables mais bien de sélectionner celles qui doivent l’être absolument, celles qui présentent un fort potentiel et qui participent activement à la transformation nécessaire de l’économie.

Traditionnellement, lorsqu'une entreprise dépose une demande de prêt bancaire, la banque va principalement analyser cette demande à partir du fonctionnement du ou des comptes bancaires, éventuellement regarder la cotation qualité BDF et retraiter le dernier bilan pour analyser la structure financière de l’entreprise. Bien entendu, et fort heureusement, les deux partenaires vont, théoriquement, se rencontrer physiquement et s’en entretenir oralement. 

Pour déterminer l’opportunité d’accorder ce prêt et consentir à son niveau de risque, la banque va, dans un premier temps, calculer différents ratios et indicateurs financiers à partir des seuls éléments en sa possession.

C’est sans doute là que le bât blesse, le recours à l’analyse de simples ratios basés sur le passé et dans le meilleur des cas sur le présent (fonctionnement récent du compte par exemple), le recours également au crédit scoring pour profiter de l’expérience de la banque et prochainement le recours à l’intelligence artificielle peuvent plus ou moins occulter complétement, d’une part, l’aspect purement humain de la relation et, d’autre part, le véritable intérêt économique du projet pour l’entreprise mais également pour la collectivité. La relocalisation, dont on parle tant en ce moment, en est la meilleure illustration : dans les années 80, la France a finalement perdu tout un pan de son économie faute de soutiens financiers, le meilleur exemple étant la conception et la fabrication de machines outils.

Or, la force du banquier est normalement la connaissance approfondie de son client : comment fonctionne ce chef d’entreprise ? Dans quel environnement familial et social vit-il ? Quels sont ses obligations ? Quel est son projet personnel et comment considère-t-il l’avenir de son entreprise ? Comment évolue son marché ? Quel est le niveau de l’effectif ? Quel est le niveau de compétences de ses salariés ? Quelles conséquenses peut avoir un refus du crédit sollicité pour la vie même de ce chef d’entreprise, pour l’entreprise, pour ses salariés, pour l’environnement local... et pour notre économie en général ?

En conclusion, pour ma part, sans renier ses fondamentaux, le système bancaire devrait s’appuyer davantage sur des études prospectives permettant l’anticipation et sur une appréciation plus humaine des réalités vécues au quotidien par les chefs d’entreprises, y compris pour accompagner ceux qui ont une vision en dehors des sentiers battus. 

La banque ne pourra pas échapper à une remise en cause de ses habitudes. Elle devra, elle aussi, et c’est très bien, innover au risque de disparaître dans sa forme actuelle.

Jean-Jacques Robin et Jacques Leleon

10/03/2021

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