[Groupe K2] Données bancaires : la transformation bancaire au cœur du marché unique de la donnée

01/12/2022 - 12 min. de lecture

[Groupe K2] Données bancaires : la transformation  bancaire au cœur du marché unique de la donnée - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

François Marchessaux est Senior Partner chez Franz Partners et Conseil en Stratégie & Management.

---

L'histoire des banques universelles d'aujourd'hui est faite de rapprochements d’entités variées, de marques et de réseaux internationaux initialement développés par métiers dans une logique de proximité client, d'expertise sectorielle ou régionale toujours soumis aux exigences de régulateurs locaux. 

Dans cet environnement structurellement fragmenté, le partage de la donnée entre les différents métiers de la banque comme avec les clients et partenaires émerge comme un enjeu clé pour les banques :

  • À court terme, l'enjeu est le développement du conseil et de l'intelligence artificielle comme facteur d'agilité et de compétitivité de la banque dans un environnement qui pèse sur le bilan des banques.
  • À long terme, l'enjeu est le positionnement des banques dans l’économie de la donnée, la mise à disposition d'une donnée de confiance sur le domaine bancaire et les possibles diversifications de la banque dans les échanges de données entre clients provenant d’industries variées.

 

La banque pilotée par la donnée ou la généralisation d’un conseil bancaire centré sur l’intelligence artificielle comme facteur de compétitivité

À court terme, les banques universelles espèrent tirer parti de la donnée pour se différencier par le conseil spécifique à chacune de leurs activités.

La remontée des taux directeurs et la reprise de l'inflation dans un contexte de remise en question des grands équilibres géopolitiques et d'aversion au risque croissante des investisseurs face aux aléa (notamment ESG) font peser de grands risques sur le bilan des banques. Le risque des obligations augmente alors que la performance des produits dits risqués est grevée par les nouvelles exigences réglementaires et marché.

Encouragée par les dernières directives européennes, une nouvelle concurrence se développe sur les moyens de paiements et la banque doit ouvrir l'accès au détail des comptes de ses clients à des Fintechs spécialisées, susceptibles de leur ravir une relation client désormais digitale.

Des quatre grands rôles bancaires : le bailleur qui fournit les fonds à crédit ou en fonds propres, le coffre-fort qui assure la tenue et la sécurisation des comptes, la diligence qui assure la liquidité et la disponibilité des fonds où se trouve le besoin et le conseil qui oriente vos placements ou vous permet de les liquider au meilleur prix, c'est du conseil que de la plupart des acteurs espèrent leur salut.

En effet, le conseil est présent dans chaque métier bancaire. Ses revenus sont basés sur des commissions qui suivent l'inflation. Le conseil bancaire influence directement la qualité des arbitrages et des portefeuilles clients. Enfin, il concourt à la fidélisation client dans un monde toujours plus digitalisé où pèse le risque de désintermédiation. 

Il s'agit de comprendre les comportements, d'analyser et de comparer les performances, d'évaluer le rendement et les risques d'une situation et d'un contexte particulier, voire individualisé.

Désormais capable d'identifier de nouveaux comportements clients et de nouveaux segments de clientèle, d’anticiper la valeur à long terme et de fournir des recommandations pertinentes, l’Intelligence Artificielle est le principal levier d’un conseil bancaire performant et généralisé. 

Depuis quelques années, les banques concentrent leurs premiers efforts sur l’expérience client. Les initiatives de marketing personnalisé et d’assistants virtuels sont largement déployés, mais le niveau de conseil délivré reste encore, somme-toute, assez limité.

 

Au sein des banques universelles, l’évolution de l’accès aux données métiers sur le chemin critique

Le conseil bancaire est naturellement centré sur le client et consommateur de données variées. Au sein des banques universelles, l’évolution de l’accès aux données métiers et la capacité à relier des données de sources diverses sont actuellement sur le chemin critique du développement de la compétitivité des banques.

La pertinence des recommandations de la banque dépend : de sa capacité d’analyse des préférences individuelles et de l’appétence au risque de chaque client ; de la comparaison de comportements individuels et collectifs ; de la prise en compte d’une situation financière globale - intégrant des revenus et positions bancaires, dettes en cours et variété des classes d’actifs détenus en portefeuille - ; de l’analyse des services consommés et de la mise en relation de ces informations avec des données de marché. 

De même que l’Intelligence Artificielle a besoin de grands volumes de données, la modélisation du risque intègre une information toujours plus variée et les moteurs de prédiction en temps réel un volume croissant d'informations. Pour surpasser leurs concurrents, les IA (Intelligence Artificielle) bancaires ont besoin de données d’actualité, fiables et qualifiées, en quantité.

Or, le partage de données bancaires s’est longtemps cantonné aux opérations interbancaires et au reporting légal ou financier. Ce partage s'est construit souvent à sens unique au fil des réglementations, métier par métier, et majoritairement sous la contrainte. C’est, par exemple, le récent renforcement des exigences de contrôle client (KYC) qui a permis d’établir une première vision Client partagée entre les différents métiers. 

Tirés par la recherche d'efficacité opérationnelle et les évolutions réglementaires dans le domaine des paiement (DSP2), les projets d'hébergements mutualisés et d'ouverture aux tiers ont favorisé la mise en place d’infrastructures de partage de l'information (datacenter, cloud-privé, datawarehouse et API, etc.).

Les dernières règlementations en matière de respect de la vie privée (GDPR), de maîtrise de la fraude (LCB/CFT) et du risque bancaire (BCBS239) ont nécessité le "lignage" de données sur l’ensemble des métiers bancaires. Elles ont permis aux banques de mieux connaître leurs données et d'appréhender le travail à mener pour les qualifier.

La mise en place de filières transverses spécialisées dans la Donnée et la Cybersécurité caractérisées par la nomination de Chief Data Officer (CDO) et de Chief Information Security Officer (CISO) au sein de chaque entité bancaire constitue aussi un premier pas vers une gouvernance du partage des données. 

Toutefois la donnée bancaire reste éclatée, disséminée au sein d’architectures applicatives silotées, pensées par métier, pour une clientèle spécifique dans un contexte réglementaire particulier. Les échanges reposent encore sur des systèmes spécialisés, pensés pour un usage ou un reporting particulier.

Deux priorités émergent pour qu’un conseil bancaire basé sur l’Intelligence Artificielle puisse soutenir significativement la compétitivité d’une banque :

  • La conception d’architectures d’échanges transverses et d’espaces de données hybrides et partagés pensés pour l’Intelligence Artificielle (confiance, actualité, qualité et volumétrie) est sur le chemin critique du recours à l’Intelligence Artificielle comme levier de compétitivité. 
  • Les filières "Données", aujourd’hui centrées sur la conformité, doivent évoluer vers le métier dans une recherche récurrente d’opportunité et assurer la gouvernance de données à valeur ajoutée.

Les banques n’en sont pas si loin. Les efforts réalisés ces dernières années leur ont mis le pied à l’étrier. 

Toutes, ou presque, s’engagent dans une approche incrémentale tirée par les premiers usages mais centrée sur la donnée et son exploitation par l’Intelligence Artificielle. 

Le recrutement de data-scientistes et la transformation sont engagés, depuis plusieurs années, dans la plupart des banques. Pour exemple, la Société Générale revendique déjà le déploiement de 330 cas d’usages fondés sur l’Intelligence Artificielle. La banque, qui se veut désormais "pilotée par la donnée", estime à 230 M€ la valeur générée par cette stratégie. 

La difficulté sera de tenir le cap dans une période particulièrement mouvementée pour les marchés.

 

La création d’un marché unique de la donnée dans un espace où l’industrie bancaire manipule de grands volumes de données, souvent fortement valorisées

À long terme, la Commission européenne entend créer un marché où les données pourront circuler au sein de l’UE et entre les secteurs en respectant les dispositions relatives à la protection de la vie privée, au droit de la concurrence avec des règles d’accès claires et équitables. 

S’attaquant aux problèmes juridiques, économiques et techniques à l'origine d'une sous-utilisation des données, la création de ce marché unique de la donnée pourrait générer 270 milliards d’euros de PIB supplémentaire pour les États membres d’ici à 2028. En sécurisant les échanges d’information et l’accès à une intelligence artificielle "de confiance", l'UE deviendrait leader d’une société centrée sur les données.  

La création de ce marché constitue une opportunité unique dont les banques pourraient s’emparer. 

Premièrement, la donnée bancaire est fortement valorisée. 

L’émergence d’offres d’open-data, de places de marché dédiées à l’échange de données, le développement du "data-brokerage" et de Fintechs dont les revenus sont principalement assurés par l’exploitation de données offrent de nouveaux espaces d’observation, plus dynamiques et plus ciblés, sur la valeur avérée de la donnée bancaire, une donnée sécurisée et qualifiée dont la conformité réglementaire est assurée.

Pour exemple, l’émergence des places de marché dans le darknet permet de hiérarchiser la valeur des certaines données personnelles. Sans surprise, les données bancaires sont sur le podium aux côtés des données de santé mais loin devant la donnée de consommation fournie par les plateformes internet. 

En second lieu, la banque dispose d’une forte expérience des pratiques d’achat de données et d’acquisition d’informations - bancaires ou non-bancaires - qu’elle pourrait valoriser dans un marché unique de la donnée.

En effet, les banques intègrent quotidiennement d’importants volumes de données de marché issus de places de marché, d’opérateurs de paiements, d’organismes spécialisés ou de services publics. Les métiers bancaires accèdent à des sources de données de plus en plus diversifiées pour répondre aux nouveaux usages ou offrir de nouvelles expériences clients (pour exemples, les filiales de leasing, désireuses d'évoluer vers la mobilité, acquièrent des données d’usage des véhicules ; les filiales de banques privées accèdent aux bases de données juridiques et aux réseaux sociaux ; les banques d'investissement exploitent la donnée de presse ; et les filiales d’assurances exploitent les données météorologiques issue de tiers étatiques). 

Toute banque produit et diffuse quotidiennement de l’information réglementée à destination des instances de supervision financière et d’institutions variées aux plans régional et international. La banque dispose d’une forte expérience de la dissémination ciblée d’information qualifiée, y compris en temp réel.

En synthèse, les banques sont d’ores et déjà d’importants acteurs du marché de la donnée et il serait impensable de les en exclure, cela d’autant plus que, depuis quelques années, le fort développement des banques en ligne (ex : en France, +30 % de croissance moyenne pondérée[1] en nombre de comptes sur la période 2014-2017) et le développement des services associés en font des plateformes numériques sensibles aux évolutions à venir du cadre européen.

 

De nouveaux règlements européens qui pourraient inciter les banques à agir

Enfin, si les banques ne sont pas directement visées par les projets de réglementation[2] régissant l’usage des données en Europe, plusieurs d’entre elles pourraient avoir un impact sur les activités bancaires.

  • Le Data Act (DA) vise à permettre l’accessibilité des données personnelles d’usage produites par des objets ou services connectés. Or, il apparaît qu’à date, les comptes, moyens de paiement électroniques et applications de smartphone pourraient entrer dans la définition de "produit" et de "services relatifs" inscrits dans le texte. Si tel est le cas, les directives de la Banque Centrale Européenne - et notamment la directive PSD2 – devront faire l’objet de mises à jour sur lesquelles les banques auront intérêt à se positionner. 
  • Le règlement à l’étude pour déterminer les conditions d’usage de l’IA dans l’Union européenne (AI Act) prévoit une gestion particulière des systèmes d’IA dits critiques. Les systèmes d’IA utilisés pour évaluer la solvabilité ou l’accès au crédit sont concernés. En sus des obligations d’éthiques et de transparence obligatoires pour tous, ce règlement pourrait imposer aux banques des mesures supplémentaires de déclaration et de contrôle (ex-ante) ainsi que des normes particulières d’entraînement des modèles IA et de documentation des résultats de traitement. La directive "EU Liability" vise à faciliter l'application de la compensation de droit civil pour les dommages causés par les systèmes d'IA. Cette directive pourrait, elle aussi, concerner les banques, en s’appliquant aux actifs détenus par les clients en cas d’arbitrage automatique à base d’IA. 
  • Le Data Governance Act (DGA) doit, lui, faciliter le partage de données entre acteurs d’un même secteur économique, entre les industries et avec les États membres. La mise en œuvre des concepts d’espaces de données partagés décrit dans ce texte pourrait nécessiter d’importants efforts de normalisation et de standardisation dans le secteur financiers. La réalisation de ces espaces de données exige des chantiers de grande ampleur dans les banques au niveau des architectures comme de la gouvernance des données. Le DGA prévoit également la création de tiers de confiance chargés de recueillir le consentement des clients sur les échanges de données entre partenaires. Les banques pourraient, là aussi, créer des structures spécialisées s’inspirant du modèle de déclaration des bénéficiaires qu’elles opèrent dans le domaine des virements.

L’intégration progressive de l’Intelligence Artificielle au conseil présent dans chaque métier bancaire constitue, dans le contexte actuel, un important levier de compétitivité pour les banques. C’est aussi un puissant levier de réorganisation des échanges intra-groupe sur une architecture et une gouvernance orientées données.

En sus des initiatives sectorielles d’espace de données partagés impulsées par l’Europe, la déclinaison bancaire des réglementations relatives au marché unique de la donnée pourrait inciter les banques à s’engager. L’expérience qu’elles ont acquise en matière d’échange de données, de cartographies et d’harmonisation des flux, comme les investissements qu’elles ont réalisés en matière d’Intelligence Artificielle, de cybersécurité et de conformité, devraient permettre aux banques de prendre un certain leadership dans la mise en place du marché unique de la donnée. 

Les banques, particulièrement les banques universelles, y ont intérêt : à court terme, pour satisfaire la compétitivité de leurs activités dans un environnement profondément modifié ; à plus long terme aussi parce que la donnée bancaire, par nature qualifiée et sécurisée, devrait y être fortement valorisée.

François Marchessaux

---

[1] Rationnel : 4,4M de comptes en ligne à fin 2017 ; 16,5M de compte en ligne à fin 2021. Sources : Bain, Franz partners.

[2] Principaux textes du paquet européen de la donnée : "Digital Market Act, Digital Services Act, Data Act, Data Governance Act, Artificial Intelligence Act and AI -Liability Directive".

 

---

Cette Tribune s'inscrit dans le cadre du Groupe K2 "Enjeux du Big Data" composé de :

Kevin Dumoux est Co-créateur du Cercle K2, Conseil en Stratégie, Transformations digitales et M&A - Messaoud Chibane (PhD) est Directeur du MSc Finance & Big Data, NEOMA Business School, Lauréat du Trophée K2 "Finances" 2018 - Shirine Benhenda (PhD) est Experte en Biologie moléculaire, données OMICS - Sonia Dahech est Directrice CRM, Trafic et Data omnicanal chez BUT - Franck DeCloquement est Expert en intelligence stratégique, Enseignant à l'IRIS et l'IHEDN, Spécialiste Cyber - Franck Duval est Administrateur des Finances publiques, Directeur adjoint du pôle gestion fiscale, DDFiP 92 - Yara Furlan est Trader Social Media chez Publicis Media - Jean-Baptiste Harry est HPC & AI Solution Architect & pre sales EMEA chez NEC Europe - Timothé Hervé est Risk Manager à la Banque de France - Aurélie Luttrin est Président, Eokosmo - Yann Levy est Data Analyst, Expert BI - François Marchessaux est Senior Partner, Franz Partners - Conseil en Stratégie & Management - Aurélie Sale est Coach Agile chez Renault Digital - Jun Zhou est Entrepreneur, Lecturer & Consultant in Chinese Social Media

---

TELECHARGER LE RAPPORT

 

01/12/2022

Dernières publications