Autour des conflits syriens et irakien. Etats-Unis et Russie, ils sont tous devenus fou!

08/10/2016 - 11 min. de lecture

Autour des conflits syriens et irakien. Etats-Unis et Russie, ils sont tous devenus fou! - Cercle K2

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Le général Mark Alexander Milley, chef d’état-major de l’US Army et
le général de fiction « Buck » Turgidson, du film de Stanley Kubrick .

 

Plus que jamais, la parole n’est plus aux discours pacifiques, ni en Syrie, ni en Irak ces deux pays formant un seul et même front pour Daech. Les bombardements intenses, les multiples appels aux offensives diverses et variées, les condamnations politiques lancées sur un ton incantatoire se succèdent à un rythme effréné. Personne ne semble vouloir calmer les choses, chaque partie - et elles sont nombreuses - souhaitant en découdre. Comme d’habitude dans les guerres civiles qui n’obéissent à aucune loi et surtout pas à celles de la guerre, ce sont les civils qui souffrent le plus car ils sont pris en étau entre plusieurs camps. Quoiqu’en disent les différents intervenants, ils ne semblent pas vouloir le « bonheur » des peuples syrien et irakien dans leur globalité, mais défendent les intérêts d’une partie d’entre eux, suivant des clivages politico-religieux : alaouites et minorités religieuses contre sunnites, chiites contre sunnites - et inversement -, Turcs contre Kurdes, etc. Enfin, des intérêts qui dépassent largement la situation de régionale sont aussi en jeu : Washington contre Moscou, Riyad contre Téhéran (et Ankara entre les deux), etc. Dans ce grand jeu, l’Europe occupe juste un rôle de figurant même si le déploiement du porte-avions Charles de Gaulle lui donne un peu de panache.

Le problème réside dans le fait que tous les dérapages sont désormais possibles, pouvant allant jusqu’à une confrontation armée entre les Etats-Unis et la Russie. Le général Mark Alexander Milley (photo de gauche), le chef d’état-major de l’US Army a ainsi déclaré le 4 octobre qu’« un tel conflit est quasiment certain ». Le parallèle avec le personnage de fiction, le général « Buck » Turgidson (photo de droite) dans le film de Stanley Kubrick Docteur Folamour ou « comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe est tentant.

Déchaînement de violences en Syrie

Le monde entier a les yeux tournés vers Alep. Il faut dire que les responsables politiques, relayés à foison par les medias en mal de sensationnel, focalisent sur cette bataille particulièrement cruelle - mais y a-t-il des batailles qui ne font pas de victimes ? - qui dure depuis le 20 juillet 2012 ! Mais la communauté internationale ne semble vraiment s’y intéresser que depuis que les forces gouvernementales syriennes paraissent en mesure de l’emporter grâce aux appuis russes et iraniens. L’opposition armée syrienne soutenue par les Occidentaux ne pouvant s’y opposer sur le terrain, il ne lui reste plus que faire appel à l’émotion internationale pour tenter de freiner Damas. C’est là que les « casques blancs » interviennent. Leur rôle de sauveteurs de victimes innocentes fait la une des journaux télévisés. Sans nier cette mission humanitaire, il semble que la réalité est plus obscure.

John Kerry, a déclaré le 7 octobre : « la Russie et le régime doivent au monde plus qu'une explication sur les raisons pour lesquelles ils ne cessent de frapper des hôpitaux, des infrastructures médicales, des enfants et des femmes ». Il a aussi demandé « une enquête adéquate (pour) crimes de guerre ». Il est dommage que Washington ne se rappelle pas les bombardements de Dresde, Hiroshima et Nagasaki - pour ne pas parler du Vietnam – qui ne visaient pas que des hôpitaux, des enfants et des femmes. De son côté, le major général Zaid Saleh, qui commande l’armée régulière syrienne appuyée par les milices Liwa al-Qods (constituées de Palestiniens) et les bataillons Ba’ath adjure la vingtaine de groupes rebelles (dont les deux les plus importants sont le Fateh Al-Cham -ex-Front Al-Nosra- et le Nour al-Din al Zinki) qui se battent à Alep de déposer les armes. Il leur garantit ensuite une évacuation vers la province d’Idlib tenue par l’opposition syrienne comme cela s’est déjà produit par le passé, toutefois à une échelle moindre. Diverses propositions ont aussi été faites par l’ONU pour évacuer les civils qui le souhaitent. Mais les rebelles les ont rejeté jusqu’à maintenant.

Certes, à leur habitude, les Russes, qui ont décidé d’en finir une fois pour toutes avec la rébellion dans cette ville symbole, ne font pas dans la dentelle reproduisant la tactique victorieuse mais sanglante employée à Grozny en 1999. Et comme toujours en cas de bataille en milieu urbain, les pertes sont importantes. De plus, la propagande tourne à plein alors que les informations sont souvent invérifiables. Il n’est question que de bombes à fragmentation ou incendiaires, un type assez banal de munitions. Même si les souffrances présentées en boucle sur toutes les chaînes de télévision sont insoutenables, cela n’a rien à voir avec Dresde ou Stalingrad. Ce qui est certain, c’est que la solution ne se trouve plus dans les négociations qui ont été rompues le 17 septembre lorsque l’aviation de la coalition emmenée par les Américains a bombardé « par erreur » des positions loyalistes syriennes à proximité de l’aéroport de Deir ez-Zor tuant plus de 60 militaires. Seule la victoire d’un des deux camps, et tous les observateurs devinent lequel, peut apporter un début d’apaisement.

Le président Poutine, qui sait que les Américains sont bloqués par l’élection présidentielle, a décidé d’accentuer son effort militaire en Syrie avant la fin de l’année. Pour ce faire, les renforts sont en train de débarquer, le « retrait » mis en scène en mars de cette année n’ayant été qu’une vaste mascarade. L’arrivée de Su-24, Su-25 et de Su-34 est annoncée. Au moins une batterie anti-aérienne de missiles S-300 V4 a été installée début octobre pour couvrir le port de Tartous. Elle complète le système (plus moderne) S-400 déjà mis en oeuvre sur la base aérienne de Hmeimim. Ce déploiement est à comprendre dans le cadre de l’arrivée prochaine sur zone du porte-aéronefs Amiral Kouznetsov et des frégates Serpukhov et Zeleny Dol armées de missiles de croisière Kalibr Klub-N. Moscou tient à se mettre à l’abri d’une surprise stratégique ou d’une nouvelle « erreur » américaine. En effet, des rumeurs courent sur d’éventuelles frappes chirurgicales de l’US Air Force qui pourraient être effectuées sur des infrastructures militaires syriennes. Afin de décourager toute velléité offensive, Moscou affirme que sa défense anti-aérienne répondra avant même d’avoir pu identifier les appareils agresseurs.

Vers la conquête de Mossoul « à la fourchette, comme en 14 »

Sans vouloir faire de parallèle scabreux, il convient de constater que le gouvernement irakien et les puissances occidentales - Etats-Unis, Grande-Bretagne et France en tête - n’ont à la bouche que l’offensive qui doit permettre de reprendre Mossoul à Daech. Personne ne semble remarquer que cette bataille, si elle a lieu, se déroulera aussi dans une ville très peuplée - entre un et deux millions d’habitants selon les estimations - exposant par là les populations civiles à des pertes collatérales conséquentes. Beaucoup ont oublié - ou n’ont pas lu - L’Art de la guerre de Sun Tzu qui préconise « de n’attaquer une ville qu’en désespoir de cause ».

La technologie occidentale permet certes des frappes beaucoup plus précises que celles des Russes, encore que les aviations américaine et irakienne soient relativement coutumières de tirs fratricides, le dernier en date étant survenu dans la nuit du 4 au 5 octobre, tuant 21 de combattants sunnites progouvernementaux au sud de Mossoul. Il n’en reste pas moins que la question fondamentale qui se pose est : qui va y aller « à la fourchette (baïonnette) comme en 14 » ? Pour cela, il faut des combattants particulièrement motivés, car cela sera un combat très coûteux en vies humaines, l’avantage initial penchant du côté des défenseurs qui ont pu préparer leurs positions à l’avance. Or, « de nos jours, il y a de moins en moins de techniciens pour le combat à pied. L'esprit fantassin n'existe plus » (Michel Audiard, 1963) et surtout, les volontaires au casse-pipes ne se bousculent pas au portillon. Par ailleurs, le discours des Occidentaux vis-à-vis de leurs alliés irakiens est clair mais peu motivant : « entraînons nous et allez-y, on vous appuie ». Pour obtenir un succès dans un assaut, le vrai chef doit plutôt dire « suivez moi ». De toute façon, la prise d’une localité est toujours longue. Il suffit de voir ce qui se passe à Syrte, en Libye, agglomération attaquée depuis août avec l’appui des Américains : cette ville devait être libérée de Daech en quelques dizaines de jours.

Enfin, selon le représentant en Irak du Haut Commissariat de l'ONU aux réfugiés (HCR) Bruno Geddo, l'offensive annoncée sur Mossoul pourrait provoquer « l'un des pires désastres humains depuis de nombreuses années ». En gros, il s’attend devoir gérer quelques 700 000 réfugiés.

Il est toutefois possible que les spectaculaires mouvements de troupes destinés à encercler Mossoul qui ont lieu en ce moment aient un autre objectif. En effet, la tactique de Daech a rarement été de défendre fermement une position. Soucieux de préserver ses combattants entraînés - ils ne sont pas si nombreux que cela -, le groupe Etat islamique a toujours préféré éviter le combat défensif frontal et se dissoudre dans la nature pour se reconstituer ailleurs. Dans le passé, Daech a surtout livré des combats retardateurs à base de tireurs embusqués, de pièges et de véhicules bourrés d’explosifs afin de permettre le départ du gros des effectifs. Différentes déclarations émises par l’organisation - admettant qu’elle pourrait perdre des villes - semblent aller dans ce sens mais qu’en sera t-il si, pour une fois, Daech change de tactique ? On se retrouverait alors en situation de siège comme à Alep et un très grand nombre de civils seront alors pris au piège, les djihadistes s’en servant comme boucliers humains. Le mauvais rôle assumé aujourd’hui par le pouvoir syrien et ses alliés russes et iraniens à Alep pourrait être alors attribué aux forces de la coalition internationale !

La prise de la « capitale » de l’Etat Islamique reportée ?

Le chef d’état-major interarmées américain, le général Joseph Dunford a affirmé devant le Congrès que si la coalition internationale avait bien un plan pour chasser Daech de Raqqa, elle ne disposait pas encore des « ressources » nécessaires. Seules les Forces démocratiques syriennes (FDS - une alliance dont l’ossature est constituée par les Kurdes du YPG et très minoritairement par des formations arabes et chrétiennes - semble avoir une réelle valeur combative dans la mesure où elles ne sortent pas de leurs zones d’intérêt, or Raqqa ne s’y trouve pas ! De plus, Ankara est loin d’y être favorable. Le président Recep Tayyip Erdoğan a déclaré que « si les États-Unis n’associent pas les Kurdes à leurs histoires, nous pouvons mener cette bataille (la prise de Raqqa) avec les Etats-Unis. » Inutile de dire que l’on est désormais en plein délire : l’armée turque enivsage de pénétrer profondément en territoire syrien au mépris des lois internationales. Ce ne sont pas les quelques rebelles qui l’accompagneront qui parviendront à justifier ce déni du droit. Toutefois, l’offensive sur Raqqa ne semble plus être à l’ordre du jour - sauf au cas d’une surprise stratégique toujours possible.

Par contre les forces turques et des groupes rebelles soutenus par Ankara ont chassé Daech de la ville frontalière syrienne de Jarablus. Mais l’opération baptisée Bouclier de l’Euphrate lancée le 24 août vise aussi bien Daech que les FDS. Leur objectif est d’établir une zone tampon 5 000 km2 s’étendant d’est en ouest, de Jarablus au corridor d’Azaz. La prochaine cible pourrait être la localité d’Al-Bab, mais pour l’instant, les Turcs progressent plus que prudemment. La ville symbolique de Dabiq pourrait tout de même tomber dans les semaines ou les mois à venir. Jusqu’à maintenant, Moscou a laissé faire Ankara, ayant vraisemblablement obtenu en contrepartie une certaine « modération » de la Turquie quant aux développements de la bataille d’Alep.

Des risques de dérapages importants

Les puissances occidentales ont un problème de conscience. Elles savent qu’elles sont dans l’incapacité d’endiguer les abominations qui se déroulent sur le front syro-irakien et plus particulièrement en Syrie. Elles condamnent donc unanimement la Russie qui soutient le régime de Bachar el-Assad. Mais, à aucun moment, elles ne se posent la question de leur responsabilité dans cette guerre civile. Certes, le régime de Damas a tout pour déplaire mais la révolte débutée en 2011 a ensuite été soutenue directement et indirectement par l’Occident qui, comme ailleurs, souhaitait établir un « régime démocratique ». Force est de constater que cet objectif est totalement irréaliste et inapplicable à moins de revenir à une nouvelle forme de colonialisme . Ce serait aussi la meilleure manière de renforcer le sentiment anti-occidental qui est déjà très développé au Proche-Orient.

De plus, les pays alliés des Occidentaux dans la coalition anti-Daech n’ont pas les mêmes principes humanitaires vis-à-vis des populations civiles. Il suffit de voir la répression qu’exerce la Turquie sur ses populations kurdes et les bombardements aveugles que mène l’Arabie saoudite au Yémen. Avant de donner des leçons de morale au monde entier, il serait utile de faire un peu d’autocritique.

Et il y a pire. Les appels et les actions lancés par l’Occident contre la Russie constituent de véritables provocations orchestrées par les néoconservateurs américains et leurs relais extrêmement puissants dans la société civile. Vladimir Poutine qui, jusque là, avait su garder un certain calme a considérablement musclé son discours de manière à prévenir le futur président des Etats-Unis qu’il comptait discuter avec lui (ou elle) d’égal à égal.

Les risques de dérapages vont crescendo. Washington désigne sans ambages Moscou comme étant son adversaire numéro un, même avant les islamistes radicaux. Cela est devenu une véritable fixation et si Hillary Clinton est élue à la magistrature suprême, cela ne va pas aller en s’améliorant. Même le nucléaire, sujet pourtant tabou diplomatiquement jusque là, ne semble plus être sacré. Ainsi, Ashton Carter, le secrétaire américain à la Défense a déclaré : « Les Etats-Unis ne veulent pas s’interdire de dégainer les premiers l’arme nucléaire en cas de conflit ». De son côté, Moscou précise que la Russie « se réserve le droit de se servir de son arme nucléaire en riposte à une attaque à l’arme nucléaire ou à une autre arme de destruction massive, réalisée contre elle et/ou ses alliés, ainsi qu’en cas d’une agression massive à l’arme conventionnelle mettant en danger l’existence même de l’État ».

Par ailleurs, les deux parties se livrent désormais à des provocations réciproques venant chatouiller l’adversaire à la limite de cs espaces aériens ou maritimes. Les pays du nord-est de l’Europe, qui ont gardé de très mauvais souvenirs de la période soviétique - on peut aisément les comprendre - poussent à la roue, accusant Moscou de volonté hégémonique et de visées stratégiques cachées. Le spectre de l’annexion de la Crimée est passé par là. L’OTAN embraye derrière pour défendre l’Europe du Nord d’une éventuelle « agression russe ». Résultat, Moscou se dit à son tour menacé par l’OTAN qui n’a cessé de grignoter ses marches depuis l’effondrement de l’URSS, malgré les engagements conclus avec Gorbatchev. La volonté de développer un bouclier anti-missiles destiné à protéger l’Occident d’une éventuelle attaque iranienne - qui ne pourrait survenir que dans des dizaines d’années - ne trompe personne. Il s’agit à l’évidence d’une mesure supplémentaire de surveillance de la Russie, bien évidemment très mal perçue au Kremlin.

Rien ne semble à même de stopper cette spirale qui replonge le monde dans une nouvelle Guerre froide, d’où le titre en en-tête de ce billet : ils sont tous devenus fous.

08/10/2016

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