Management des risques et des crises

27/06/2022 - 13 min. de lecture

Management des risques et des crises - Cercle K2

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Ludovic Pinganaud est Consultant, Associé chez ATRISC.

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INTRODUCTION

Notre société est de plus en plus soumise à toutes sortes de crises, à tel point qu’il devient aujourd’hui difficile de définir ce qu’est réellement une crise. Le sujet est traité de façon permanente dans les médias et il fait le bonheur des chaînes d’informations. Toute situation exceptionnelle devient de fait une crise…

Il me semble utile de dissocier un événement, aussi rare et aussi grave soit-il, d’une crise si celui-ci est traité de façon efficace par les services opérationnels et les différentes organisations préparées à y faire face.

À mon sens, la crise désigne à la fois un événement brutal, une rupture, un chaos, mais aussi une situation qui révèle des fragilités internes à un système. La crise serait donc une rupture de la stabilité d’un système, qui conduit à une rupture de son processus décisionnel. Gérer une crise sous-entend d’abord de redonner du sens à la situation rencontrée, la comprendre, pour ensuite être en capacité de coordonner la réponse la plus adaptée pour reprendre le contrôle de la situation. L’objectif est donc de tenter de répondre de la façon la plus efficiente aux besoins identifiés pour revenir dans un temps le plus court possible à une situation qui pourrait être considérée comme normale.

Nous retrouvons dans de nombreux documents que le processus de réponse à ces crises s’articule en trois temps : 

  • L’avant crise : dette première phase consiste à se préparer à faire face dans les meilleures conditions possibles à un événement prévisible, ou non. Il s’agit d’abord de sensibiliser les citoyens sur les risques auxquels ils peuvent être exposés à proximité de leur domicile et de les informer sur la manière de réagir en cas de catastrophe. Elle consiste ensuite à préparer l’organisation à structurer sa réponse et se préparer à mettre en œuvre les outils et procédures prévus. La préparation de la gestion des crises comprend généralement les travaux de planification, les formations, exercices et entraînements, et enfin le travail d’anticipation.
  • La réponse opérationnelle : cette phase correspond à la phase aiguë de la crise. L’ensemble des services concernés sont mobilisés pour répondre aux besoins et leur action doit être coordonnée pour une réponse cohérente et complémentaire. Cette réponse est généralement placée sous l’autorité d’un décideur qui construit sa réponse sur la base de travaux et de réflexions conduits par des cellules "situation", "anticipation", "communication" et "décision". Certains événements peuvent nécessiter la mobilisation de cellules plus spécialisées comme les cellules "logistiques" ou "cyber".
  • La phase post-crise ou phase de retour à la normale : cette phase intègre le retour d’expérience, le soutien des populations mais elle peut aussi être celle du temps des rapports et des enquêtes…

Cette organisation en trois temps est bien rassurante et semble répondre aux besoins, au moins sur le papier. De nombreux organismes de formation ou cabinets "spécialisés" en gestion de crise la reprennent et construisent sur cette base l’organisation idéale à développer chez leurs clients, qu’ils soient une organisation publique (préfecture, métropole) ou privée (grands groupes, PME, etc.).

Mais puisque nous parlons de retour d’expérience, quel recul avons-nous sur cette organisation ? Cette réponse est-elle aussi efficace qu’elle semble l’être sur le plan théorique ?

 

PARTIE 1 : LA GESTION DE CRISE AUJOURD’HUI : UN DISPOSITIF RASSURANT MAIS PAS TOUJOURS EFFICACE

De plus en plus d’organisations font appel à des sociétés spécialisées pour se préparer à faire face à des crises ou des situations complexes. La crise COVID a sans aucun doute contribué à sensibiliser les dirigeants sur les fragilités de leurs organisations et sur la nécessité de mieux se préparer. Ceux qui disposaient déjà de plans de réponse, type Plan de Continuité d’Activité ou Plan de gestion de Crise, se sont aussi aperçus que si les plans peuvent être des outils précieux lorsque la situation rencontrée a été prévue, ils présentent aussi leurs limites lors de situations non prévues, ou tout simplement inutilisés lorsqu’ils auraient pu l’être…

Force est de constater que cette organisation "type" ou "idéale" est loin de répondre à toutes les situations et les organisations qui ont conduit des RETEX "honnêtes et courageux" ont clairement identifié cette fragilité.

"Si la certitude est rassurante, le risque est plus noble". Cette citation de Salamah Mussa synthétise le premier risque des organisations de crise conceptualisées. "Nous avons tout prévu, nous avons les plans, un espace de crise, nous avons fait un exercice, donc nous sommes prêts…". Dans le domaine de la gestion des crises, le doute doit être permanent. Il nous permet de nous questionner de façon continue et récurrente. Il oblige à évaluer les décisions prises et à les adapter voire les corriger si nécessaire. Ce questionnement évite l’effet de tunnellisation et permet d’avoir une vision globale de la situation. Il doit aussi permettre de changer de cap lorsque l’on s’aperçoit que les décisions prise initialement ne sont plus en phase avec la situation qui a pu évoluer entre temps.

Pourtant, dans le domaine de la préparation, les critiques sont nombreuses :

  • "Les exercices sont intéressants mais ils ne sont pas suffisamment réalistes…"
  • "Ceux qui participent aux exercices ne sont pas ceux qui participent aux situations de crise. De fait, cela génère un fort désordre car les vrais acteurs ne connaissent pas les procédures et imposent en situation de crise leur propre organisation qui s’avère inconnue de tous".
  • "vec les congés, ceux qui étaient prévus en cellule de crise n’étaient pas là ce qui a désorganisé la réponse prévue…".

Cette phase d’avant-crise présente aussi un point de fragilité important : notre capacité à anticiper efficacement un événement. 

Hormis les outils de vigilance météo qui ne sont d’ailleurs pas toujours exploités à leur juste valeur (on a tendance à sous-estimer une vigilance météo un vendredi soir, veille de week-end ou de se rassurer en affirmant "qu’ils ont tendance à exagérer…"), il existe peu d’outils permettant d’anticiper des scénarios. Pour aller plus loin dans le raisonnement, si nous pouvons parfois anticiper un scénario connu, sommes-nous en capacité d’imaginer la survenue d’un scénario qui n’aurait pas été identifié clairement ? Il s’agit là d’un point clé pour améliorer notre dispositif de crise. Les concepts de smart-city, safe-city et autres territoires résilients sont des concepts novateurs mais permettent-ils aujourd’hui de répondre à ce besoin essentiel d’anticiper n’importe quelle situation ? L’une des bases de la gestion de crise est d’avoir de l’avance sur l’événement redouté pour justement échapper à la pression temporelle. Intégrer dans le processus de gestion de crise cette anticipation prédictive relève du bon sens…

Nous retrouvons d’autres critiques et remarques pour ce qui concerne la conduite en situation de crise :

  • "Les plans n’ont pas été utilisés car nous n’avons pas eu le temps de les consulter".
  • "Aucun des scénarios prévus dans le plan ne correspondait à la situation rencontrée".
  • "Nous ne maitrisions pas suffisamment les procédures car nous ne l’avons jamais mise en œuvre en situation réelle".
  • "L’organisation a été mise en place il y a plusieurs années mais elle n’est plus adaptée et beaucoup de personnels ont changé de poste depuis…"

En dissociant la gestion de crise du fonctionnement normal de l’organisation, il est difficile pour les acteurs concernés de rester opérationnels et efficaces. En effet, même si l’organisation mise en place a été mûrement réfléchie et a montré son efficacité lors d’un exercice voire d’une crise passée, il est extrêmement difficile de maintenir son niveau de performance pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la mise en œuvre concrète de ce dispositif n’est pas suffisamment fréquente pour qu’elle puisse être connue et maîtrisée par l’ensemble des personnels. De plus, le turn-over important de ces personnels au sein d’une organisation nécessite une formation permanente qui reste difficile à organiser et qui n’est en général pas prioritaire. Le dispositif de gestion de crise se superpose à l’organisation générale et devient de fait exceptionnel, puis secondaire pour finir par être ignoré.

Le fait que ce dispositif existe demeure cependant rassurant et il n’est pas rare d’entendre "qu’il y a peu de risques qu’il se passe quelque chose puisqu’il ne s’est jamais rien passé » ou encore « nous serons bien capables de nous organiser le moment venu, avec un peu de bon sens on peut régler toutes les situations…".

Là encore, si ce type de discours peut être rassurant, il exprime à mon sens soit un déni, soit un manque de clairvoyance. En tout état de cause, les conséquences peuvent s’avérer désastreuses pour l’organisation, les personnes qui la servent et surtout toutes les parties prenantes victimes directes ou indirectes de la catastrophe.

La phase post-crise est, quant à elle, est trop souvent sous-estimée.

Bien que les RETEX soient souvent réalisés, ils sont généralement peu ou pas suivi des faits. Les leçons tirées des événements font l’objet d’un plan d’action rarement mis en œuvre dans sa totalité. La capitalisation des enseignements sur le plan institutionnel ne fait pas l’objet d’un suivi rigoureux et seules les personnes ayant participé activement à l’événement se souviennent de ce qui a fonctionné et des erreurs à ne pas commettre. 

Cette phase, s’étalant souvent dans le temps, mériterait à l’instar des deux premières de faire l’objet d’un vrai travail d’anticipation et de planification. Ce n’est malheureusement pas le cas et elle est confiée généralement à quelques personnes qui ne disposent alors que de peu de moyens pour rétablir une situation considérée comme normale. 

Il ne s’agit pas de dresser un constat négatif de ce qui est réalisé dans le domaine de la gestion de crise. Il n’y a pas de doute sur le fait que de très nombreux progrès ont été réalisés. Toutefois, ces expériences doivent nous conduire à penser la crise différemment et à modifier notre façon de l’appréhender. 

 

PARTIE 2 : BASCULER DE LA GESTION DE CRISE VERS LA FIABILITE ORGANISATIONNELLE

C’est une évidence mais un dispositif de gestion de crise doit avant tout être fiable. En dehors des organisations très opérationnelles qui mettent en œuvre les procédures de façon permanentes et qui sont donc, a priori, en capacité de monter en puissance naturellement lors d’un événement exceptionnel, il est difficile de croire qu’un dispositif exceptionnel puisse rester efficace après un certain temps sans avoir été concrètement mis en œuvre, éprouvé, évalué, et amélioré.

La meilleure façon de rendre un système fiable est de le mettre en œuvre de façon permanente. Un dispositif de crise ne doit donc pas être un dispositif exceptionnel mais bien un dispositif qui vient compléter l’organisation existante et qui permet à cette dernière de monter en puissance lorsqu’elle détecte une situation anormale qui pourrait la rendre vulnérable ou l’impacter plus gravement. Fiabiliser l’organisation, c’est maintenir son niveau de performance lorsqu’elle devient vulnérable. Sa vulnérabilité doit donc être analysée de façon continue en veillant différents signaux et paramètres pré-identifiés.

La prise en compte efficace de ces signaux faibles et/ou forts (aussi appelés signaux précurseurs) peut bien entendu s’appuyer sur des technologies innovantes voire de l’intelligence artificielle (certaines sociétés commencent à en parler) mais il serait dangereux de s’affranchir d’une interprétation humaine, collective et collaborative. De nombreux outils numériques dédiés à la gestion des situations complexes sont aujourd’hui proposés sur le marché mais aucune de ses solutions ne permet d’anticiper des situations complexes. Leur intérêt se limite à faciliter le suivi de la situation et son traitement. 

Les informations doivent être comprises et interprétées dans un délai très court pour justement anticiper la situation à venir. En s’appuyant sur les principes des HRO (High Reliability Organizing) et des FOH (Facteurs Organisationnels et Humains), nous apportons à la réflexion une dimension humaine incontournable et surtout objective à la situation rencontrée. Le risque de s’appuyer uniquement sur des "outils intelligents" serait de leur accorder une telle confiance qu’on pourrait ne plus être capable d’identifier l’événement redouté imprévu…

Afin d’anticiper cette vulnérabilité, il s’agit donc d’être en capacité d’assurer une veille permanente de tous les signaux précurseurs qui pourraient l’identifier. En croisant les informations qui sortiraient du bruit de fond, nous pourrions alors mesurer que telle ou telle fonction de l’organisation est impactée de façon plus ou moins importante, grave, ou durable. Une fonction impactée peut aussi, par effet domino, impacter une autre fonction. En croisant les informations et les vulnérabilités identifiées, il devient alors possible de mesurer le niveau de fragilité de l’organisation dans sa globalité. En reprenant un terme de l’aviation civile, nous évaluons alors la réduction de la distance à l’événement redouté (et donc à l’accident ou la catastrophe) en associant l’ensemble des événements non souhaités. Cette méthode permet d’anticiper un événement redouté prévu faisant même l’objet d’un plan spécifique mais elle présente surtout l’énorme avantage de pouvoir identifier aussi toute autre situation qui aurait jusqu’alors échappé à toute prévision ou imagination !

En anticipant cette probabilité, les premières mesures permettent de mettre en place les barrières destinées à empêcher ou repousser cet événement redouté et de lui redonner une distance acceptable à l’accident.

Dans un deuxième temps, et toujours en se basant sur l’analyse des signaux précurseurs, nous pouvons aussi anticiper la mobilisation de moyens humains et matériels qui permettraient d’intervenir précocement s’il n’était pas possible d’empêcher la survenue de l’événement redouté.

Il s’agit bien aujourd’hui d’apporter une nouvelle dynamique aux dispositifs de crise en croisant les apports des nouvelles technologies avec une réelle expertise en gestion de crise. L’intérêt de cette anticipation prédictive permet d’accompagner les acteurs publics comme privés dans l’évolution de leur doctrine pour incorporer de nouveau facilitateurs décisionnels.

De nouveaux services à forte valeur ajoutée vont ainsi pouvoir voir le jour tels que l’assistance à maîtrise d’ouvrage dans le domaine du management des crises. Il s’agit désormais d’accompagner l’organisation de façon globale dans la mise en place de son dispositif de veille, de réponse face aux situations complexes et de capitalisation des enseignements et bonnes pratiques sur la base des retours d’expérience en développant le concept d’organisation apprenante. Cet accompagnement peut être complété avec la mise en œuvre d’une organisation spécifique et adaptée aux besoins du client comme la professionnalisation des acteurs impliqués dans le dispositif, la mise en œuvre d’exercices de crise et la mise en œuvre effective des mesures correctives.

Le dispositif de crise n’existe plus en tant que tel mais il devient un dispositif de mesure de la fiabilité globale de l’organisation capable de réagir quasi-instantanément lorsqu’une vulnérabilité est détectée.

Bien entendu, l’organisation doit s’adapter à ce nouveau mode de fonctionnement et les personnels doivent être pleinement impliqués dans ce dispositif. Il ne s’agit pas de bouleverser les organisations en place mais bien d’intégrer dans le processus décisionnel les différentes interactions qui doivent exister entre les différentes cellules composant un centre de crise et de bien dissocier les différents niveaux décisionnels quand ils existent (stratégique, tactique et opérationnel). Chaque acteur doit parfaitement connaitre son rôle et ce que l’organisation attend de lui. A l’instar d’une équipe de rugby ou d’un orchestre philarmonique, chacun doit prendre toute sa place sans prendre la place de l’autre.

Passer de la gestion de crise à la fiabilité est un véritable changement de paradigme. Il s’agit d’aborder le sujet sous un angle positif plutôt que négatif. Depuis des années, les organisations s’intéressent d’abord aux erreurs et à la façon de les éviter.

Le principe de la fiabilité est de s’intéresser au fait que l’ensemble des acteurs soit en capacité de réagir efficacement de façon permanente. Même en étant fatigués, ou soumis à un stress particulier, ces acteurs sont-ils encore capables de garantir le niveau de performance requis et de développer les compétences utiles à la gestion de la situation rencontrée ? A noter que contrairement aux idées reçues, ces compétences requises sont avant tout

des compétences non techniques. Pour prendre l’exemple appliqué dans le domaine de l’aviation civile, les pilotes remettent en jeu leur "permis de piloter" tous les six mois. Pour conserver leur qualification, ils sont évalués sur la base de neuf compétences, donc cinq sont non techniques : la prise de décision, le leadership, la communication, la gestion de la charge de travail et la conscience de la situation.

Ces compétences viennent compléter leurs compétences techniques et permettent d’estimer si le pilote est en capacité ou non d’exercer son métier efficacement et en toute sécurité. Pour développer ces compétences, il nous semble indispensable de pouvoir les exercer au quotidien. En faisant l’effort d’appliquer les bonnes pratiques au quotidien, il y a de fortes chances d’appliquer le même comportement en situation exceptionnelle, complexe, ou sous l’effet du stress.

 

CONCLUSION

Pour conclure, nous devons aujourd’hui professionnaliser nos dispositifs de crise et ne plus les dissocier de nos organisations. La gestion d’une crise n’est que la continuité d’une situation habituelle qui s’est dégradée. Des outils et des méthodes peuvent nous permettre de les anticiper de façon prédictive veillant de façon permanente des signaux précurseurs. L’analyse de ses signaux par des outils technologiques associés à une analyse humaine permettront de prendre de l’avance sur une situation qui pourrait dégénérer et de mettre en place les barrières qui empêcheront l’accident d’arriver ou d’en limiter ses effets.

Cette fiabilité repose avant tout sur l’humain et le collectif. L’intelligence collaborative est une force ou chaque acteur a son rôle à jouer. Mettre en œuvre ces méthodes de travail, de raisonnement, de réflexion de façon quotidienne permettra à l’ensemble de l’organisation de développer sa capacité à faire face à tout type de situation, prévue ou non. 

C’est en associant la robustesse d’une organisation et les relations entre les personnels qui la composent qu’elle sera en mesure de développer de façon naturelle sa capacité de résilience.

Ludovic Pinganaud

27/06/2022

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