Deuil périnatal et Responsabilité Sociétale des Entreprises
12/06/2021 - 5 min. de lecture
Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Guillaume Jeunot est Architecte des Systèmes d'Information et Responsable de la Sécurité des Systèmes d'Information et Parrain de l'association Maëlys.
---
Ils n’ont pas de mot qui les caractérisent même si certains se reconnaissent sous le terme "parange". Alors comment donner du sens à cette épreuve que subissent 7000 familles par an ? Comment notre société peut-elle les accompagner ? Comment l’entreprise peut-elle les accueillir à leur retour?
Le deuil périnatal, qu’est-ce que c’est ?
La mort périnatale peut survenir en cours de grossesse, à la naissance ou après l’accouchement. Les causes sont multiples. Il peut s’agir d’une pathologie comme d’une malformation. Il arrive également qu’il n’y ait pas de diagnostic posé comme dans le cas des morts subites du nourrisson. Chaque histoire est différente. La mort peut être spontanée, découverte au cours d’une échographie, ou longuement réfléchie à la suite de la découverte d’une anomalie congénitale ou génétique.
Le deuil périnatal n’est ni une question de jour d’aménorrhée ni d’heure ou de jours après la naissance. J’ai malheureusement pu constater des souffrances équivalentes chez des mamans ayant fait une "fausse couche" que chez des parents qui ont accompagné leur enfant dans leur combat pour la vie les jours suivants la naissance.
Quelle violence pour des parents endeuillés d’entendre des phrases commençant par "ce n’est pas comme si tu ne pouvais plus en avoir…", "c’est pas comme s’il était né…", "ce n’est qu’une fausse couche…" et tant d’autres.
Je suis persuadé qu’il est impossible de comparer, de poser des échelles de douleur en fonction du temps ou de la cause de la mort. Mes rencontres, les témoignages que l’on m’a partagés, me confortent dans l’idée que cette douleur est liée à la relation qui s'est nouée entre les parents et ce petit être en devenir.
Une particularité de ce deuil est qu’il est intime, une réalité profonde qui touche à l'essence de la vie et de la relation à l’autre. Certains font le choix, dans les premiers mois, de ne pas annoncer la grossesse à leurs proches. Alors comment annoncer la mort ? L’enfant à naître n’existe que pour les parents. Dans notre société, rien ne nous prépare à ce que "donner la vie" soit en réalité accoucher d’un enfant mort. Rien ne prépare des parents à accompagner leur enfant dans la mort.
La reconnaissance du deuil dans notre société
Il existe aujourd’hui une forme de paradoxe. D’un côté, la mort périnatale reste un tabou dans notre société. De l’autre, cette même société a mis en place tout un corpus réglementaire et législatif définissant cette mort, une forme de reconnaissance et les droits qui y sont associés. Ce tabou existe aussi bien dans la société en général mais également, et plus surprenant encore, chez de nombreux professionnels de santé. Cela se traduit par une minimisation de l’impact sur les parents et les familles. Cela se traduit également par une ségrégation lors de la prise en charge.
Un papa me confiait encore récement que sa femme a dû accoucher dans une salle inadaptée loin de la maternité. "Vous comprendrez que c’est mieux pour les mamans qui attendent un heureux événement", lui avait-on dit.
Quels mots pour soutenir ces parents ? Quels gestes ? Aujourd’hui, tout un tissu associatif se mobilise pour faire bouger les lignes. La parole se libère. Mais tant reste à faire.
Dans une société aseptisée où l’on ne meurt plus, comment accepter cette mort si anormale qu'est la mort d’un bébé. Aujourd’hui, l’OMS recommande d’utiliser comme seuil de viabilité un âge gestationnel d’au moins 22 semaines d’aménorrhées ou un poids d’au moins 500 grammes. Ce critère sépare la période gestationnelle où le foetus n’a aucune chance de viabilité de celle où la viabilité devient possible et ouvre droit à un acte d’enfant sans vie. La France a, à mon sens, trouvé un juste équilibre entre une nécessaire reconnaissance du fœtus et une nécessaire reconnaissance de l’enfant comme un être à part entière.
Ainsi, par des calculs de poids et de jours d’aménorrhées, froidement, des reconnaissances et des droits peuvent exister. En fonction du certificat médical émis à la naissance, les parents auront droit soit à un congé maladie soit à un congé parental.
Mes filles, Lila et Lisa, ont pu avoir cette reconnaissance administrative et donc de notre société. Leurs prénoms ont pu être inscrits dans la partie basse du livret de famille par l’officier d’état civil où ce champ "Prénom" n’existe pas. Notre livret de famille est bien le reflet de ce qu’est pour moi ma famille avec le prénom de tous mes enfants.
Il n’en reste pas moins que l’épreuve de la mort d’un enfant nécessite un processus de deuil long qu’une seule réponse administrative ne résout.
Responsabilité sociétale des entreprises
Un des buts de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est d'améliorer la qualité de vie des collaborateurs. La question du deuil et la question du deuil périnatal en particulier entrent pour moi dans cette réflexion.
Le retour à l’emploi, le retour dans l’entreprise, peut être pour certains salutaires. Mais il est pour beaucoup une épreuve supplémentaire s’ajoutant à l’épreuve.
Un exemple qui m’a profondément marqué est cette confession que m’a faite une infirmière puéricultrice en réelle souffrance dans son service. Elle me partageait qu’elle avait également perdu un bébé mais qu’elle ne se sentait pas dans la possibilité d’en parler avec ses collègues et encore moins avec sa hiérarchie.
La RSE est pour moi la définition d’une réelle éthique devant s’inscrire dans l’ADN de l’entreprise. Cette éthique doit chercher à compenser une trop souvente maladresse, même empreinte de bienveillance, et que, à cette maladresse, ne vienne s’ajouter une maladresse structurelle de l’entreprise.
J’entendais récemment un dirigeant rappeler que la douleur d’une famille suite à un décès est beaucoup plus essentielle que certaines tergiversations que l’on peut retrouver en entreprise. Il est question de voir l’entreprise comme humaniste et progressiste. Il s’agit de voir l’entreprise participer globalement à l’épanouissement de ses salariés au même titre que son propre épanouissement.
Directions générales, directeurs des ressources humaines, encadrants, doivent être sensibilisés à accompagner un membre de leur équipe dans cette épreuve. Il ne s’agit pas seulement d’appliquer des droits. Il s’agit d’un réel enjeu managérial d’écoute et d’ouverture.
Introduire la question du deuil périnatal dans sa démarche RSE est, par la question de la prise en compte de la mort, une manière de se recentrer sur l’humain.
12/06/2021