[Groupe K2] Les organisations et l’enjeu de la Data : un tournant peu maîtrisé

02/12/2022 - 6 min. de lecture

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Aurélie Sale est Coach Agile chez Renault Digital.

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Les enjeux de la data, la gouvernance des données, le pilotage, la sécurisation… tous ces sujets sont connus et étudiés par l’ensemble des organisations. Mais sont-ils vraiment pris en compte ?  

Tout comme le volume mondial des données, les offres de formation et d’emploi se sont multipliées ces dernières années. Pour les entreprises, l’enjeu n’est donc pas les ressources. La prise de conscience du Data Driven (approche consistant à prendre des décisions stratégiques sur la base d’analyses de données) est également présente dans la majorité des organisations françaises et européennes. Elles savent que l’enjeu est fort. Tout le monde en parle, tout le monde en fait. Avoir un "Pôle Data Scientist" ou une équipe d’expert en data est aujourd’hui monnaie courante. Les entreprises de services numériques (ESN) se ruent sur les profils pouvant être qualifiés de Data Scientist, les offres de conseil se multiplient et les projets abondent. L’objectif est clair : la data va aider l’organisation d’aujourd’hui à devenir celle de demain. Identifier les nouveaux services et les usages, définir les futurs profils de consommateurs, se transformer de vendeur de biens pour devenir une "Tech Company"… Les enjeux business sont connus et l’intérêt des organisations à prendre le tournant de la data n’est plus à prouver. Mais y arrivent-elles ? 

Avant de lancer un projet d’envergure ou d’orienter l’ensemble de l’organisation vers la culture du data driven, les entreprises ont, pour la plupart, le réflexe de réaliser des Proof of Concept (POC / Preuve de concept). Cette bonne pratique permet de vérifier la valeur délivrée par un projet, une équipe. Malheureusement, les POC en lien avec la gestion des données sont rarement transformés en projets pérennes. Les POC sont lancés avec précipitation car les ressources – techniques et humaines – sont disponibles, mais l’écosystème, nécessaire à l’aboutissement d’un projet permettant d’utiliser la data pour développer le business d’une organisation bâtie sur des principes tout autres que le "data driven", est très souvent oublié. Hormis celles construites à partir de ce modèle, les entreprises souhaitant prendre le tournant de la data et bénéficier de l’ensemble des avantages doivent impacter leur organisation et éclaircir certaines zones d’ombre. 

Dans une organisation, quand il est fait référence à la data, le sujet n’est pas simplement la donnée et son traitement. Il s’agit en réalité d’une culture. La culture de la data et comment les données impactent le business, le modèle financier et la gouvernance de l’organisation. Pour prendre ce virage culturel, il faut prendre celui des nouvelles méthodes de travail telle que l’Agilité d’entreprise. Pour que la data science apporte de la valeur à une organisation, celle-ci doit pouvoir prendre en compte des changements rapidement et efficacement. Être résilient, répondre rapidement à un besoin et identifier les améliorations sont les enjeux sous-jacents à celui de la data. Pour y répondre, deux changements structurants sont à mettre en place au sein d’une organisation :

  • Développer la transparence et le droit à l’erreur : Il est encore rare de voir une organisation où les indicateurs sont transmis de la source aux décideurs. Chaque donnée est analysée et revue par de multiples strates avant de servir à une prise de décision stratégique. Or, chaque strate à le syndrome de "l’indicateur pastèque". Très répandu dans les grandes organisations, ce syndrome permet à chaque strate d’interpréter une donnée pour afficher une situation positive, là où la réalité opérationnelle n’est pas au rendez-vous attendu – afficher un indicateur vert alors que le cœur est rouge. Par exemple, une donnée sur la date de livraison de la première étape d’un projet est manipulée et interprétée de façon à laisser penser que le projet global sera livré en temps voulu, alors que la donnée seule montre un retard de X semaines. L’erreur, ou la non-adéquation entre une donnée et les attendus, est vue comme une situation à sanctionner au lieu d’être vue comme une leçon à tirer. La priorité d’analyse des données est donc généralement biaisée par la mise en avant des nouvelles opportunités à détecter, au détriment des améliorations à apporter au système existant. 
  • Optimiser la collaboration entre les différentes directions : rapprocher les directions métier de la direction informatique n’est pas un nouvel enjeu. Il a été mis en exergue par les méthodes Lean et Agile dès les années 1990. Malgré cela, les organisations rencontrent toujours des difficultés et les silos entre directions persistent. Les directions métier se rapprochent des directions informatiques pour optimiser la gestion des projets et accélérer le "Time to Market" mais les modèles de gouvernance et de gestion budgétaire peinent à suivre le rythme. Prenons l’exemple d’un projet de développement d’une application web : la direction métier impliquée va être sollicitée pour participer activement au projet, pour allouer des ressources à temps plein au projet afin d’exposer son besoin et prendre des décisions rapidement, mais le budget et la responsabilité du développement de l’application restent à la main de la direction informatique. La vision business et l’optimisation budgétaire ne peuvent alors pas être alignées. Les données apportent ici une troisième dimension qui complexifie le modèle. Une donnée n’est pas propre à une direction ; elle servira l’ensemble des directions ou presque. Il ne s’agit donc plus d’aligner une direction métier et une direction informatique autour d’un projet, mais d’aligner l’ensemble des directions autour des données. La data science fait intervenir un ensemble important de domaines (mathématiques, programmation, intelligence artificielle, analyse prédictive, etc.) et il faut tout autant de collaboration entre l’ensemble des directions d’une organisation pour en tirer de la valeur.

En plus de ces impacts systémiques, deux zones d’ombre majeures mettent en difficulté les organisations dans le traitement des données : la sécurité et la protection des données. La sécurité des données et des systèmes est un sujet stratégique pour les organisations. Même si elles rencontrent encore des difficultés et que l’évolution constante des menaces rendent ce sujet sensible, les organisations disposent généralement des outils leur permettant de s’orienter dans la bonne direction. En revanche, le suivi du Règlement Général sur le Protection des Données (RGPD) est une ligne directrice difficile à suivre. La data science permet d’identifier des nouvelles tendances, des nouveaux usages, qu’il faut à leur tour analyser. Or, le lien entre ces nouveaux traitements et le RGPD n’est pas toujours fait ou difficile à faire. Comment être certain qu’une nouvelle donnée à disposition respecte le RGPD ? D’autant plus lorsque les organisations sont silotées et ne font pas le lien entre la direction métier qui demande une analyse et la direction juridique qui peut émettre une recommandation sur le caractère personnel des données traitées. Avec la multiplication des projets liés au traitement des données il sera donc de moins en moins rare de voir des organisations se lancer dans des analyses ne respectant pas, souvent sans s’en rendre compte, les règles de protection des données à caractère personnel. 

L’étape de la prise de conscience sur l’apport majeur de la donnée étant passée. Les organisations doivent maintenant répondre à ces enjeux de transformation systémique et assurer le lien entre leurs enjeux internes et l’écosystème réglementaire. 

Aurélie Sale

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Cette Tribune s'inscrit dans le cadre du Groupe K2 "Enjeux du Big Data" composé de :

Kevin Dumoux est Co-créateur du Cercle K2, Conseil en Stratégie, Transformations digitales et M&A - Messaoud Chibane (PhD) est Directeur du MSc Finance & Big Data, NEOMA Business School, Lauréat du Trophée K2 "Finances" 2018 - Shirine Benhenda (PhD) est Experte en Biologie moléculaire, données OMICS - Sonia Dahech est Directrice CRM, Trafic et Data omnicanal chez BUT - Franck DeCloquement est Expert en intelligence stratégique, Enseignant à l'IRIS et l'IHEDN, Spécialiste Cyber - Franck Duval est Administrateur des Finances publiques, Directeur adjoint du pôle gestion fiscale, DDFiP 92 - Yara Furlan est Trader Social Media chez Publicis Media - Jean-Baptiste Harry est HPC & AI Solution Architect & pre sales EMEA chez NEC Europe - Timothé Hervé est Risk Manager à la Banque de France - Aurélie Luttrin est Président, Eokosmo - Yann Levy est Data Analyst, Expert BI - François Marchessaux est Senior Partner, Franz Partners - Conseil en Stratégie & Management - Aurélie Sale est Coach Agile chez Renault Digital - Jun Zhou est Entrepreneur, Lecturer & Consultant in Chinese Social Media

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02/12/2022

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