Vers un décloisonnement de la santé publique et de la santé au travail
13/02/2021 - 4 min. de lecture
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Chrystelle Lecoeur est Maître de conférences à l'Université de Haute-Alsace (UHA) et Avocate au Barreau de Paris. Kamel Adrouche est responsable juridique au sein de la RATP.
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La santé publique et la santé au travail sont actuellement des enjeux majeurs et prioritaires dans le débat public. La crise sanitaire est passée par là… La préservation et la promotion de la santé sont devenues incontournables. La santé au travail semble être (enfin !) devenue une composante indissociable de la santé publique, dans une logique de performance, la première ayant vocation à être articulée et coordonnée à la seconde.
La prise en charge des problèmes de santé doit être organisée et gérée par la collectivité en lien direct avec la prévention des risques professionnels. La collaboration entre les autorités en charge de la santé publique et celles en charge de la santé au travail n’est plus un objectif théorique cité dans le dernier Plan Santé au travail. Désormais, il a été décliné d’un point de vue opérationnel depuis le début de la crise sanitaire. L’État, les partenaires sociaux, la Sécurité sociale et les organismes et acteurs de la prévention ont participé de concert à sa mise en œuvre effective dans nos territoires.
Certes, le cadre reste contraint. L’impréparation et l’urgence ont engendré des dysfonctionnements notables. Il n’en demeure pas moins que les actions menées ont été ciblées et coordonnées avec des moyens renforcés. L’identification des besoins des salariés et des entreprises au niveau local et les tentatives d’harmonisation des bonnes pratiques des services de santé au travail constituent des démarches positives qu’il convient d’encourager. Elles permettront de poursuivre la déclinaison des prochaines politiques de santé publique sur les territoires, en facilitant la gestion des flux d’informations au sein des entreprises et l’analyse des postes des travailleurs.
Décloisonnement et pluridisciplinarité sont désormais les maîtres mots en la matière. La récente proposition de loi visant à "renforcer la prévention en santé au travail" en date du 23 décembre 2020 milite en ce sens. Elle reprend d’ailleurs pour l’essentiel l’accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020 tout en y intégrant des dispositions nouvelles. Parmi les mesures proposées, il est envisagé de développer les politiques préventives de santé publique dans le milieu professionnel, notamment les campagnes vaccinales ou la lutte contre les addictions. Les services de prévention et de santé au travail, nouvellement institués, pourront participer aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ainsi qu’aux dispositifs d’appui à la coordination des parcours de santé complexes. Le rapprochement entre la médecine de ville et la médecine du travail, avec la possibilité de recourir à des médecins praticiens correspondants, dont le rôle apparaît pour l’heure ambigu, ou encore l’accès au dossier médical partagé par les médecins du travail qui suscite des controverses, illustre tout autant cette philosophie.
Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Tout au long du XXème siècle, la santé publique et la santé au travail ont cheminé parallèlement sans qu’une cohérence générale ait été recherchée. Historiquement, ces deux domaines ont constamment fait l’objet d’un cloisonnement. Les ministères, les administrations et les instances consultatives sont différents. De même, le corpus législatif et réglementaire reste marqué par de profondes dissemblances. Le domaine de la santé au travail se compose de structures multiples et d’acteurs spécialisés qui exercent leur activité en dehors du monde de la santé publique. La plupart des structures étatiques spécialisées, celles des entreprises, la tutelle des médecins du travail se situent, en effet, en dehors du champ couvert par les organismes relevant de la santé publique et n’ont pas d’interactions formalisées avec ces derniers. Au demeurant, la gestion financière des risques professionnels est opérée par une branche spécifique du régime général de la Sécurité sociale, à savoir la branche "accident du travail / maladie professionnelle" (dite AT/MP).
Guidé par la volonté de mutualiser les connaissances et les compétences, un premier rapprochement au moyen d’une intégration progressive de la santé au travail au sein du droit de la santé publique a déjà été entrepris ces dernières années. Il s’est exprimé par la création en 2005 de l’actuelle "Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail" (ANSES), établissement public qui exerce différentes missions en lien direct avec la protection de la santé humaine et animale. Par ailleurs, tous les grands "plans" et "programmes de santé" destinés à préciser les stratégies d’actions comportent désormais un volet consacré à la thématique "santé au travail". Enfin, ce rapprochement s’est opéré avec la prise en charge et la réparation de certains risques dits "collectifs" pour lesquels des fonds d’indemnisation ont été mis en place. On pense notamment au FIVA (pour l’amiante) ou encore à la création, en 2020, du FIVP (concernant les pesticides). Ce mouvement pourrait d’ailleurs s’accentuer avec la création prochaine d’un fonds d’indemnisation des victimes de la Covid-19 (proposition de loi n° 3723 du 5 janvier 2021). Grâce à la mise en place de ces fonds, qui ont pour objet d’octroyer une indemnisation de l’ensemble des préjudices subis, d’une certaine manière, l’État reconnaît indirectement sa responsabilité dans les différentes catastrophes sanitaires. Certains risques dépassent ainsi la sphère strictement professionnelle pour pénétrer la sphère publique.
Aujourd’hui, l’interpénétration des sphères santé publique et santé au travail n’a jamais été aussi profonde. Les entreprises gèrent l’ensemble des "maux" liés à la pandémie et au travail. Elles s’organisent au mieux pour mettre en application l’ensemble des directives de la collectivité et plus particulièrement celles découlant du protocole national sanitaire qui vise à préserver la santé et la sécurité des salariés par la prise en compte de la situation des personnes vulnérables, la mise en place du télétravail et les impacts, la mise en œuvre du chômage partiel, etc.
La crise sanitaire va sans nul doute permettre d’effacer définitivement la frontière qui sépare la santé publique de la santé au travail. Il s’agit de deux thématiques complémentaires qui ne peuvent plus désormais s’ignorer l’une l’autre, à tel point qu’il est à présent difficile de comprendre pourquoi et comment cette distinction a été entretenue aussi longtemps.
Chrystelle Lecoeur et Kamel Adrouche
13/02/2021