Quelle chaîne du froid pour la distribution du vaccin de la Covid-19?

14/11/2020 - 5 min. de lecture

Quelle chaîne du froid pour la distribution du vaccin de la Covid-19? - Cercle K2

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Gérald Cavalier est Président de l’Association Française du Froid, Président du Conseil Science et Technologies de l’Institut International du Froid (IIF) et Président du Groupe Cemafroid Tecnea.

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La pandémie de Covid-19 qui sévit dans le monde a lancé une course effrénée au vaccin, seul espoir pour certain de sortir de cette crise sanitaire, économique et bientôt politique. Trouver et produire un vaccin ne suffira pas. Il faudra ensuite le distribuer et le dispenser à des milliards de personnes dans le monde dans des délais les plus courts possibles pour enrayer la pandémie.

Depuis l’annonce par le Laboratoire pharmaceutique Pfizer le 9 novembre 2020 de la demande imminente d’autorisation de mise sur le marché de son vaccin contre la Covid-19, et l’indication de températures de conservation de -80°C, de nombreuses questions ont été posées sur la logistique nécessaire pour mettre en œuvre une campagne massive de vaccination avec ces contraintes. Entre les effets d’annonces et les cris d’orfraie, peut-on sereinement étudier la question ?

Essayons d’y voir plus clair en analysant les besoins, en examinant les solutions disponibles et les acteurs pour les mettre en œuvre, et essayons d’imaginer ce que pourraient être les solutions pour mettre en place efficacement une logistique sous température dirigée adaptée et efficace pour déployer rapidement une campagne de vaccination massive contre la Covid-19.

 

Quels besoins ?

De nombreux produits de santé sont thermosensibles. Leurs propriétés peuvent être altérées par des excursions de températures hors d’une plage de conservation définie. C’est en particulier le cas des vaccins. La plupart des quelques 4,7 milliards de dose de vaccins administrées chaque année dans le monde doivent être conservées entre +2°C et +8 °C. Du laboratoire au patient, ils sont stockés, transportés, distribués sous température dirigée. Les excursions de température vers le bas entraînent généralement une perte immédiate et irréversible de la totalité de l’efficacité du vaccin : il ne faut jamais les congeler ! À l’opposé, les excursions de température vers le haut entraînent des pertes d’efficacités progressives, cumulatives et irréversibles de l’efficacité du vaccin. La plupart des médicaments thermosensibles sont conservés entre +2°C et +8°C ou entre +15°C et +25°C, mais certains produits de santé doivent être conservés à des températures plus basses, au-dessous de -20°C, voire au-dessous de -70°C. C’est par exemple le cas du plasma congelé pour des conservations de très longue durée, jusqu’à 7 ans. Certains médicament ont également des températures de stockage et de distribution différentes, par exemple un stockage à +2°C/+8°C et une distribution à température ambiante pendant une durée limitée à quelques jours ou semaines. En 2018, 8 des 10 médicaments les plus vendus dans le monde étaient soumis à des contraintes de températures.

Dans ce contexte, les récentes annonces des laboratoires pharmaceutiques concernant les candidats vaccins contre la Covid-19 peuvent surprendre. Le Laboratoire Pfizer annonce des températures de -80°C et le Laboratoire Moderna des températures de -20°C. Cela peut s’expliquer par les méthodes d’obtention de ces vaccins utilisant des biotechnologies ou par des délais de mise en marché très courts ne permettant pas de réaliser toutes les études de stabilité en température. À ce jour, les données communiquées ne permettent pas de savoir quels seront les réels besoins en température de ces nouveaux vaccins de la Covid-19 du laboratoire au patient.

 

Quelles solutions ?

Inventée en 1876 par le français Charles Tellier, la chaîne du froid des produits alimentaires et de santé est aujourd’hui maîtrisée, ou du moins maîtrisable, en France et dans un certain nombre de pays, mais ce n’est pas encore le cas dans tous les pays du monde. Si la France compte environ un camion frigorifique pour 450 habitants avec 150 000 engins de transport sous température dirigée, la Chine en compte un pour 12 000 habitants et l’Inde, avec un parc dix fois plus faible que le nôtre, un pour 150 000 habitants. Il en va de même des entrepôts frigorifiques, des chambres froides ou des réfrigérateurs. Le parc par habitant dans les pays en développement est encore environ dix fois plus faible que celui des pays développés.

Du laboratoire au patient, les solutions existent pour une chaîne du froid des produits de santé dans la gamme classique de +2°C/+8°C et, plus confidentiellement, de <-20°C. Elles sont utilisées au quotidien par des dizaines de spécialistes de la chaîne du froid, logisticiens, transporteurs, entreposeurs, distributeurs, mais elles ne sont malheureusement pas encore déployées partout. Pour les gammes de températures <-70°C, les solutions sont plus limitées.

Des réglementations, des normes et des labels ont été développés pour garantir la qualité de cette chaîne du froid. La France a été et reste pionnière en la matière avec, dès 1952, sa réglementation du transport frigorifique devenue internationale depuis 1970 avec sa reprise par l’accord sur le transport des denrées périssables des Nations Unies, dit accord ATP. Aujourd’hui, le label Certicold pharma élaboré par l’ensemble des professionnels est repris dans le monde entier.

 

Quelles perspectives ?

Si la chaîne du froid des produits de santé, et plus particulièrement celle des vaccins, est opérationnelle pour livrer quasiment partout dans le monde des vaccins à +2°C/+8°C, elle ne l’est pas forcément pour des campagnes de vaccination à grande échelle avec des produits à conserver <-20°C et a fortiori <-80°C. La bataille n’est pas perdue pour autant !

Pour les produits <-20°C, les solutions existantes et largement utilisées pour les produits surgelés sont rapidement duplicables à la chaîne du froid des vaccins. Elles sont connues, maîtrisées, disponibles et déjà certifiées pour certaines.

Pour les produits <-80°C, la situation est plus complexe, mais pas désespérée. S'il n’existe pas aujourd’hui des capacités importantes de stockage et de transport de produits thermosensibles au-dessous de -80°C, il existe des solutions techniques. Pour l’entreposage, les machines frigorifiques à cycle ouvert à air, utilisées pour la réfrigération des entrepôts de thon à -60°C sont aussi utilisables à -80°C. Elles peuvent aussi être utilisées pour les chambres froides de distribution. Pour le transport, les groupes cryogéniques de transport à azote utilisés à -20°C peuvent aussi descendre jusqu’à -80°C avec des caisses à isolation renforcée. Il existe déjà des armoires de conservation à -80°C en particulier dans les hôpitaux et les laboratoires. Mais lancer une campagne massive de vaccination avec des produits <-80°C demande la qualification de ces moyens, leur déploiement à grande échelle et la formation des utilisateurs de ces équipements !

 

Conclusion

La logistique sous température dirigée de la vaccination massive contre la Covid-19 est un vrai défi, tant par son importance sans précédent que par sa spécificité technique annoncée par plusieurs laboratoires. Que ce soit à des températures <-20°C ou que la nécessité de températures <-80°C se confirme, il faudra mettre en place de nouveaux moyens avec des coûts sensiblement supérieurs à ceux habituellement connus dans la logistique du vaccin. C’est une affaire d’experts. Ils ont besoin de disposer des éléments les plus précis au plus vite.

La France est en pointe sur tous ces segments. Fort d’une industrie du froid reconnue et innovante, qui produit en France et exporte tous les types d’équipements pour la chaîne du froid du laboratoire au patient - groupes frigorifiques, chambres froides, camions frigorifiques, groupes de transport, enregistreurs de température -, mais aussi riche de nombreux professionnels de la logistique - loueurs, transporteurs, logisticiens, entreposeurs, distributeurs -, notre pays a tous les atouts, s'il fait les bons choix politiques et économiques, pour réussir la vaccination de sa population, mais aussi relancer une partie de son économie et un secteur industriel exportateur et reconnu qui souffre de la crise.

 

Gérald Cavalier

14/11/2020

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