Crise sanitaire et contrôle des investissements étrangers : vers des intérêts fondamentaux européens ?
30/05/2020 - 5 min. de lecture
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Stéphane Mortier est Docteur en sciences de gestion (Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Centre de sécurité économique et protection des entreprises de la Direction générale de la gendarmerie nationale
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Les conséquences économiques de l’épidémie de COVID-19, poussent à la réflexion… Sans polémique aucune, la pandémie de COVID-19 a révélé la dépendance des pays européens à la Chine en matière de masques de protection par exemple. Les questions de l’autonomie et du positionnement stratégiques ainsi que des enjeux de puissance sont aujourd’hui au devant de la scène.
Une telle situation pourrait pousser aux velléités souverainistes ou encore au rejet d’une économie de marché pourtant bien rodée. L’heure n’est cependant pas au repli mais plutôt à la résilience. Cette crise aura permis aux États, et au-delà à l’Union européenne, de faire des constats, notamment sur le contrôle des approvisionnements et productions de matériels stratégiques au sens le plus large.
Le 26 mars 2020, la Commission européenne a publié des orientations à l’intention des États membres concernant les investissements directs étrangers et la libre circulation des capitaux provenant de pays tiers ainsi que la protection des actifs stratégiques européens[1]. A cette occasion, Ursula von der Leyden, présidente de la Commission européenne s’exprimait ainsi : « […] lorsque les actifs de nos industries et de nos entreprises sont mis à rude épreuve, il nous faut protéger notre sécurité et notre souveraineté économique. Le droit de l'Union et les législations des États membres prévoient les outils dont nous avons besoin pour faire face à cette situation, et j'invite instamment les États membres à en faire pleinement usage. L'Union est un marché ouvert aux investissements directs étrangers et le restera, Cette ouverture n'est toutefois pas inconditionnelle[2] ». Et Phil Hogan, commissaire chargé du commerce, d’ajouter « Dans les circonstances actuelles, il nous faut tempérer ce principe d'ouverture en recourant à des contrôles appropriés. Nous devons savoir qui investit et dans quel but ». La norme européenne reste le libre-échange du marché commun mais des limites peuvent y être apportées, à condition qu’elles puissent être justifiées par « la moralité publique, l’ordre public ou la sécurité publique, la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux, [...] » (art. 36 TFUE).
Cela était sans compter sur le COVID-19 ! Le 26 mars 2020, la Commission européenne publie donc des orientations à l’intention des États membres dans la perspective de l’application du règlement n°2019/452 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étranger dans l’Union. Elle y rappelle que le filtrage des IDE, par les États membres, devrait tenir compte des effets sur l’Union européenne dans son ensemble, afin notamment que l’industrie de l’UE continue à disposer de capacités critiques. Les actifs stratégiques sont essentiels à la sécurité de l’Europe ainsi qu’à la santé de son économie et, partant, à sa capacité à se redresser rapidement.
Le règlement n°2019/452 institue en effet la mise en place des mécanismes de coopération entre États membres et avec la Commission pour contrôler les investissements directs étrangers liés à des secteurs européens sensibles. Il s’agissait là, un an presque jour pour jour avant la crise du COVID-19, d’une impulsion qui arrivait à point nommé.
Le premier « considérant » de ce règlement indique que « les investissements directs étrangers contribuent à la croissance de l'Union en renforçant sa compétitivité [...] ». Cela n’est pas anodin et n’est pas sans rappeler le concept d’intelligence économique qui repose sur une volonté d’accroissement de compétitivité et au-delà de puissance. Ce qui pourrait s’exprimer ici par un enjeu de puissance européen par la compétitivité des territoires de l’Union.
Quatorze (treize depuis le Brexit) États européens[3] disposaient, avant la crise du COVID-19 de mécanismes de filtrage. En France, la loi n°66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l'étranger en ce qui concerne les investissements étrangers, concernait déjà la problématique. Mais c’est l’affaire Alstom, en 2014, qui relancera la question avec, en guise de réponse, le célèbre « décret Montebourg ». Plus récemment, le décret n°2019-1590 du 31 décembre 2019 relatifs aux investissements étrangers[4] est venu renforcer le dispositif déjà existant, contribuer à la réforme du contrôle des investissements étrangers dans le cadre de la loi PACTE et surtout se conformer au règlement européen 2019/452. Constitue un investissement le fait, notamment, de franchir, directement ou indirectement, seul ou de concert, le seuil de 25 % de détention des droits de vote d'une entité de droit français". Cela ne concerne évidemment que les investisseurs situés hors de l’Espace économique européen.
En matière de sécurité économique, et en droite ligne de la politique publique française de sécurité économique, les dispositions les plus importantes du décret (découlant du règlement européen d’ailleurs) sont l’ajout de secteurs stratégiques supplémentaires, en l’occurrence la production, la transformation ou la distribution de produits agricoles et l’édition, l'impression ou la distribution des publications de presse d'information politique et générale y compris en ligne. Sont également concernées les activités de recherche et développement portant sur des technologies dites « critiques » (l'intelligence artificielle, la robotique, les semi-conducteurs, la cybersécurité, les technologies quantiques et nucléaires, le stockage d’énergie, l’aérospatial et la défense). Notons toutefois que contrairement à ce que prévoit le règlement européen, le décret français ne reprend pas les technologies critiques liées aux nanotechnologies et biotechnologies.
La crise sanitaire du COVID-19 semble avoir accentué une prise de conscience européenne d’un besoin en sécurité économique. A l’instar de ce qui existe en France depuis 2003 avec la politique publique d’intelligence économique, (devenue de sécurité économique en 2016), il semblerait que des intérêts économiques, industriels et scientifiques européens pointent à l’horizon comme des intérêts fondamentaux, non plus de la Nation mais de l’Union. De quoi couper l’herbe sous le pied de celles et ceux qui doutent de la capacité d’influence française dans les instances européennes… Il est indéniable que le combat mené par les tenants de l’intelligence économique à la française a réussi à faire du concept une réalité européenne. Dans le même ordre d’idée, le projet de Code européen des affaires[5] qui commence à se concrétiser, contribue à passer du théorique à l’opérationnel dans la constitution d’un arsenal européen de guerre économique !
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[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020XC0326(03)&from=FR
[2] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_20_528
[3] Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Portugal (et Royaume-Uni).
[4] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039727443&categorieLien=id
[5] http://www.codeeuropeendesaffaires.eu/
30/05/2020