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Franck Decloquement est expert en intelligence stratégique, membre du CEPS et de la CyberTaskForce. Il est également enseignant à l'IRIS.
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Au-delà de la crise sanitaire du Covid19, ce sont bien les conséquences directes d’un ralentissement global de nos économies qui inquiètent. Avec en ligne de mire, la peur panique d’une récession mondiale pour l’après crise.
En définitive, la mise en équation des données pour parer à tous les phénomènes non prédictibles est un leurre. Une erreur de perspective diablement humaine. Comme les derniers événements internationaux récents nous l’ont démontré : même les plus grands spécialistes de la prévision et de la gestion des risques globaux (sanitaires, financiers, assuranciels, agences de notation et de cotation, etc.) n’ont su mettre en équation le réel au point de maîtriser en amont ses écueils imprévisibles, et tous les dangers qui s’en dégagent invariablement. Les comportements « prudentiels », sans cesse exhortés par tous les interlocuteurs du tissu économique ou de la classe politique, ne nous garantiront jamais un risque zéro. Il pourra même arriver qu’en certaines circonstances, ils le produiront eux‑mêmes par les effets combinés – et délétères – de la panique et de certaines prophéties auto-réalisatrices. Et dans le contexte de la crise internationale actuelle de confiance, toutes les organisations ont été, peu ou prou, enclines à rationaliser à l’extrême la notion de risque, au détriment de la détection précoce d’une menace bien réelle celle-là. Pandémique en l’occurrence…
Sachons raison garder
Comment surmonter la peur et la sidération causée par le vertige des grands nombres, souvent présent dans les phénomènes épidémiques – d’autant plus quand il s’agit de vies humaines – mais aussi, les risques exponentiels très concrets sur nos existences collectives qui leurs sont souvent corrélatifs ? Constater le caractère exponentiel de ces phénomènes permet néanmoins de les anticiper en amont. Car la pandémie actuelle doit aussi nous obliger à esquisser ce que sera le monde de demain, au prisme des répercussions de la présente crise. Mais également à revoir notre sens de la mesure et celui nos priorités à travers – par exemple – l’émergence de nouvelles méthodes de travail à distance adaptatives, plus « dématérialisées ». Tel est notre responsabilité immédiate, et l’un des défis majeurs qui nous est lancé sur la durée. D’autant plus si, comme la grippe, cette infection devenait elle aussi saisonnière et récurrente…
Si le nouveau coronavirus n’est pas l’un des agents pathogènes les plus mortels sur la surface de notre planète selon de nombreux infectiologues (le Covid-19 reste une forme bénigne d’infection virale dans 80% des cas exprimés), sa létalité telle qu’elle est actuellement perçue à travers les chiffres disponibles n’en reste pas moins impressionnante. Et si l’on est fragilisé d’une manière ou d’une autre par la maladie, certains facteurs médicaux établis (obésité, hypertension artérielle, etc.) ou par les affres de l’âge, on risque les mêmes conséquences qu’avec les pandémies grippales saisonnières.
Endiguer la peur pour mieux redémarrer notre économie
Scientifiquement construite, bien que parfaitement imprévisible et chaotique dans ses conséquences pratiques, la peur panique constitue la matrice originelle d’un nombre conséquent de discours souvent alarmistes, et faisant profession d’affoler la multitude. Prophétisant le plus souvent que nous irions collectivement au « crash », à force de transgresser des limites naturelles de notre monde. Et parmi les maitres mots employés pour surfer sur cette vague du catastrophisme : l’épuisement des ressources naturelles, la démographie mondiale galopante, l’effondrement de la biodiversité, le réchauffement climatique irrémédiable, la multiplication des épidémies infectieuses, et l’extinction de nombreuses espèces animales...
Mais ce qui n’était qu’hypothèses catastrophistes et oiseuses il y a encore peu, a indéniablement fini par prendre corps ces trois derniers mois, nous obligeant soudainement à mettre en pratique confinement, distanciation physique et mesures « barrières », faute de mieux. Peu ou prou, l’ampleur de la couverture médiatique de la pandémie est à ce jour inédite. Et l’on assiste à une sorte de cercle vicieux paradoxal, promoteur d’inquiétude, sous le prisme des formes de de communications politiques et journalistiques mises en œuvre. Rappelons toutefois – et pour mémoire – que la gestion de crise est avant tout l’Art de la proportionnalité dans les décisions. Et quand on met le doigt dans l’engrenage du comptage journalier des morts et des cas de contaminations confirmées, il y a une balance à faire entre l’exigence démocratique de transparence d’un côté (peut-être poussé à l’excès dans la situation présente), et le principe de précaution de l’autre côté. Avec en ligne de perspective, le risque d’encourager une psychose collective induite par cette psalmodie anxiogène hypnotique récurrente, et souvent excessive, sur les chaines toutes infos.
Sauf à mettre le pays totalement à l’arrêt des mois durant, la responsabilité du politique c’est de prendre des décisions sanitaires proportionnées et de savoir parfois « rétropédaler » si nécessaire, pour s’adapter aux réalités qui se font jour en boucle courte. Au risque de produire dans le cas contraire, un choc émotionnel funeste sur la multitude pouvant avoir un impact durable sur le plan de la consommation, et donc de l’économie… L’impact de la pandémie causée par le coronavirus sur notre activité économique et d’ores et déjà sévère. Toutefois, la situation offre aussi l’occasion de réasséner la responsabilité individuelle comme ligne de force, afin de permettre le rebond. Et si l’on s'inscrit dans la durée concernant l’évaluation de la capacité de nos systèmes à être mis en tension pour une longue période, la sortie de cette phase 3 dans la gestion de la crise sera aussi et très probablement une « phase teste » concernant notre capacité de résilience collective. Car la crise présente est une forme de « crash-test » grandeur nature, qui éprouvera indéniablement la solidité véritable de nos fondamentaux économiques et organisationnels.
D’ores et déjà, il est bien loin le temps de l’éloge panégyrique de la « mondialisation heureuse » prompt à la dérégulation tous azimuts de nos échanges commerciaux. Le réel nous oppose en ce sens et pour l’heure, son cruel et sarcastique démenti viral. Mais l’impact de cette décélération générale de l’activité mondiale est d’ores et déjà préoccupant. Nous n’en mesurons cependant pas encore tous les effets systémiques induits. Y compris sociaux et politiques. Gageons qu’il nous faudra désormais et nécessairement vivre avec, afin de nous en relever.
Si l’épidémie passe, nos économies elles ne doivent pas trépasser
Soyons-en certain, celle nouvelle affection d’ampleur planétaire est aussi une significative mise à l’épreuve des préceptes de la globalisation. Les épidémies virales n’ont pourtant pas attendu l’émergence ni même l’imbrication de nos interdépendances économiques pour faire fi des frontières, et causer de nombreux ravages. Généralement le long des principales routes commerciales. De la soie entre autres. Et malgré les efforts collectifs pour endiguer ce fléau, il n’en reste pas moins évident que l’extension accélérée de cette contagion a presque immédiatement été mondiale. Le choc est rude, d’autant plus que la peur du Covid–19 ainsi que les mesures de confinement pour en limiter les effets létaux au sein des populations, ont altéré grandement l’ensemble des comportements de consommation. Réduisant drastiquement le niveau d’activité générale, tout en paralysant les transports et une partie de la production industrielle à travers la planète. L’assèchement des voyages touristiques et l’affaissement des débouchés pour les exportations frappent d’ores et déjà très durement des secteurs entiers, tandis que les interruptions de production laissent craindre des ruptures d’approvisionnements non seulement pour tous les consommateurs du monde entier, mais également pour les industries ayant recours à des pièces détachées et composantes chinoises. Des éléments parfois très difficiles à remplacer dans l’immédiat par d’autres productions, dites « alternatives ».
Vers une nécessaire réadaptation collective face à l’imprévisibilité du risque, pour conjurer la crise de confiance en l’avenir
Nombre de spécialistes s’accordent à dire que l’impréparation patente de nos décideurs politiques peut avoir des effets plus graves encore, que les scories de la maladie elle-même. Mère de toutes les peurs, bien au-delà de sa propagation, seule la notion de « risques exponentiels » dispose du pouvoir évocateur suffisant pour symboliser cette crainte viscérale et anxiogène des effets millénaires de la panique chez l’homme. Car c’est bien entendu les conséquences systémiques très directes de la panique sur nos économies qui inquiètent de prime abord, et mobilise au premier chef toutes les ressources de notre exécutif dans ses prises de décisions actuelles. Avec en ligne de mire, son cortège de répercussions exponentielles pour le moins incalculables sur nos économies interreliées. Au risque d’en voir le poumon financier très rapidement paralysé en cas de mauvais arbitrage sur les priorités. Identique en cela aux effets médicaux pernicieux du virus lui-même, sur notre système pulmonaire.
Mais qu’elle est au demeurant la nature de cette peur plus « dangereuse » encore que le mal viral lui-même ? « Etrange phénomène que la panique qui entérine la décomposition du corps social sans impliquer l’atomisation des individus qui devrait pourtant en résulter. Bien au contraire : la panique est un mode « d’être-ensemble » paradoxal, ou la dispersion rassemble, et ou l’unité de toutes et de tous devient soudain explosive. » La peur de la contagion et des risques exponentiels est une terreur contemporaine ourdie – souvent indicible – aussi répandue que parfaitement méconnue. Il en va de même en matière de viralitée informatique dans nos écosystèmes digitaux « virtualisés ». Une mystique bien concrète du risque mathématique en somme. Car c’est en se servant des lois mathématiques, concernant notamment le concept « d’exponentiel », qu’il est ainsi possible d’envisager les motifs de cette peur irrationnelle – et ceux de sa contagion émotionnelle – fondée sur le constat que nous vivons en totale promiscuité sur une planète aux ressources finies. Tandis que son peuplement lui s’accélère à mesure que nos ressources diminuent inexorablement. Ceci impactant irrémédiablement le climat, nos conditions de survie, et facilitant dans l’interstice la diffusion d’épidémies inconnues à l’échelle mondiale dans des populations humaines de plus en plus nombreuses et précarisées. Les effets funestes de la déforestation n’étant pas l’un des moindres, impliquant une proximité dangereuse avec des espèces animales délogées de leurs habitats naturels, et réservoirs de virus zoonotiques mortels inconnus. Nous en sommes là aujourd’hui.
Bien au‑delà des capacités qui nous sont offertes pour modéliser le réel dans toute sa complexité infinie afin d’y faire face, il n’en reste pas moins que les procédures de prévention nous obligent d’ores et déjà à ne plus considérer nos vulnérabilités comme une fiction. Outre le calcul par le risque statistique, la survenue des nouvelles menaces imprévisibles est un fait avéré dont il va falloir désormais intégrer la réalité concrète, au plus vite. Effet papillon oblige.
Combattre le futur
Dans ce nouvel univers référentiel, le probable est presque toujours certain. Point de garanties, par conséquent, du côté de la gestion analytique prévisionnelle ou du calcul statistique de probabilité des émergences. La théorie des quanta elle‑même n’y suffirait pas… Ici comme ailleurs, seules l’audace et la clairvoyance humaines peuvent encore payer sur la gestion du risque de courte vue. La dimension imprévisible et multidimensionnelle de ces phénomènes hiératiques est devenue une évidence pour chacun d’entre nous. Le SARS-CoV-2 responsable du Covid-19 aura indéniablement su nous en convaincre en quelques semaines à peine, malgré l’extrême petitesse de ses 60 à 140 nm. Sa survenue « chaotique », au sens que lui attribue le physicien René Thom, semble pour l’heure un fait « catastrophiste » établi. Gageons, pour paraphraser le philosophe et polytechnicien français Jean‑Pierre Dupuy que nous admirons, que seul « un catastrophisme éclairé » peut aujourd’hui nous aider à adopter les meilleurs comportements adaptatifs pour l’avenir…
Il en va de notre survie collective.
09/05/2020