Passer à côté du potentiel de la médiation s’assimile à de la non assistance à République en danger

26/01/2021 - 6 min. de lecture

Passer à côté du potentiel de la médiation s’assimile à de la non assistance à République en danger - Cercle K2

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Michèle Guillaume-Hofnung est Professeure émérite des Facultés de Droit, Directrice de l’Institut de médiation IMGH et Présidente d’honneur de l’Association des médiateurs diplômés de Panthéon-Assas.

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POURQUOI ?

Parce que la médiation répond au besoin vital de LIEN SOCIAL DURABLE :

- Besoin de libérer la parole : la médiation est un processus de communication éthique qui donne à la parole de chacun la même dignité et la même liberté. Elle permet d’organiser la contradiction non pas par la procédure mais par son processus de communication éthique qui permet l’expression des ressentis.

- Besoin d’éducation : la médiation opère par un processus proche de la maïeutique. Dans le rapport du Comité de liaison pour la "décennie de l’ONU à l’éducation aux droits de l’homme", j’avais rédigé un paragraphe "faire de la médiation un vecteur de l’éducation aux droits de l’homme".

- Besoin de lien social : deux des quatre fonctions de la médiation sont la création ou la recréation du lien social.

- Besoin de résilience : le terme résilience transpose au corps social ou à l’échelle individuelle la capacité de certains métaux à revenir à leur forme initiale après un choc important. Mais après la crise aurons-nous envie de revenir à la forme initiale ? Comment soutenir la créativité sociale ?

Il faudra refaire société, et si possible une société plus humaine, plus intelligemment performante. Or, rien ne se fait sans dialogue, encore moins la résilience. Pourtant, la capacité à dialoguer n’est ni naturelle, ni répandue.

- Besoin de confiance : l’économie repose sur la confiance, qui partage la même racine étymologique que le crédit. Mais avec l’eau, la confiance est une des valeurs les plus rares. La confiance ne se décrète ni ne se mendie d’en haut. Elle se construit dans un processus continu. Sans communication éthique, point de confiance. La médiation opère comme une hormone de confiance grâce à son processus qui repose sur la responsabilité, la liberté des personnes. Le processus se noue sur la base d’une reconnaissance mutuelle.

- Besoin d’exprimer les ressentis pour sortir par le haut de l’accumulation des ressentiments générateurs de complotisme.

- Besoin de s’inscrire dans un récit commun pour l’avenir, pour le construire en co-responsabilité.

- Besoin de retrouver le sens positif de la laïcité : le Vivre Ensemble

- Besoin d’autorité au sens constructif du terme auquel son étymologie nous ramène "le pouvoir de faire grandir celui auquel elle s’applique".

L’échec de l’intégration à la française reconnu par le Président Macron lui-même est patent. L’islamisme radical prospère sur les échecs accumulés du maillage républicain. Le processus de médiation offre un mode d’inscription dans la citoyenneté lato sensu, y compris pour des personnes qui n’ont pas la citoyenneté au sens du droit électoral.

La médiation ne peut tout résoudre mais offre un vecteur solide de redressement républicain.

 

COMMENT EXPLIQUER QUE NOUS PASSIONS À CÔTÉ ?

La médiation a été dévoyée de deux manières :

- Les politiques judiciaires en ont fait un produit de désengorgement des tuyaux contentieux et la confondent avec la conciliation. La contrefaçon a tué l’original. Aujourd’hui, il est très difficile de faire prendre conscience du potentiel républicain de la médiation.

- Les politiques de médiations sociales ont fait de la médiation un produit de second ordre pour des populations de seconde zone. En méconnaissance des recommandations que j’avais reçu mission de présenter le 20 septembre 2000, en ouverture du séminaire intergouvernemental de l’Union européenne, les politiques de médiation sociale ont manqué d’ambition républicaine. La médiation sociale a mauvaise presse parce qu’on a jeté dans la fosse aux lions sans formation des "médiateurs" souvent réduits à négocier avec les caïds locaux. La politique des emplois jeunes, qui a déboûché sur les grands frères, n’a pas donné à la médiation les troupes dont elle avait besoin.

- Parce que les politiques recherchent le court terme alors que la médiation est un processus d’éducation.

- Parce que les appareils ne savent pas faire confiance à la société civile. La médiation a surgi de la société civile comme une subversion positive, intégrative.

Les politiques publiques ont déjà perdu 35 ans pendant lesquels le ferment de subversion positive du processus éducatif de la médiation aurait eu sa chance de produire ses effets aujourd’hui.

Les Hussards noirs de la République ont besoin du renfort des humbles tisserands de l’apprentissage au Vivre Ensemble  dans le respect mutuel.

Cela va prendre du temps, raison de plus pour ne pas tarder à prendre conscience et à mettre en œuvre d’un grand programme d’éducation à la médiation. Ne tardons pas la République  est en danger

 

PROPOSITIONS

À un moment où on entend à longueur de journée invoquer le lien social et revendiquer la confiance, il est temps de redécouvrir le sens que les pionniers de la médiation avaient à l’esprit dans les années 80. Les humbles tisserands de l’inter-compréhension avaient pour ambition de faire des brèches dans les murs d’incompréhensions et d’établir des passerelles de dialogue.

 

Notre société doit se mobiliser pour  la médiation

La médiation est consubstantielle aux valeurs de la République : Liberté, Égalité, Fraternité.

Liberté : la médiation ne peut réussir que si la participation au processus est libre. "Le pessimisme est d'humeur ; l'optimisme est de volonté", enseignait Alain. La médiation aussi ressortit de la volonté. Un premier "accouchement" libère la parole, même véhémente vis-à-vis d'autrui. Dans un deuxième temps, le processus accouche d'une solution pour vivre ensemble ou régler le conflit. Par la seule pertinence de ses questions, le médiateur libère les partenaires des incompréhensions qui les ligotaient, entravaient leur confiance et leur créativité

Égalité : le processus fonctionne de manière totalement horizontale. Toute la puissance de la médiation réside dans l'absence de pouvoir du médiateur. Il ne donne ni conseil ni avis ; il ne rend pas de décision. Formé à respecter la liberté des participants, il les grandit, ce qui est la définition même de l'autorité. Il ne la tient que de la libre reconnaissance des participants. Ceux-ci vont, le temps de la médiation, construire ensemble une issue "par le haut".

Fraternité : l'altérité a constitué le moteur des pionniers. "La Charte de l'Autre", élaborée par Jean-François Six, inspire durablement l'action des médiateurs. Elle demeure au cœur de ce qui peut nous sauver face aux projets de guerre civile que nourrissent les auteurs des attentats sanglants. Le pessimisme se donne trop facilement le masque du réalisme. Oh ! comme ils sont touchants et naïfs ceux qui se croient réalistes ! Mais comme ils sont dangereux aussi, car ils ratifient sans la passer à la preuve du dialogue, la croyance en la médiocrité et la noirceur humaine. Faute de dialogue, ils contribuent à les faire advenir. Alors, nous appelons à une mobilisation générale.

Nous, Médiateurs, nous devons nous saisir des fils pour nouer un nouveau dialogue. Il faut que les médiateurs se lèvent en masse, mais pas dans l'impréparation générale.
 LES CONDITIONS DU SUCCÈS :
 le "Vivre ensemble" ne peut être une injonction incantatoire venue du sommet. Il doit provenir d'une expérience de vie. Il doit résulter de ce que la société vous veut comme membre, qui que vous soyez, et vous le manifeste tout au long de votre parcours social.
 La médiation n'est ni laxiste ni angélique ; elle demande un effort lucide. Le médiateur est un réaliste. Responsable du cadre de la médiation, il n'a rien d'un "Bisounours". C'est grâce à la solidité du cadre qu'il a élaboré qu'il permet aux participants d'exprimer leurs griefs et de faire surgir le "meilleur" qui est en chacun d'eux.

L'impérieuse nécessité de la médiation, telle que ses pionniers l'ont forgée, mérite qu'une démarche-qualité soit enfin respectée. La médiation est issue de la base ; elle ne nécessite aucun appareil règlementaire, au contraire. Le "sommet" doit arrêter de la paralyser par ses contrefaçons législatives létales. Elle repose sur les principes suivants:

  • Bien nommer pour bien faire : que le sommet cesse d'appeler médiation tout et n'importe quoi (le négociateur des taxis, les conciliateurs de la consommation) ; assurer un régime juridique qui respecte sa nature ; ne pas la couler dans le béton d'un régime juridique sclérosant.
  • S'appuyer sur une formation, préalable spécifique et continue : les pionnières et les pionniers de la médiation avaient perçu l'importance primordiale de la formation. C'est un art difficile qu'on ne peut exercer ou enseigner sans formation solide. LES SOLDATS DE LA DEUXIÈME LIGNE NE S’IMPROVISENT PAS.

En conclusion, j'en appelle à la mobilisation civique. J'en appelle aussi aux pouvoirs publics pour qu'ils libèrent la médiation, qu'ils cessent de la récupérer et de la dénaturer, pour qu'ils procèdent d'urgence à un moratoire législatif car, quand ils l'auront tué par leurs contrefaçons létales, nos sociétés n'auront pas de deuxième chance.

Michèle Guillaume-Hofnung

26/01/2021

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