Quelques rappels sur l'origine et l'importance des services publics
06/11/2020 - 6 min. de lecture
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Manon Samaille est diplômée de Sciences Po Paris et Auditrice du Parcours K2. Kamel Adrouche est responsable juridique au sein de la RATP.
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Il a fallu une situation exceptionnelle, une sortie de route impressionnante qui bouleverse le cours habituel des choses, la mise en place brusque et inattendue d’un confinement inspiré d’un lointain Moyen-Âge pour entendre, dans tout le pays, partagés par toutes les générations, transcendant tout clivage politique et toute différence culturelle, des applaudissements quotidiens en faveur du personnel de santé de notre service public hospitalier. Le mouvement de solidarité unanime qui s’est levé lors du premier confinement a incontestablement réchauffé notre rapport au service public.
Chacun de nous a pu mesurer l’importance du dévouement de nos soignants au service de nos concitoyens, dévouement d’autant plus admirable que la maladie était alors parfaitement inconnue, sauf en ce qu'elle était exceptionnellement contagieuse. Quand le pays se mit à l’arrêt et que chacun se confina chez soi, inquiet de la propagation du virus, le service public hospitalier était mobilisé, au front, en lutte avec cet ennemi invisible, avec nos agents de propreté, nos policiers, nos enseignants, nos pompiers, les personnes en charge d'assurer nos transports en commun et tous ceux qui participent quotidiennement, sans tambour ni trompette, à l’intérêt général.
Notre service public a alors donné sa plus belle image, celle de son activité continue au service au pays, y compris par temps de crise.
Ce mouvement de solidarité ne s’est toutefois pas retrouvé lors du second confinement alors même que l’on s’accorde à dire que la deuxième vague est plus violente que la première, l’épidémie s’étant plus largement répandue. La maladie est mieux connue, inquiète moins, et les intérêts particuliers reprennent le dessus. Le principe de ce nouveau confinement n’a pas été contesté mais chaque activité veut sa dérogation. L’actualité est ainsi pleine des incompréhensions de commerçants et de libraires légitimement inquiets de la survie de leur activité et déboussolés par les incertitudes du gouvernement. La date du Black-Friday est devenu un enjeu politique de première importance, devant commander la réouverture de nos commerces. Aujourd'hui, les régards se tournent davantage vers le Black Friday et les e-commerçants que vers nos pompiers ou nos agents de propreté.
Notre service public retrouva alors sa place, celle qui était devenue la sienne depuis l’avènement du roi Économie, à l’arrière-plan.
Nous rêvions d’un monde d’après qui serait différent, plus solidaire : devons-nous nous résigner, comme Houellebecq, à ce que cet après soit le même qu’avant, en un peu pire ?
Nous avons voulu, à travers cette tribune, remettre en avant ce qui constitue à nos yeux l’une des forces de notre pays en rappelant l’histoire de la notion de service public et en éclairant sur ses principes et ses objectifs.
Retour sur l’idée de services essentiels à la Nation et de leur rapport avec les Français.
La notion de service public trouve sans doute sa source dans celle de res publica créée par l’Empire Romain.
La construction des voies romaines qui représentait un coût exorbitant justifia la prise en charge de son financement par l’Empire au bénéfice d’un intérêt commun : relier, voyager, commercer et assurer une force de frappe militaire efficiente.
Il fallut attendre le Moyen-Âge et la centralisation de certaines fonctions par l’Église (éducation, justice, gestion publique des fontaines et moulins) pour retrouver la prise en charge de certains services régaliens, qui seraient ensuite repris par l’État. Les "services rendus" n’étaient toutefois pas gratuits, la protection du Seigneur se monnayait en argent et exigeait en contrepartie l’abandon de certaines libertés.
La notion de service public, associée à celle d’intérêt général, connut un réel développement avec les Lumières et la Révolution. Les Lumières ont en effet reconnu le besoin de services collectifs nouveaux où "l’opinion publique", le service public et la fonction publique occuperaient une place privilégiée, devant les intérêts privés et particuliers.
Le modèle économique libéral français du XIXème allait ensuite s’appuyer sur cette notion pour construire un marché national et créer de nombreux "services publics économiques" : police, transport ferroviaire, postes et télégraphes, entre autres. L’objectif poursuivi était alors la création de valeurs et la performance économique et la notion de service public répondait ici davantage à une logique de marché.
C’est enfin sous la construction du juge et de l’arrêt Blanco (T. confl., 8 févr. 1873) que la notion de service public va prendre tout son sens : elle devint la "pierre angulaire" du droit administratif français et sert de fondement à la compétence de la juridiction administrative.
Fort de ces nombreuses évolutions, le service public désigne aujourd’hui une double réalité : une mission d’intérêt général et un mode d’organisation consistant à faire prendre en charge certaines activités par la personne publique (État, collectivités territoriales, établissements publics) ou par des personnes privées placées sous son contrôle.
Si nous devions la définir d’une phrase, nous dirions que la notion de service public vise à organiser la vie sociale autour des enjeux de défense nationale, de transport et de soutien aux activités économiques, à travers les structures qui les rendent possibles.
La notion de service public suppose des règles spéciales prévues par le droit public.
Le service public est soumis à trois grands principes.
La continuité, d’abord. Qualifiée de principe de valeur constitutionnelle (79-105 DC du 25 juillet 1979), elle impose une obligation continue de réponse aux besoins d’intérêt général (ouverture ininterrompue des services d’urgences hospitaliers, par exemple). La notion de continuité n’est cependant pas absolue et ne peut faire abstraction d’autres exigences et principes à valeur constitutionnelle, notamment du droit de grève de ses agents.
L’égalité, ensuite. Autre principe à valeur constitutionnelle, il implique que toute personne ait droit à un traitement égal face aux services publics, mais aussi à un accès égal et à une participation égale quant aux charges tarifaires et financières liées à leur utilisation.
Adaptabilité / mutabilité, enfin : le service public a vocation à suivre les évolutions sociales et techniques pour être en capacité de répondre aux besoins mouvants des usagers.
Cet intérêt recherché de la satisfaction des besoins du public est cependant toujours contrebalancé par la nécessité de limiter les dépenses et de satisfaire aux exigences européennes.
Au fond, le service public est un bien collectif, un service de base offert à toutes et tous avec un certain niveau de qualité qui doit être déterminé. C’est un élément indissociable de notre patrimoine national.
Il a un coût, c’est certain. Mais en réalité il n’a pas de prix : tout le monde doit pouvoir en bénéficier. C’est la raison pour laquelle son coût doit être supporté par l’ensemble de la collectivité. Cette valeur profite aussi bien aux intérêts privés qu’à l’intérêt général. Il ne devrait ainsi pas être vécu comme une charge pour les citoyens.
Au contraire, il s’agit d’une richesse qu’il convient de protéger, de conserver, mais aussi de faire évoluer tant au niveau de sa gestion que dans sa capacité à s’adapter au quotidien et aux besoins des Français, afin de mieux accueillir et respecter les citoyens qui assurent son financement. Pour ce faire, le gouvernement a annoncé le lancement du label "France Services" pour "permettre à chaque citoyen quel que soit l’endroit où il vit, d’accéder aux services publics" et d’être accompagné dans ses démarches du quotidien, grâce aux agents et structures mises à leur disposition ("Maisons France Services" et autres partenaires nationaux - la Poste, Pôle emploi, CNAF, CNAM, CNAV, MSA, Ministères de l’Intérieur et de la Justice, Direction Générale des Finances Publiques).
Autrement dit, le renouveau des services publics passera par leur utilité, les compétences qu’ils développent et leur efficacité dans le quotidien des citoyens. Certains évoquent même une nouvelle notion de "service public citoyen" selon laquelle chaque citoyen participerait, lui-même, à la construction du service public, en fonction des évolutions numériques, écologiques et sociales (cf. Paul Duan – Fondateur Bayes Impact).
La disparition des situations de monopole et l’ouverture au marché ne signifient donc pas que les droits des citoyens au service public doivent s’en retrouver réduits, voire supprimés. Bien au contraire, elles peuvent constituer un véritable catalyseur permettant l’innovation et la mutation. Le passage à un parc de bus 100 % écologique à l’horizon 2025 au sein de la RATP (25 centres Bus convertis à l’électrique et au biogaz) en est une belle illustration.
Manon Samaille et Kamel Adrouche
06/11/2020