Petit Essai de Déconfinement Métaphysique d’un DRH par Temps de Catastrophe

09/04/2020 - 41 min. de lecture

Petit Essai de Déconfinement Métaphysique d’un DRH par Temps de Catastrophe - Cercle K2

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Olivier GRAMAIL est Directeur des Relations Humaines et de la Transformation de Mutex – Groupe VYV

 

« Leibnitz ne m’apprend point par quels nœuds invisibles,

Dans le mieux ordonné des univers possibles,

Un désordre éternel, un chaos de malheurs,

Mêle à nos vains plaisirs de réelles douleurs,

Ni pourquoi l’innocent, ainsi que le coupable,

Subit également ce mal inévitable » [1].

 

La pandémie COVID-19 nous place depuis quelques semaines, globalement et collectivement, face à un gouffre béant d’incertitudes. A l’heure où la moitié de l’humanité se trouve confinée, où les journaux télévisés recensent jour après jour des nombres sans cesse croissants de malades et de morts, nos sociétés semblent comme frappées de sidération et ce, quelles que soient leurs cultures ou états de développement économique.

La pandémie révèle sa nature apocalyptique (au sens étymologique du terme) et dévoile crûment l’état d’impréparation, la fragilité systémique de nos sociétés globalisées, interconnectées face à un aléa qui était pourtant prévisible. « Nous savions, mais nous ne voulions pas croire ce que nous savions »[2] sera certainement un commentaire que nous entendrons au moment où se mettront immanquablement en place les commissions d’enquête des assemblées parlementaires qui auditionneront les responsables politiques et scientifiques dans quelques mois pour revenir sur les causes et responsabilités de cette catastrophe. Car ce que nous sommes en train de vivre n’est pas une simple « crise » : c’est une « catastrophe », qui se déduit bien sûr de son bilan épidémiologique humain déjà dramatique, mais également des conséquences sombres de la « contamination » inéluctable et durable de la pandémie sur l’économie mondiale et peut-être sur la stabilité géopolitique.

En France, il sera alors facile de rejeter la faute de l’impréparation sanitaire de notre pays sur tel ou tel politique ou scientifique, mais peut-être pourrons-nous convoquer sur le banc des accusés des responsables de notre « étrange défaite »[3], une opinion publique qui se défie des élites politique et scientifique, des Cassandre et autres prophètes de malheur.

Depuis maintenant plus de 3 semaines, je suis un DRH « confiné à l’arrière » qui se bat avec résolution pour permettre la continuité d’activité de mon entreprise et pour accompagner à distance nos collaborateurs qui télétravaillent massivement. Mobilisé par l’urgence de la mise en place des différentes actions adaptatives inhérentes à ma profession, « le nez dans le guidon », j’ai néanmoins ressenti une peur soudre insidieusement : celle de risquer de ne pas percevoir ce qui est déjà à l’œuvre dans ces temps de grand chamboulement, une sorte de peur métaphysique du vide.

Je ne suis ni philosophe, ni sociologue et donc peu qualifié pour légitimement aborder ces questions philosophiques qui me taraudent depuis quelques jours. Je ne suis qu’un praticien opérationnel inquiet face au risque de se trouver désarmé lorsque les conséquences déstabilisatrices de cette épidémie se feront sentir profondément sur le collectif de travail que je contribue à animer.

Ce texte n’a ainsi pas d’autre ambition -intéressée- que de partager des questionnements et des intuitions et de susciter un débat sur la finalité de la fonction RH « après la catastrophe » :

  • La pandémie du COVID-19 déclenche une catastrophe qui va modifier profondément, en accélérant certains processus déjà engagés, le rapport que nous avons avec le travail et l’entreprise.
  • Les DRH, qui n’étaient pas toujours légitimement perçus dans la plénitude de leurs attributions, devront jouer un rôle central dans la recomposition des communautés de travail.

 

I- Une catastrophe qui va profondément modifier la relation aux risques dans les entreprises

A - La pandémie du COVID-19 a déclenché une catastrophe mondiale sans précédent en temps de paix dans l’histoire de l’humanité.

La crise sanitaire du COVID-19 : les premiers développements de la catastrophe.

Il est toujours délicat  -et risqué ! - d’écrire à chaud sur un phénomène toujours en cours, mais surtout extrêmement complexe pour des profanes du fait de son caractère scientifique et médical, mais également du faits des intrications globalisées et multiples de ses effets sur les plans financiers, économiques, sociaux et potentiellement géopolitiques.

Depuis le 17 mars dernier, nous assistons au décompte morbide des morts de la journée, à l’engorgement inquiétant des services d’urgence et de réanimation de nos établissements de santé débordés, et nous célébrons, quasi-impuissants, le dévouement exceptionnel de nos personnels soignants et de tous les héros du quotidien qui parent aux nécessités vitales dans une situation de dénuement de moyens criante. De façon tout aussi impuissante, nous constatons l’effondrement simultané des marchés financiers partout dans le monde[4], illustration de l’extrême interdépendance de nos économies globalisées dans un contexte de crise sanitaire touchant en même temps quasiment tous les pays, quelque soit leur état de développement ou leur santé économique. Avec les indices boursiers, c’est le moteur de la confiance en l’avenir qui vacille partout.

En situation pénurique, on constate la mise en œuvre ouvertement de comportements de puissance et de prédation, y compris entre alliés, pour l’accès aux médicaments et aux matériels de soin de première nécessité[5]. Face à la crise sanitaire qui ravage la France, et la volonté de faire le nécessaire « quoi qu’il en coûte »[6], 1 salarié sur 5 (4 millions de personnes) se retrouve en chômage partiel, pour un coût estimé le 3 avril 2020 à 11 milliards d’euros. Le fond de solidarité pour les petites entreprises et les indépendants devrait coûter 1,7 milliards d’euros. Et c’est sans compter le report accordé pour le paiement des cotisations sociales et fiscales qui devrait représenter un manque à gagner de près de 32 milliards d’euros par mois. Dans ces conditions, il est certain que le déficit public va exploser.[7]

 

Retour d’expérience des 4 dernières semaines en tant que DRH de Mutex-Groupe VYV

Je tiens en premier lieu à signaler que j’estime être un DRH chanceux par rapport à nombre de mes confrères qui doivent accompagner depuis 3 semaines des situations humaines et professionnelles parfois dramatiques. Je veux ainsi rendre hommage à tous ces professionnels des établissements médico-sociaux, des enseignes de distribution, des entreprises de logistique, de nettoyage _il est impossible d’être exhaustif_ qui ne comptent ni leur énergie ni leurs heures pour organiser la continuité d’activités sur lesquelles nous comptons tous pour tout simplement vivre. J’adresse également un hommage tout aussi fraternel à mes collègues qui doivent prendre des mesures de chômage partiel et faire face à l’inquiétude de leurs collaborateurs dont l’activité se trouve brutalement interrompue.

Mutex est une société d’assurance du Groupe VYV qui commercialise en B2B des produits de prévoyance et d’assurance-vie pour le compte de mutuelles distributrices comme Harmonie Mutuelle ou la MGEN. Nos 630 collaborateurs sont tous équipés depuis 2 ans de moyens informatiques portables qui leur permettent tous de télétravailler et d’évoluer au sein de notre entreprise qui est organisée en « flex office ».

De ce fait, mon retour d’expérience (mon RETEX comme le disent les militaires) n’est à ce stade, que celui d’une application d’une gestion de crise et d’un plan de continuité d’activité (PCA) « by the book » :

  • Ainsi, nous avions pu profiter des grèves des transports survenues à la fin de l’année 2019 à l’occasion de la présentation de la réforme des retraites, pour expérimenter massivement le recours au télétravail, au-delà des 45% de nos collaborateurs qui disposaient déjà, de la possibilité de télétravailler au moins une journée par semaine.
  • Avant la déclaration de la mise en confinement effective le 17 mars à midi, Mutex a activé sa cellule de crise, avec une réunion des membres du COMEX, d’abord deux fois par semaine puis quotidiennement.  
  • Nous avions anticipé depuis 10 jours la possible fermeture physique de notre bâtiment appelé le Synapse, organisé la configuration des postes de travail, très largement ouvert techniquement les accès distants via VPN, communiqué pour que les collaborateurs emmènent avec eux tous les soirs leur matériel informatique.
  • Lorsque le confinement a été ordonné par les autorités, la quasi-totalité de nos collaborateurs et de nos prestataires étaient déjà placés en télétravail depuis la veille. Nous avons organisé la mise en place d’une cellule de continuité de services sur site pour permettre la numérisation de courriers entrants et la délivrance de services informatiques indispensables au télétravail (réparation de pannes ; récupération de matériel…), soit 4 personnes présentes sur site selon des horaires réduits 3 jours par semaine. Il a également été nécessaire d’adapter certaines organisations de services dont l’activité s’est trouvée brusquement réduite pour réaffecter temporairement les collaborateurs sur des activités maintenues.
  • Dès le début du confinement, nous avons renforcé l’organisation de notre service de proximité RH « virtuelle » pour informer, rassurer nos collaborateurs, gérer les situations individuelles et permettre l’adaptation dans les premiers jours du confinement. Nous avons également activé une ligne téléphonique de soutien psychologique à destination de nos salariés en partenariat avec le cabinet Stimulus.
  • Afin de maintenir le lien, nous avons adapté nos dispositifs de communication interne, avec la création d’une newsletter bihebdomadaire, la diffusion de conseils pour s’organiser en télétravail confiné, de sondages réguliers, la mise à disposition de supports d’animation à destination des managers…
  • Il a été nécessaire de mettre en œuvre la veille juridique et règlementaire pour évaluer en temps réel l’impact et l’applicabilité des ordonnances prises dans le cadre de la loi d’habilitation sur l’état d’urgence sanitaire.
  • Les relations sociales ont continué d’être animées normalement avec des réunions du Comité Social et Economique (CSE) et de la Commission Santé, Sécurité et des Conditions de Travail (CSSCT) qui se sont tenues normalement en vidéoconférence et audioconférence, avec organisation sécurisée des votes de motions et de recueils d’avis, avec signature des ordres du jour et documents officiels via la solution Universign. Nous avons également institué la mise en place d’une instance de dialogue social ad hoc hebdomadaire, réunissant la Directrice Générale, le DRH et les 2 secrétaires du CSE et CSSCT, ainsi que deux représentants par organisation syndicale représentative.
  • Les activités RH opérationnelles (et même les travaux qui avaient été initiés en mode projet) sont conduites normalement, qu’il s’agisse du recrutement, de l’organisation de formations en e-learning dont l’ensemble du catalogue a été ouvert aux collaborateurs, la paie et la gestion administrative.
  • Nous avons également pu accompagner et amplifier des initiatives prises par des collaborateurs engagés dans la lutte contre le SARS-CoV2, virus responsable de l’épidémie COVID-19, qui ont créé une association de « makers » qui impriment bénévolement des pièces 3D destinées à fabriquer des visières de protection pour les personnels soignants, ainsi que des raccords de masques de plongée pour les transformer en masques à oxygène.

Je considère ainsi que, jusqu’à présent, nous avons été de « bons élèves » de la gestion de crise et nous avons mis en application beaucoup des « bonnes pratiques », ce dont nos collaborateurs nous en savent ouvertement gré.

Pourtant, force est de constater que ce que nous vivons actuellement n’avait absolument pas été anticipé dans notre cartographie des risques majeurs ou dans notre plan de continuité d’activité. Surtout, si nous avons été en mesure de nous adapter jusqu’à présent, nous ne sommes pas préparés à ce qui m’apparaît être déjà, non pas une simple crise, mais une catastrophe.

Plus qu’une crise, une catastrophe.

Une crise[8] marque l’accélération d’un processus qui était déjà engagé. Cette notion induit une possibilité d’action pendant que le phénomène est en cours (la « gestion de crise ») pour en limiter les effets et un « retour à la normale » une fois qu’il est terminé. Une catastrophe[9] marque une fracture fondamentale qui rompt la continuité avec ce qui était auparavant. Il pourrait être tentant de relativiser le caractère catastrophique de la pandémie COVID-19 en comparant celle-ci avec les grands épisodes épidémiques du passé qui ont provoqué plusieurs dizaines de millions de victimes.

Nous vivons pourtant d’ores et déjà un désastre qui va s’amplifier. Le caractère catastrophique de la pandémie COVID-19 se déduit déjà de ses conséquences instantanément globales et de la peur qu’elle a entraînée en quelques semaines sur toute la planète. Avec, au moment où j’écris ces lignes, la moitié de l’humanité qui se trouve confinée, c’est un risque de dépression économique majeure qui pourrait survenir dans les prochains mois. Surnommé « Dr Doom » par les médias car il avait prédit dès 2007 la crise financière qui allait frapper le monde un an après, Nouriel Roubini a bien décrit les mécanismes de contamination successifs pouvant s’enclencher dans des économies hautement globalisées : « l’apparition d’une maladie financière dans le moteur de l’économie mondiale peut rapidement se transformer en une pandémie dévastatrice »[10]. Interrogé le 25 mars dernier sur les impacts prévisibles de la pandémie COVID-19 sur l’économie américaine et mondiale, Nouriel Roubini précise que la crise économique qui s’annonce devrait provoquer une récession beaucoup plus sévère que la crise de 2008. Il s’agirait alors, selon lui, du scénario le plus favorable susceptible de ne se réaliser que s’il s’établit rapidement un parfait alignement de plusieurs planètes : une pandémie contenue par des mesures de confinement drastiques et respectées et par l’accès de tous les malades aux soins ; la poursuite d’une politique monétaire continuant de privilégier la mise en œuvre de mesures « non-conventionnelles » (avec des taux d’intérêts à zéro, voir négatifs, l’accès largement ouvert à des mesures de quantitative et credit-easing) ; une injection massive de mesures financières et fiscales de soutien à la production pour éviter l’installation d’une crise macroéconomique de l’offre et la mise en place tout aussi massive de mesures de défiscalisation et de distribution « d’argent par hélicoptère » à destination des ménages pour éviter la superposition d’une crise macroéconomique de la demande provoquée par une hausse massive du chômage. Que ce parfait alignement des astres ne se réalise pas et c’est le désastre historiquement terrible de la dépression qui guetterait alors le monde[11].

Ainsi, « si l’aléa naturel existe, qu’on ne peut empêcher, c’est bien la vulnérabilité sociale qui transforme le phénomène en catastrophe »[12]. Il est évident que les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité, sont et seront durablement affectées par la récession économique sévère qui va résulter de la pandémie et ce, même si nous parvenons à la juguler rapidement grâce à la découverte d’un vaccin ou de traitements thérapeutiques efficaces. Dans ce maelstrom, des entreprises vont disparaître et, dans les pays ne disposant pas de mécanismes de régulation et de stabilisation économique robustes, la paupérisation rapide de populations croissantes de chômeurs risque d’entraîner des troubles sociaux accélérant la fragilisation économique de ces états.

Face à ces prévisions sombres, qui je l’espère ne se réaliseront pas pleinement, il me semble important que les dirigeants d’entreprises et les DRH puissent prendre conscience de la mortalité des entités dont ils conduisent les destins et développent une sorte de « métaphysique » appliquée à l’entreprise : les temps de catastrophes sont également ceux pendant lesquels il nous est possible de penser les conditions de l’émergence d’un monde nouveau.

 

B - Penser la catastrophe dans les entreprises et la relation aux risques.

Plaidoyer pour une pensée du « catastrophisme éclairé » en entreprise.

Dans un court essai paru en 2002, Jean-Pierre Dupuy a lancé un appel « pour un catastrophisme éclairé » pour penser une attitude philosophique susceptible de nous aider à nous protéger de nous-mêmes quand l’impossible est certain : « le catastrophisme éclairé consiste à penser la continuation de l’expérience humaine comme résultant de la négation d’une autodestruction _ une autodestruction qui serait comme inscrite dans son avenir figé en destin »[13]

Penser la catastrophe dans l’entreprise serait un moyen d’introduire une forme de pensée métaphysique, non pas pour s’installer dans une forme de contemplation morbide, mais pour être dans l’action. Il s’agirait de penser une nouvelle forme d’éthique du dirigeant, mais aussi d’une prise de conscience de la possible mortalité d’un collectif de travail par toute la communauté des « collègues » (étymologiquement, ceux avec qui l’on est, que l’on a élu ou choisi).

Les temps de catastrophe nous renvoient à ce qui est « l’orgueil métaphysique de l’humanité moderne : tout ce qui fait la finitude de l’homme est rabattu au rang de problème que la science, la technique, l’ingéniosité humaine permettront tôt ou tard de résoudre. La mort elle-même est vue comme un problème ainsi que la nature lorsqu’elle nous fait obstacle »[14].

Une conséquence dommageable de la catastrophe COVID-19 pourrait être de renforcer encore davantage la défiance vis-à-vis des élites, politique, scientifique mais également au sein des entreprises. Pourtant, les scientifiques alertent sur l’émergence d’un risque pandémique par un virus de type grippal depuis 1995. Dans un ouvrage paru en 2005[15], le pneumologue Jean-Philippe Derenne indiquait que « le risque de pandémie grippal est grand, qu’il va durer, que les moyens de l’éviter sont faibles et que les traitements manqueront (…). Les conséquences médicales et non médicales de la lutte contre la pandémie impliquent le politique à son plus haut niveau et la démocratie dispose de moyens pour affronter cette épreuve ». Force est de constater que notre démocratie n’a pas souhaité regarder en face ce risque pandémique : les commissions d’enquête parlementaires qui se mettront en place permettront de rechercher les causes d’explication de ce qui est déjà une « étrange défaite »[16].  

Cette catastrophe doit être aussi l’occasion, dans nos entreprises, de questionner ce qui pourrait apparaître comme une illusion d’une hyper-maîtrise technicienne du risque : comme l’indique Jean-Pierre Dupuy, « l’homme comme problem-solver ne sait pas ce qu’est un destin, ni l’homo faber la contingence. Leurs rêves de maîtrise risquent d’engendrer des monstres qui nous dévoreront »[17].

Les insuffisances des plans de continuité d’activité (PCA) dans les entreprises.

Les grandes crises ont été l’occasion d’instituer des mécanismes prudentiels de pilotage des risques destinés à prévenir la survenance de nouvelles catastrophes et de leurs impacts mortifères sur nos économies et nos entreprises. Ainsi, les attentats du 11 septembre 2001 ont eu notamment pour conséquence la diffusion de la production de cartographies des risques et des plans de continuité d’activité (PCA) dans de nombreuses entreprises, et notamment dans les plus grandes. La crise financière de 2008 a également conduit à l’adoption de la directive européenne du 25 novembre 2009 établissant de nouvelles règles prudentielles de solvabilité pour toutes les entreprises du secteur des assurances[18].

Pourtant, force est de constater qu’un grand nombre d’entreprises, pourtant dotées de PCA rédigés en bonne et due forme, ont démontré leur impréparation pour « switcher » en mode télétravail lorsque le confinement a été annoncé le 16 mars à 20h00 par le Président de la République, pour une mise en place le lendemain midi[19].

Au-delà de la probable incomplétude opérationnelle de nombreux PCA, qui nécessitera l’organisation de RETEX détaillés dans toutes nos entreprises, il est possible d’émettre l’hypothèse que cette impréparation est due à une incapacité de nombreuses entreprises à considérer pleinement en face, dans leurs cartographies et outils de monitoring de risques, les risques et scenarii extrêmes et potentiellement mortels pour elles. Ces outils excluent très souvent les « cygnes noirs » [20], c’est-à-dire des évènements imprévisibles, ayant une faible probabilité de survenir mais qui, s’ils adviennent, ont des conséquences d’une portée considérable et exceptionnelle. La post-rationalisation de ces cygnes noirs conduit la plupart du temps à constater que les informations qui auraient permis de prévoir la catastrophe étaient disponibles mais qu’elles ont été ignorées par les outils de pilotage et de minimisation des risques. Il existe ainsi dans nos PCA des « biais cognitifs » qui conduisent les entreprises à ne pas penser pleinement leur faillibilité ultime, notamment pour des considérations financières et budgétaires. Au-delà d’un biais méthodologique, cette incapacité met en lumière également un « biais éthique », une marque de responsabilité imparfaite de la part des dirigeants vis-à-vis de la communauté des collaborateurs.

L’illusion de fausse protection induit par la compréhension a postériori de ces « cygnes noirs » ayant permis la mise à jour des cartographies des risques et des PCA, ainsi que l’insuffisance de la réflexion sur l’éthique de responsabilité de long terme dans le monde financier et dans les entreprises conduisent malheureusement les observateurs à considérer que les situations et le temps qu’ils vivent sont différents du passé calamiteux qu’ils ont analysé[21] et nous condamne, en une sorte de destin funeste, à une répétition irrémédiable des crises économiques et financières  et à l‘occurrence de faillites.

Il est toujours possible d’espérer que la pandémie du COVID-19, qui ne manquera pas d’impacter fortement nos entreprises, permettra de diffuser un peu plus, sans doute avec un rôle instrumental important de la part des DRH, cette pratique du « catastrophisme éclairé », notamment pour repenser ces communautés sociales de travail que sont les entreprises.

 

II- Après la catastrophe, le DRH au cœur de la recomposition des communautés de travail en entreprises augmentées.

 

A - La pandémie COVID-19 risque de conforter la défiance des Français vis-à-vis des entreprises, et notamment les plus grandes d’entre elles, si celles-ci ne s’emparent pas des enjeux posés par cette catastrophe.

Pour paraphraser Paul Valery, la catastrophe liée à la pandémie COVID-19 pourrait conduire au constat suivant : « Nous autres, entreprises, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », pas simplement en tant que personnalités morales autonomes qui peuvent faire faillite, mais en tant que concept, en tant que projets collectifs d’organisation du travail.

Une défiance constante des salariés français pour leurs (grandes) entreprises.

De fait, une prise en compte insuffisante des changements induits ou accélérés par la pandémie COVID-19 pourrait renforcer encore la très forte défiance qu’expriment les français vis-à-vis de « la catégorie Grande Entreprise » depuis le milieu des années 1990. En mai 2019, la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) a publié une enquête réalisée dans 42 pays démocratiques en lien avec la fondation américaine International Republican Institute[22]. Cette enquête contient des informations sur la perception des grandes entreprises dans ces pays. Ainsi, en moyenne, seules 41% des personnes interrogées (avec cependant de forts contrastes comme par exemple seulement 33% en France ou moins de 30% en Allemagne) disent faire confiance aux grandes entreprises. L’enquête a permis de tester la popularité de 16 institutions : les grandes entreprises arrivent en moyenne à la 11ème place des institutions les plus populaires, mais seulement en 12ème position en France et 15ème place en Allemagne. Il faut cependant noter qu’avec 78% de taux de confiance moyen, les PME ou TPE ne souffrent pas du même niveau de désaffection que les grandes entreprises. Il apparaît néanmoins que, quelle que soit leur taille, le niveau de confiance envers les entreprises est moins important dans les pays de l’Union Européenne que dans les pays anglo-saxons ou scandinaves. De manière nette, cette défiance envers les grandes entreprises s’accompagne de l’expression d’une forte angoisse face à la mondialisation perçue comme une menace, une atteinte à nos modes de vie et comme leur bénéficiant en premier lieu.

Selon une étude ADP du 19 juillet 2019, 35% des salariés français (contre 25% des salariés allemands) pensaient que leur emploi sera automatisé dans les 15 prochaines années. Selon une enquête Glassdoor d’avril 2019, 30% des salariés français affirmaient craindre de perdre leur emploi au cours de l’année alors même que le taux de chômage était alors à un niveau historiquement bas. Ce sentiment d’insécurité s’explique très largement par les nombreux cycles de restructurations et par une forme de « préférence française pour le chômage »[23].

Cette défiance et cette crainte de l’avenir des salariés français ont déjà conduit, depuis plus de 15 ans, à constater un très fort niveau de désengagement (avec un impact direct sur le niveau de performance), d’absentéisme moral et de « reluctance sociale »[24] chez de nombreux collaborateurs. Selon une enquête The Workforce View in Europe 2019[25], il apparaît que les Français demeurent toujours parmi les salariés européens les plus stressés, un répondant sur cinq déclarant subir un stress quotidien au travail, 31% pensant que leur employeur ne s’intéresse pas du tout à leur bien-être psychologique et 41% affirmant que cet intérêt, lorsqu’il existe, n’est que superficiel et intéressé. L’insuffisant investissement sur les questions de qualité de vie au travail (QVT), l’intensification des rythmes de travail et les logiques de recherche d’efficience en flux tendus, leurs lots de burn-out et d’absentéisme, contribuent à distendre encore un peu plus le lien entre les salariés et leurs entreprises. Il en est de même avec l’apparition de nouvelles catégories de travailleurs pauvres qui ont garni les rangs des gilets jaunes qui ont nourri les mouvements de contestation sociale de la fin de l’année 2018 à l’été 2019[26].

Ce mouvement de désintermédiation sociale a également été révélateur d’une crise des élites et des autorités légitimes et a touché également « la tête dirigeante » de nos grandes entreprises. C’est la conception française de l’autorité qui a longtemps conduit aux postes de commandes de nos entreprises des dirigeants autoritaires, pétris de « logique de l’honneur »[27], mais pas toujours authentiques ou exemplaires qui est aujourd’hui battue en brèche. Il devient urgent de réconcilier les salariés avec leurs dirigeants d’entreprise, en promouvant notamment une conception du « leadership comme éthique de responsabilité » selon lequel, « commander, c’est servir »[28] et se mettre au service de la communauté professionnelle.

 

Une fonction RH toujours contestée mais qui doit se saisir du moment pour asseoir durablement sa légitimité au service des collectifs de travail.

Le « HR Bashing » n’est pas un phénomène nouveau[29] et il demeure vivace dans nos entreprises[30]. Encore trop souvent, la fonction conserve une image dégradée. On lui reproche d’être trop éloignée du terrain et des réalités du business ou de ce que vivent les salariés, de rester trop centrée sur des expertises et des techniques RH (relations sociales et droit du travail, recrutement, formation…) et de mettre en œuvre des politiques peu transparentes ne garantissant pas l’équité dans l’entreprise.

Si la fonction a fait l’objet d’une reconnaissance au travers de son accession largement répandue aux comités de direction[31], il n’en demeure pas moins que les DRH occupent un emploi placé au cœur d’injonctions paradoxales, ce qui ne contribue pas à les rendre toujours légitimes aux yeux des collaborateurs. Comment l’être en effet quand, après avoir construit et négocié des dispositifs de moyen terme de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences, le DRH doit brutalement changer de cap et devenir le chef d’orchestre de plans d’économie drastiques avec à la clef, la mise en place d’un « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) ? Comment lutter alors, lorsque l’on est DRH, contre l’image dégradante et injuste de « l’exécuteur », du coupeur de têtes servile à la botte des directions générales avec lesquelles il serait de mèche pour « dissoudre le lien social et instaurer une culture de la peur »[32] ? Pour ne pas rester cantonnés dans un rôle bien pratique de « bouc émissaire de tous les maux vécus par les collaborateurs, dédouanant de fait les autres acteurs internes et externes », les DRH doivent développer « leur rôle en tant qu’activistes crédibles » (notamment en renforçant le couple qu’ils/elles forment avec leur PDG/DG) et répondre par la réflexion et l’action aux faiblesses récurrentes de la fonction RH qui leur sont opposées depuis longtemps[33].

Beaucoup de mes collègues mettent en exergue la « solitude métaphysique » de leur fonction, une sorte d’expression d’un Da-Sein[34] » du DRH : le DRH serait ainsi un être particulier et paradoxal, à qui son propre être importe, qui est confronté à la possibilité de sa propre mortalité[35], en a conscience, vit en relation avec ses semblables et qui, tout en étant enfermé dans sa solitude, est toujours au monde ».

Les temps de catastrophe sont des le moment propice pour se réinventer, refonder son utilité aux autres.

 

B - Le DRH doit devenir le promoteur d’une « entreprise augmentée et pleinement vivante[36] ».

La catastrophe va conduire à l’accélération d’aspirations, de tendances et de pratiques qui étaient déjà à l’œuvre.

Dans son ouvrage[37], le philosophe François Jullien met en lumière « les transformations silencieuses » comme les éléments d’un changement que nous ne savons pas toujours percevoir avant qu’il n’advienne. Cette cécité serait induite, notamment dans les sociétés occidentales, par notre habitude de penser de façon rationnelle, téléologique et performative (d’une certaine manière, à vouloir conformer le futur à notre volonté), sans prêter suffisamment attention aux processus qui sont déjà à l’œuvre, subrepticement, et qui conditionnent le changement, la survenance de l’évènement. Dans la philosophie chinoise, le sage ou le stratège[38] est celui qui observe son environnement qui, comme le ciel est en constant renouvellement[39], et qui recherche le Tao, c’est-à-dire la voie par laquelle le mouvement, l’énergie, le changement doivent passer. Il s’agit alors « d’aider ce qui vient tout seul » comme dit le Lao-Tseu[40].

C’est peut-être à l’aune de cette sagesse que nous devrions peut-être reconsidérer notre pensée stratégique dans nos entreprises, mais également les conditions de nos adaptations dynamiques et de nos résiliences pour compléter nos cartographies de risques et nos PCA parfois par trop figés et technocratiques.

Pour le DRH, l’ouverture à ces formes de sagesse, l’attention à tous les « signaux faibles » peut-être un moyen d’enrichir son rôle dans nos entreprises. Rejetant le fantasme de devenir « Chief Happiness Officer » en charge de formater et de promouvoir un impossible « bonheur au travail » (au nom de quoi ? avec quelle légitimité pour le faire ?!), le DRH pourrait « labourer » plus profondément le champ de la cohésion et de la recherche d’harmonie professionnelle et sociale.

Loin de se laisser aller à une forme d’ataraxie spectatrice, les DRH stratèges vont devoir accompagner certaines tendances qui sont déjà là.

Le développement généralisé du télétravail et de l’amélioration de la qualité de vie au travail.

Le rapport des Français au travail est ambivalent et parfois prompt à suivre les prophètes qui en prédisent la fin[41]. Pourtant, il semble bien que la fin du travail ne soit pas pour demain[42] et, selon l’Institut pour le futur, 85% des emplois de 2030 n’existe pas encore. La catastrophe COVID-19 et la crise économique qui va s’ensuivre vont nécessiter de travailler très activement à la reconstruction de nos économies.

Observateur de la crise économique de 2008, et de l’efficacité des réformes Hartz du marché du travail menées en Allemagne entre 2003 et 2005 pour lutter contre le chômage[43], l’économiste Philippe Dessertine indique que « le télétravail, et ses dérivés, le travail à domicile, dans une proximité très forte du milieu de vie et du milieu professionnel ont des caractéristiques plus douces que cet emploi externalisé devenu dominant. Il n’implique pas une rupture avec le milieu familial, renouant avec des modèles ancestraux (…). Les enquêtes menées dans les très nombreuses expériences de travail à la maison démontrent toutes que les personnes travaillent davantage devant un ordinateur intégré à leur cadre de vie[44] ». Pour ce qui concerne mon entreprise, je suis en mesure de confirmer cet impact très positif sur la productivité actuelle de nos collaborateurs constaté lors de ces 3 premières semaines de confinement, mais également à l’occasion des mouvements sociaux dans les transports liés à la réforme des retraites lors desquels nous avions déjà testé massivement le recours au télétravail. Je dirais même que nous sommes davantage confrontés, avec l’expérimentation pour chacun du télétravail, à un risque de surinvestissement et de fatigue (qui devra nous rendre attentif au fait que les collaborateurs se déconnecte bien pour faire des pauses !).

Le télétravail en confinement nous amène à nous interroger spirituellement[45] et philosophiquement sur la valeur du travail et sur la dichotomie classique entre la vision marxiste du travail comme source d’aliénation et la vision kantienne d’un travail comme facteur d’humanisation, de perfectibilité et d’épanouissement.

A mon sens, la généralisation du télétravail sera l’occasion de développer, « dans » nos entreprises, le travail comme une source d’épanouissement, d’autonomisation et d’engagement. Plus que jamais, l’entreprise deviendra moins une entité localisée sur un ou plusieurs « lieux physiques », pour devenir surtout l’incarnation d’un projet collectif, un espace virtuel de réalisation d’une mission et de buts partagés.

La période actuelle est aussi l’occasion de repenser ces différents temps d’activité qui viennent composer notre travail. Il ne s’agit pas ici de distinguer finement entre les différentes formes de travail par origine étymologique[46]. Le développement massif du télétravail, qui ne peut devenir le mode exclusif de la relation professionnelle (car nous avons besoin de nous retrouver physiquement et régulièrement pour faire groupe et travailler au sein d’un collectif), permettra aux collaborateurs pouvant en bénéficier de réduire drastiquement tous les temps parasites et inutiles de commutation, qui ne permettent pas de se consacrer à d’autres temps fondamentaux : se reposer et se ressourcer ; méditer ; apprendre et réfléchir ; éduquer ; pratiquer des loisirs studieux (ce que les latins appelaient « otium »).

De façon contre-intuitive, j’ai pu constater dans mon entreprise que la mise en place du télétravail est l’occasion de significativement améliorer la qualité du management. Le management de télétravailleurs, surtout en période de confinement, doit être accompagné par les équipes RH et requiert des compétences aiguisées : capacité de communication par le sens ; développement de l’écoute active et de l’empathie ; développement de l’autonomisation des collaborateurs ; passage d’un mode managérial de contrôle de tâches confiées à un mode de pilotage de projets etc… Depuis que nous avons mis en place le télétravail partiel, nos managers se sont très significativement améliorés en matière de « management situationnel » (adaptation individualisée du style de management au collaborateur selon son niveau d’autonomie)[47].

La généralisation du télétravail dans nos entreprises sera également l’occasion de nous réinvestir plus activement dans l’éducation de nos enfants. Nombre de nos collaborateurs vivent actuellement l’expérience difficile de concilier le télétravail et le devoir de « faire classe » à leurs enfants confinés avec eux. Nous nous rendons ainsi compte que nous, qui sommes trop souvent entièrement mobilisés par nos activités de « travail productif », avons peut-être trop délégué (abandonné ?) l’éducation de nos enfants à l’école, qui ne peut pas combler l’ensemble des manques éducatifs qui en résultent. Or, « l’éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité et, de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement et sans cette arrivée de jeunes et de nouveaux venus. C’est également avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer d’avance à la tâche de renouveler un monde commun[48] ». Réinvestir le champ de l’éducation de ceux qui seront demain les collaborateurs de nos entreprises est aussi quelque chose qui se joue à l’occasion de la catastrophe que nous vivons actuellement.

Les aspirations à plus de fraternité et de sens dans nos entreprises.

La catastrophe COVID-19 pourrait accélérer une évolution profonde de la manière de concevoir le management avec une disparition des modes de leadership purement autoritaires constitués essentiellement de manifestations agressives d’égo pour leur substituer des logiques de bienveillance, d’intelligence collective et de co-développement.

En tant que DRH, je suis néanmoins frappé par toutes les expressions spontanées de solidarité, de recherche de solutions créatives pour venir en aide aux collègues placés dans des situations de confinement difficile.  Dès le début du confinement, nombreux sont ceux qui se sont manifestés pour se rendre utiles à la collectivité de travail. Dans son « journal de l’année de la peste[49] », paru en 1722, Daniel Defoe relate ses souvenirs des phénomènes qu’il avait pu constater lors de la survenance de la peste de Londres à la fin du 17ème siècle. Il fait état de manifestations d’empathie spontanée et sincères exprimées entre des concitoyens ne se connaissant pas (voilà qui fait écho par exemple aux applaudissements à destination des personnels soignants qui retentissent partout dans le monde à 20h) et la mise sous le boisseau des anciennes divergences et querelles (on peut moins faire ce constat…). Pour l’auteur, ce sont bien l’égalité de tous devant la maladie et la peur de la mort qui ont conduit à cette « avidité d’amour et de relations ». C’est la compréhension intime de la même vulnérabilité de l’autre face à la catastrophe épidémique qui nous conduit spontanément à l’expression de cette empathie et de cette solidarité.

De même, les catastrophes qui nous frappent sont l’occasion de constater le retour à ces gestes d’alliance et de cohésion fondateurs du lien social dans les sociétés primitives que sont le don et le contre-don[50]. Ainsi, il est « un fait qu’aucune entreprise ne pourrait fonctionner si elle ne mobilisait pas à son profit des réseaux de réciprocité cimentés entre les personnes par la loi du don »[51]. Désintéressés et anti-utilitaristes, ces gestes de don et de contre-don dans nos entreprises, exacerbés pendant cette période pandémique, sont la marque d’une aspiration profonde à davantage de collectif et de fraternité dans nos entreprises. C’est un peu comme si, à l’occasion de la catastrophe qui se joue, les salariés répondaient inconsciemment à l’injonction de Carl Gustav Jung : « Tu veux un monde meilleur, plus fraternel, plus juste ? Et bien commence à le faire. Fais-le en toi et autour de toi. Fais-le en petit et il grandira[52] ».

Nous avons probablement poussé trop loin la diffusion des pratiques RH d’individualisation des rémunérations et des dispositifs de reconnaissance de la performance individuelle. En voulant ainsi favoriser l’engagement de nos collaborateurs par la compétition individuelle, nous avons fortement mis à mal la performance collective et les logiques de coopération, transformant ainsi nos entreprises en une sorte de lieu hobbesien d’affrontement de tous contre tous, et en faisant ainsi des objets de désaffection et de non-libération du plein potentiel de nos collaborateurs.

Récemment, nos entreprises ont compris que, pour perdurer en tant que projets collectifs, qu’espaces de constructions de destins professionnels communs, elles se devaient de réfléchir à leurs finalités et rechercher le dépassement de la seule maximisation des profits de leurs actionnaires[53]. « Les entreprises qui fonctionnent sur une base de peur sont en route pour leur extinction[54] ».

De plus en plus d’entreprises se convertissent en « entreprises à mission » dans la lignée du décret d’application de la loi Pacte publiée début janvier 2020. Il permet à ces entreprises de combiner la recherche du profit économique avec une maximisation de leur contribution sociétale. Au-delà de l’identification de leur seule « raison d’être », cette évolution conduit les entreprises qui s’engagent dans cette voie à penser leur impact économique, sociétal, écologique sur leur écosystème global. Ainsi par exemple, le Groupe VYV, dont la raison d’être est de devenir « l’entrepreneur du mieux vivre » porte un projet de société à même de générer du « dividende social », avec l’ambition « d’être utile à tous et à chacun[55] ». Avec « The Why Project », le Cercle de l’Excellence RH[56] a mobilisé les Directeurs Généraux et les DRH de grandes entreprises lors d’un « Grand Forum de la raison d’être » organisé le 27 janvier 2020 au MEDEF, avec l’ambition de « contribuer à une transformation sans précédent et à un changement profond du paradigme de la gouvernance de l’entreprise ». C’est au prix de cet investissement sur leurs raisons d’être et leurs missions que les entreprises pourront survivre en tant que projets collectifs, que communautés de destins professionnels, et ne pas se diluer dans de simples « communautés 2.0 à géométrie variable », simples associations temporaires de fédération de projets ponctuels. De manière globale, à l’issue de la période de catastrophe actuelle, les entreprises auront intérêt à prolonger en leur sein la libération des émotions positives que sont l’altruisme, la solidarité, la bienveillance, la compassion, l’empathie, l’acceptation de la différence… Ce sont là des forces préexistantes, un potentiel de recréation de liens sociaux qu’elles auront tout intérêt à faire fructifier.

La fonction RH augmentée : le Directeur des Relations Humaines et de la Transformation comme artisan de l’émergence de l’intelligence collective dans nos entreprises.

Le philosophe François Jullien[57] commente la fable du paysan Song (écrite par le moraliste Mencius au 5ème siècle avant JC) qui, voulant accélérer la croissance de ses légumes, avait décidé de le faire en tirant sur les jeunes pousses pour constater quelques jours après le ravage de ses cultures. Selon Jullien, cette fable est la parabole de deux erreurs comportementales fondamentales. La première est de rechercher directement un effet à produire sans tenir compte du processus et du temps en cours. La seconde erreur est de ne pas s’occuper de l’environnement dans lequel se déroule le processus observé et de ne pas l’accompagner.

Plus que jamais, à la manière du sage jardinier ou du général de Sun-Tzu, le DRH doit incarner simultanément les rôles de l’homme de terrain et du stratège, « la tête au ciel, les pieds au sol »[58] : ces deux facettes représentent de fait une seule et même réalité. Il est tout à fait possible de « filer la métaphore » en refondant la stratégie et les politiques RH autour de principes de « permaculture RH »[59] [60]: « dans cette « permaculture RH », on retrouve nombre d’éléments décrits dans cet ouvrage : l’entreprise et l’entité comme écosystème, l’interrelation et l’approche systémique, les énergies sociales représentées, la production et la régénération (…). Le design en permaculture a pour objet de restructurer un espace, de l’aménager en conséquence afin de le rendre fécond et durable. Le projet de chaque entreprise, ou mieux, de chaque entité (small business unit) doit partir de son contexte propre pour en déduire son design idéal. En matière RH, il s’agira nécessairement de développer toutes les synergies possibles. Dans cet esprit du design RH, on veille à rendre les différents acteurs complémentaires et totalement coopératifs. Le permaculteur RH s’efforce d’intervenir le moins possible dans le socio-système après sa création, mais il cherche à valoriser tout ce qui est porteur de dynamique et de complémentarité, avec le moins possible d’apports extérieurs ».

En application de la fameuse matrice d’Ulrich[61], le DRH doit devenir ce stratège porteur des logiques de Business partner et de champion du changement : il doit ainsi définir une vision, définir les conditions du changement et créer les conditions pour que les organisations et les collaborateurs deviennent plus flexibles, agiles et résilients, plus adaptables aux changements induits par les transformations exogènes et endogènes inéluctables. Ancré sur le terrain et l’opérationnel, il doit également jouer pleinement son rôle de champion des salariés (Human Partner) et d’expert en prestations de services et en communication interne. Pépiniériste de talents, il doit favoriser le développement de l’employabilité de tous et créer les conditions propices à l’émergence de nouveaux leaders.

Au cœur de la création de valeur de l’entreprise, de plus en plus techno-agile, le DRH sera un catalyseur de coopérations transversales dans l’entreprise. Il devra être en première ligne de l’émergence et de la définition des « raisons d’être », qui sont les « graals de l’aventure collective »[62]. Ces raisons d’être ne doivent pas être désincarnées : elles devront être rendues concrètes au quotidien pour les collaborateurs, entrer en résonnance/ « raisonnance » avec les « missions de vie personnelles des collaborateurs[63] » qui se sentiront ainsi plus engagés dans la participation à ces projets collectifs de communauté de destins professionnels que deviendront nos entreprises.

Bien plus qu’une fonction, le DRH deviendra le porteur d’une aventure humaine, un « veilleur des mondes multipliant l’espoir professionnel dans nos organisations »[64].

Le DRH doit également devenir un expert de la relation dans les entreprises. J’ai ainsi marqué l’évolution de ma fonction depuis le 1er janvier 2020 en devenant « Directeur des Relations Humaines et de la Transformation », avec l’ambition de développer le lien dans l’entreprise par l’accompagnement des collaborateurs et la conduite des changements organisationnels, managériaux et digitaux. Au terme de « Ressources Humaines » qui porte intrinsèquement une dimension utilitariste et de finitude (les ressources comme les moyens ne sont pas infinies), il s’agit de substituer le terme de « relations humaines » qui favorisent les collaborations et les liens (qui sont sans limites, sauf celles de l’imagination). Il s’agira de permettre l’accélération de la constitution de communautés internes digitales (digital workplaces), de la mise en place de projets transversaux issus d’initiatives locales spontanées, de faciliter la mise en place de services destinés à améliorer le quotidien des collaborateurs.

Enfin, les DRH, et notamment les femmes DRH, devront investir les lieux de pouvoir que sont les conseils d’administration pour y porter les enjeux de nos « entreprises augmentées et pleinement vivantes ». Ainsi, si « il n’est de richesses que d’hommes, les succès futurs de nos entreprises résideront dans la capacité stratégique à mettre en mouvement les leviers RH des compétences, de la culture et de l’innovation. Dans un contexte complexe de transformations permanentes et globalisées où les risques et les opportunités émergent de plus en plus rapidement alors que la digitalisation créée des phénomènes disruptifs, les conseils d’administration devront inéluctablement compter en leur sein un « stratège des talents »[65].

 

Conclusion

J’ai bien conscience que cette réflexion métaphysique pour penser la catastrophe qui guette nos entreprises m’a subrepticement conduit, par chemins de traverse, à questionner l’ontologie même de la fonction du DRH pour se terminer par un vibrant pour ce métier vocationnel et merveilleux. C’est sans doute parce qu’il est dans la nature même de cette fonction de penser en permanence sa propre disparition.

Revenons dans cette conclusion à la notion de catastrophe qui est, de par sa nature apocalyptique, un temps de dévoilement de ce qui était caché dans le monde ancien. C’est le moment propice pour penser de façon radicale « notre rapport au temps qui est à reconstruire ». Les dirigeants d’entreprise et les leaders au sens large, doivent s’employer à reprendre « le goût de l’avenir[66] » et à « redonner à l’attente, à la dynamique du projet humain leur vraie puissance mobilisatrice ». Il faut nous réapproprier, écrit le philosophe Nicolas Grimaldi, dans une méditation superbe, « cette subversion continue du présent par l’avenir qu’on peut indifféremment nommer tension ou effort ou élan, ou désir, ou volonté [67]».

Les mois qui se dessinent vont faire peser sur nous le poids de la gestion de la catastrophe qui vient de naître. Nous pouvons dès à présent concevoir la vision d’avenir difficile qu’elle porte en elle, mais également les espoirs en germe et qui doivent dès à présent, en chacun des dirigeants et des collaborateurs, un sentiment mobilisateur d’urgence, de responsabilité et d’incitation à l’action et à la reconstruction.

La pratique philosophique du « catastrophisme éclairé » peut nous permettre de faire l’expérience d’une certaine auto-transcendance pour sacraliser notre avenir commun, que celui soit bon ou mauvais. Comme l’écrit Jean-Pierre Dupuy[68], « il serait bon que l’humanité, avant d’entreprendre quoi que ce soit lorsque dans la panique, elle découvrira l’étendue du désastre, se donne les moyens de marquer une pause et de contempler le prodige qu’elle est en train de vivre : elle accède à la conscience au moment même où sa survie est en question. Ce qui est déjà presque une tâche impossible pour un sujet individuel a-t-il la moindre chance de réussir dans le cas d’une collectivité de plusieurs milliards d’individus ? Seul un miracle pourrait le permettre, à condition surtout que nous ne l’espérions pas ».

 

Olivier GRAMAIL, le 7 avril 2020.

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[1] Voltaire, « Poème sur le désastre de Lisbonne ».

[2] In Jean-Pierre Dupuy, « Petite métaphysique des tsunamis », Editions du Seuil, mai 2005

[3] Marc Bloch, « L’étrange défaite », Editions Franc-Tireur, 1946

[4] Le 3 avril 2020, la bourse de Paris avait perdu 30,5% de sa valeur de capitalisation boursière depuis le 1er janvier 2020.

[5] The Washington Post, « White House scrambles to scoop up medical supplies worldwide, angering Canada, Germany”, 4 Avril 2020.

[6] Allocution du Président de la République du 12 mars 2020.

[7] Le Monde, « Face au coût astronomique de la crise due au coronavirus, la cruciale capacité de la France à se financer », 3 avril 2020.

[8] Du grec κρισις qui signifie action de décider, dénouement mais du latin crisis qui correspond à la manifestation grave ou à une intensification des symptômes d’une maladie.

[9] Du grec καταστροφή, qui signifie bouleversement, fin ou dénouement.

[10] Nouriel Roubini, « Economie de crise – Une introduction à la finance du futur », Editions JC Lattès, 2010

[11] Nouriel Roubini, interview du 25 mars 2020 : https://youtu.be/R_TMbspZzuQ

[12] In Jean-Pierre Dupuy, « Petite métaphysique des tsunamis », op.cit.

[13] Jean-Pierre Dupuy, « Petite métaphysique des tsunamis », op.cit.

[14] Jean-Pierre Dupuy, « Petite métaphysique des tsunamis », op.cit.

[15] Jean-Philippe Derenne & François Bricaire, « Pandémie, la grande menace », Editions Fayard, octobre 2005.

[16] op.cit.

[17] op.cit.

[18] Avec notamment l’obligation d’établir des provisions permettant de limiter le risque de faillite à une fois tous les 200 ans.

[19] L’Argus de l’Assurance, « Coronavirus : tensions sur le télétravail dans les mutuelles d’assurance », 23 mars 2020 LIEN

[20] Nassim Nicholas Taleb, « The Black Swan”, Ed.Allen Lane, 2007

[21] Carmen M. Reinhart & K.S. Rogoff, “This Time is Different – Eight centuries of financial folly”, Ed. Princeton University Press, 2009

[22] Fondapol, « Démocraties sous tension – Enquête planétaire (Vol.1) – Les pays (Vol.2) », mai 2019(lien).

[23] Denis Olivennes, « La préférence française pour le chômage », Le débat 1994/5, 1994

[24] Hubert Landier, « Divorce à la française : comment les Français jugent les entreprises », Ed. Dunod, 2006.

[25] The Workforce View in Europe 2019 (lien).

[26] Denis Maillard, « Une colère française – Ce qui a rendu possible les gilets jaunes », Ed. L’Aurore, mars 2019.

[27] Philippe d’Iribarne, « La logique de l’honneur : gestion des entreprises et traditions nationales », Ed. du Seuil, mai 1989

[28] Pierre de Villiers, « Servir », Ed. Fayard, novembre 2017 et « Qu’est-ce qu’un chef ? », Ed. Fayard, novembre 2018 : « Servir, c’est se tourner vers les autres. C’est un signe d’espérance ».

[29] Keith H. Hammonds, « Why we hate HR?”, Fast Company, August 2005 (lien).

[30] Peter Cappelli, « Why we love to hate HR…and what HR can do about it”, Harvard Business review, August 2015 (lien).

[31] Observatoire européen des politiques et des pratiques de GRH, rapport CRANET 2014 : 91% des responsables RH disposent d’un siège au CODIR des entreprises françaises de plus de 200 salariés.

[32] D. Bille, « DRH, la machine à broyer », Ed. Le Cherche-Midi, 2018

[33] Charles-Henri Besseyre des Horts, « L’image ternie de la fonction RH », Revue Personnel, mai 2018 (lien).

[34] Concept développé par le philosophe Martin Heidegger qui constitue un moyen pour chercher à distinguer la manière d’être spécifique, « ontologique » de l’être humain, qui n’est pas celle des choses ordinaires. L’utilisation de ce concept à une sorte d’ontologie du DRH est parfaitement impropre et abusive et n’engage que son auteur qui manipule ici un concept fort complexe…

[35] Marie-Sophie Ramspacher, « DRH, un métier plus risqué qu’il n’y paraît », Les Echos Executives, 31 janvier 2014 (lien)

[36] Romain Cristofini, « L’intelligence spirituelle au cœur du leadership », Ed. Interéditions, 2019.

[37] François Jullien, « Les transformations silencieuses », Ed. Grasset, 2009.

[38] En chinois, le mot Zhi signifie en même temps sagesse, intelligence, stratagème, ruse, stratégie. La vraie sagesse n’agit pas de façon directe : elle est cachée et « son action se révèle dans la tournure que prennent les évènements, comme un affleurement visible de transformation invisibles sur lesquelles le stratège, comme le sage, sont intervenus en amont » (François Jullien, op.cit.).

[39] La métaphore est celle d’une évolution permanente du monde qui domine et ne peut pas être pré-modélisée.

[40] In François Jullien, « Les Transformations silencieuses », op.cit.

[41] Jeremy Rifkin, « La fin du Travail », Ed. du Boréal, 1996.

[42] Gérard Valendruc & Patricia Vendramin, « la fin du travail n’est pas pour demain », Note de prospective de l’ETUI, mars 2019.

[43] Entre 2005 et 2019, le taux de chômage allemand est passé de 12% à 3%

[44] Philippe Dessertine, « La décompression (des solutions après le krach », Ed. Anne Carrière, 2011.

[45] Dalai-Lama : « Parce que les hommes perdent la santé à accumuler de l’argent, ensuite ils perdent de l’argent pour retrouver la santé. Et à penser anxieusement au futur, ils en oublient le présent, de telle sorte qu’ils finissent par ne vivre ni le présent, ni le futur. Ils vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir et meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu ».

[46] On peut distinguer le travail mécanique et aliénant (tripalium), le travail nécessitant un savoir-faire technique et valorisant (ars) et le travail intellectuel ou créatif (opus).

[47] Modèle développé par Paul hersey et Kenneth Blanchard à la fin des années 70.

[48] Hannah Arendt, « La crise de la culture », Ed. Gallimard, 1972.

[49] Daniel Defoe, « Journal de l’année de la peste », Ed. Gallimard, 1982

[50] Marcel Mauss, « Essai sur le don », l’Année sociologique, 1924.

[51] Alain Caillé in Jean-Claude Guillebaud, « Le Goût de l’avenir », Ed. du Seuil, 2003.

[52] Romain Cristofini, « L’intelligence spirituelle au cœur du leadership », op.cit.

[53] La maximisation des intérêts économiques des actionnaires (shareholder value) est considérée comme la seule finalité des entreprises selon la théorie de l’efficience de Peter Drucker.

[54] J. Mackey & R. Sisodia, « Conscious Capitalism”, Harvard Business Review, 2013.

[55] https://www.groupe-vyv.fr/

[56] http://www.cercledelexcellencerh.com/fr/

[57] François Jullien, « Les transformations silencieuses », op.cit.

[58] Gilles Verrier, « Réinventer les RH – 7 axes de progrès pour répondre au malaise des salariés », Ed. Dunod, septembre 2007.

[59] Gérard Taponat, « DRH, une aventure humaine : Bien plus qu’une fonction », Ed. De Boeck Supérieur, février 2020.

[60] La permaculture est un concept systémique et global visant à créer des écosystèmes en s’inspirant du fonctionnement de la nature par biomimétisme et de l’observation produite par la tradition, et en prenant en considération la biodiversité de chacun des systèmes.

[61] Dave Ulrich, « Human Resource Champions », Ed; Harvard Business School Press, 1996).

[62] Romain Cristofini, « L’intelligence spirituelle au cœur du leadership », op.cit.

[63] Op.cit.

[64] Gérard Taponat, op.cit.

[65] Olivier Gramail, « « Accroître la diversité fonctionnelle au sein des conseils d’administration par le recrutement de DRH administrateurs », in Manifeste « Donner aux DRH la légitimité à siéger dans les CA en tant qu’administrateurs indépendants », Cercle de l’Excellence RH, 2017.

[66] In « Le Goût de l’avenir », op.cit.

[67] In « Le goût de l’avenir », op.cit.

[68] Jean-Pierre Dupuy, « Petite métaphysique des tsunamis », op.cit.

09/04/2020

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