Valoriser le capital humain: les entreprises ont-elles encore le choix ?
15/06/2020 - 5 min. de lecture
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Vanessa Mendez accompagne les projets d'innovation sociale.
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Les défis auxquels nos sociétés sont aujourd'hui confrontées ont rarement été aussi complexes, préoccupants et globaux. La crise sanitaire et les efforts déployés pour enrayer sa propagation ont fait peser d’importantes contraintes sur l’économie en l’espace de quelques semaines seulement. La pandémie a agi comme le carbone 14, à savoir qu’elle a révélé avec encore plus d’acuité les dysfonctionnements à l’oeuvre de nos sociétés. Une question légitime que nous pouvons nous poser aujourd’hui en période de déconfinement: la crise planétaire du coronavirus engendrera-t-elle des changements structurels profonds de nos modèles sociétaux, de nos modes de développement et de création de valeur ? Sommes-nous prêts collectivement à revisiter nos représentations et paradigmes pour dépasser les schémas du passé, repenser le progrès et prendre en compte l’essentiel, à savoir l’humain et le vivant ?
La Banque mondiale estime que l’immatériel représente 86% de l’économie française
Il est important de rappeler que le modèle de l’économie de marché sait mesurer la performance d’un État, d’une entreprise, d’une ville d’un point de vue quantitatif. En effet, le système comptable tel qu’il est organisé aujourd’hui permet de donner une valeur à ce qui est concret, tangible, visible. Mais il existe des éléments qui sont de véritables leviers de croissance durable pour une entreprise ou une économie plus généralement qui n’apparaissent pas dans les états financiers. Je fais allusion ici à ce qu’on appelle les actifs immatériels ou intangibles ou encore incorporels.
Définition des actifs immatériels
Ce sont des actifs sans constitution physique dont l’existence se justifie par les droits qu’ils confèrent à l’entreprise, droits que l’entreprise peut s’approprier ou négocier. Ces actifs immatériels renferment souvent des valeurs cachées (ex : l’intuitu personae d’un dirigeant, la motivation des salariés, la qualité de vie au travail / le bien-être au travail, le taux de fidélisation des clients, la valeur ajoutée d’un système d’informations). Ces actifs immatériels, bien qu’invisibles, constituent une véritable valeur ajoutée et apportent une matérialité réelle et concrète à l’entreprise et peuvent constituer des facteurs différentiant soit en matière d’innovation ou pour attirer des talents.
Deux exemples : Natura et la fusion Daimler / Chrysler
Le premier exemple concerne la société Natura, leader des cosmétiques brésiliens, qui a accordé une attention peu commune aux acteurs de sa chaîne de valeur et aux parties prenantes internes et externes. En quelques chiffres :
- Natura réinvestit 3 % de ses profits dans l’éducation et les infrastructures de communauté qui fournissent Natura en produits et matières premières
- 50 % des managers sont des femmes
- 100% des employés permanents bénéficient d’une assurance santé complémentaire
- 75 % des salariés ont accès à un programme d’intéressement aux bénéfices
Aujourd’hui Natura un modèle qui fonctionne car, au cœur du modèle économique de l’entreprise, l’humain est valorisé de manière tangible dans le cadre de pratiques ancrées dans de la politique de l’entreprise et non uniquement au plan de la communication.
Un deuxième exemple, plus ancien, concerne deux géants du secteur automobile qui, en 1998, ont souhaité se rapprocher : l’allemand Daimler et l’américain Chrysler. Sur le papier, la fusion pouvait fonctionner mais, dans les faits, tout opposait ces deux groupes. Daimler incarnait des valeurs de sécurité, d’efficacité, de conservatisme avec un système hiérarchique très vertical. De l’autre côté, Chrysler était beaucoup plus orienté sur des valeurs de créativité et d’audace. On a également pu constater ces différences de cultures d’entreprise dans la gestion de la relation client (« client relationship management »). Cela s’est traduit de la façon suivante : Daimler visait la fiabilité, le haut degré de qualité de ses produits, le sérieux « à l’allemande » et en contrepartie l’américain Chrysler était davantage orienté vers des designs attractifs et des prix très compétitifs. Au bout de 9 ans, cet ensemble s’est démantelé, disloqué. Aujourd’hui, le groupe n’existe plus en tant que tel.
Evaluer le capital immatériel et en particulier le capital humain
Pour rappel, le capital humain est l’ensemble des savoirs, des techniques, des connaissances recensés au sein d’une entreprise en y ajoutant le leadership du dirigeant et la créativité des collaborateurs.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir comment on peut appréhender ce capital humain. Il existe, depuis plus de 20 ans, des outils développés par différentes structures (cabinets conseil, fédération en psychologie cognitive, etc.) mais ce sont plutôt des outils et des méthodologies basés sur la catégorisation et le profiling.
Parmi ces méthodologies, il en existe une qui a été développée par un groupe de recherche interdisciplinaire, « Finance for entrepreneurs » / FFE (Finance pour entrepreneurs), et qui vise à comprendre la place du capital humain dans l’entrepreunariat et le capital investissement. Finance pour entrepreneurs a fait le pari d’intégrer la complexité dans la méthodologie qui est axée et basée autour de 13 critères / indicateurs.
Les prérequis de cette méthodologie reposent sur trois axes :
1. Penser qu’il est possible de tendre à objectiver la subjectivité au travers d’indicateurs
2. Comprendre que le potentiel et les risques liés à l’humain sont évalués non pas de manière hors sol mais de manière contextuelle par rapport à un individu et une situation
3. Appréhender les risques et les fragilités entrepreneuriales dans un contexte évolutif et non pas de manière statique.
FFE a donc développé 13 indicateurs qui sont des façons, des prises, des fusées éclairantes de la personnalité entrepreneuriale de l’individu, qu’il soit dirigeant, porteur de projets ou voire même étudiants, et qui vont permettre de comprendre la texture humaine de cette personne qui porte cette fibre entrepreneuriale.
De l’importance des soft skills et des talents pour un leadership éclairé
A l’heure où la question du sens se pose tant au plan collectif qu’individuel, la transformation devient le mot d’ordre. Changer intérieurement pour pouvoir poser un autre regard, remettre en cause l’existant et faire advenir une société plus juste, équilibrée et inclusive. Jamais l’emphase sur le savoir être n’aura été aussi forte. Parce que les mutations de nos société sont majeures et sans précédent, la formation des futurs décideurs économiques et politiques ne peut plus reposer sur la seule acquisition de compétences techniques, de savoir faire et d’outils opérationnels. Les soft skills qui désignent les qualités personnelles et les habiletés relationnelles sont considérées comme prioritaires à horizon 2022 selon une étude du World Economic Forum. Réflexion analytique et innovation, résolution de problèmes complexes, capacité d'apprentissage tout au long de la vie, créativité, sens de l’initiative, intelligence émotionnelle… l’ensemble de ces qualités permettent d’appréhender de façon plus fine et holistique la réalité d’une entreprise et d’assurer un pilotage plus efficace.
Sans dirigeant conscient et responsable, sans salarié épanoui, motivé, il n’y a pas d’idée, d’innovation, de performance ni de croissance. Les pratiques de management directif orientées vers la dimension fonctionnelle (versus relationnelle) ne sont plus adaptées au monde qui vient. Intégrer pleinement le facteur humain dans la stratégie de l’entreprise et au cœur du modèle économique ne relève plus de l’utopie altruiste mais d’un pragmatisme lucide.
15/06/2020