De la vulnérabilité de nos libertés et droits fondamentaux en période de crise
02/04/2020 - 3 min. de lecture
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Olivier Le Mailloux est Avocat, Membre du Conseil de l’Ordre du barreau de Marseille & Ancien lauréat de la Conférence
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Il doit être acquis que nos libertés et droits fondamentaux constituent le noyau dur de l’État de droit et de notre démocratie.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est apparu crucial pour certains pays de se doter d’une constitution particulièrement solide pour éviter l’atrocité des crimes de la seconde guerre mondiale que le droit n’avait pas mis en échec et dont il avait été parfois vil serviteur.
Plusieurs modèles sont donc apparus en Allemagne, au Japon, en Italie et en Espagne.
Indiscutablement, le modèle le plus est le modèle allemand qui comporte des normes insusceptibles d’être révisées telles que notamment le principe de dignité humaine auquel ni le législateur ni le peuple, par référendum, ne peut porter atteinte.
Le modèle français s’est construit au fil du temps avec en premier lieu un Conseil constitutionnel répartiteur de compétences entre les articles 34 et les articles 37 (règlements et lois) de la constitution.
Il est devenu par une décision courageuse « liberté d’association », le gardien vigilant et armé de la conformité de la loi par rapport à la constitution et à son bloc de constitutionnalité.
Depuis 1971, sa jurisprudence s'est considérablement enrichie, et pour reprendre les pensées de mon maître, le Doyen Favoreu, la loi n’est l’expression de la volonté générale que dans le respect de la constitution et de son bloc.
Si cette doxa paraît évidente, elle permet d’assurer une hiérarchie des normes et un respect des droits fondamentaux qui garantissent notre démocratie.
Nous n’avions jamais nourri d’inquiétudes particulières en période de prospérité ou de sérénité juridique, néanmoins nous n’avions de cesse d’enseigner que c’est à la résistance du maillon le plus faible de notre système que nous pouvons évaluer sa solidité.
Nous connaissons actuellement une crise inédite dans la Ve République, une crise sanitaire particulièrement éprouvante doublée de ce qui pourrait apparaître comme une forme d’impréparation quant à sa gestion et à sa résolution.
Dans ces conditions, il revenait Conseil de remplir le rôle qui lui est dévolu par la constitution votée et voulue par le peuple souverain à savoir le contrôle de la conformité de la loi par rapport à la constitution.
"C’est au pied du mur que l’on voit le maçon" nous apprend l’adage populaire qui s’est malheureusement révélé être un funeste couperet pour notre cour suprême.
La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 26 mars 2020 est en effet la pire décision rendue par le Conseil de son histoire.
Pour mémoire, une loi organique concernant la gestion de la crise du covid 19 est soumise au contrôle des Sages.
Le Conseil constitutionnel réalise un contrôle pour le moins surprenant puisque la loi en cause était entachée initialement d’une inconstitutionnalité dans la mesure où elle violait l’article 46 de la constitution, qui prévoit que la loi organique ne peut être soumise à la délibération de la première assemblée saisie avant l’expiration d’un délai de 15 jours après son dépôt.
Or, la loi organique a été déposée à l’Assemblée nationale le 18 mars pour être promulguée le 23 mars 2020…
Ne respectant pas les délais de quinzaine, l’inconstitutionnalité de la loi organique la disqualifiait. Et pourtant, le Conseil passe outre et valide.
De surcroît, la loi organique prévoyait la suspension des délais liés à l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Certes le juge conserve la possibilité discrétionnaire d’examiner les QPC dans un délai raisonnable qui lui semble les plus pertinentes ce qui ajoute a de l’inconstitutionnalité de l’arbitraire.
Il résulte de cette situation deux constats dont il faudra tirer toutes les conséquences :
Il est inconcevable surtout en période de crise que le gardien de la constitution viole la norme suprême délibérément dont il est le gardien au nom du peuple français souverain.
Une réflexion sur la supra constitutionnalité des normes et des procédures est à envisager urgemment.
Il en est de même du choix politique des sages dont la compétence juridique doit primer sur tout autre considération.
Le deuxième constat témoigne de la volonté de restreindre l’accès de tout citoyen à la procédure de Question Prioritaire de Constitutionnalité qui permet d’être un véritable garde-fou législatif et de procéder à la censure de loi manifestement contraire aux droits fondamentaux.
Introduire de l’arbitraire dans le choix des questions qui seront traitées potentiellement et suspendre tous les délais donnent le sentiment d’une reddition juridictionnelle totale.
Notre système a besoin de tous les acteurs du droit, y compris et surtout du Conseil constitutionnel qui incarne une forme de sagesse dont le rayonnement est incontestable.
Des réformes sont dorénavant inéluctables et salutaires.
02/04/2020