Jérôme Kerviel était-il un homme clé ?
14/03/2025 - 3 min. de lecture

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Caroline Diard est Professeur associé chez TBS Education. Nicolas Dufour est DR en gestion, Professeur affilié au Cnam (Laboratoire Lirsa) et Directeur adjoint risque d'un Groupe diversifié.
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L’homme (ou la femme) clé est celui (ou celle) qui met, en péril l’organisation par son départ volontaire ou non (licenciement, Démission, décès…) du fait de ses compétences rares, difficilement remplaçables.
Après la mise à pied conservatoire et le licenciement de Jérôme Kerviel prononcé en février 2008, le Président Directeur Général Daniel Bouton, quant à lui avait ensuite démissionné le 12 mai 2008 de ses fonctions de direction générale.
Etaient-ils des hommes clés ?
Est-il envisageable de considérer celui qui par une action qualifiée de frauduleuse par les tribunaux, a fait vaciller une grande banque française et mis en danger l’ensemble de notre système financier, de collaborateur clé ? (voir cet article)
Dans l’affaire très médiatisée qui a opposé l’ ex-trader licencié à la société générale, la banque qui l'employait lui reprochait d'avoir pris des positions risquées et d'avoir dissimulé ses agissements de manière frauduleuse, occasionnant ainsi un préjudice de 4,9 milliards d'euros (voir cet article)
Le secteur bancaire est un secteur d’activité réglementé qui s’appuie sur un système de contrôle des risques particulièrement éprouvé. Le contrôle interne, la gestion des risques, le corps de l’inspection, la conformité sont des activités spécifiques à la banque qui permettent d’identifier et de cartographier les risques. Le contrôle des risques s’est particulièrement renforcé suite à ce scandale financier.
Le jeune trader a donc sans le vouloir pu jouer un rôle dans la sécurisation des process des banques.
Secteur particulièrement exposé, le secteur bancaire se doit cependant d’attirer et de fidéliser les meilleurs profils. La croissance et la pérennité du secteur en dépend.
Un salarié capable de pratiques frauduleuses, avait-il pour autant des compétences clés qui auraient pu faire défaut à l’organisation ensuite ?
La réponse est probablement négative dans la mesure où son licenciement à l’inverse de sa fidélisation a été opéré afin d’éviter la banqueroute.
Le secteur bancaire regorge d’exemples d’hommes clés, non identifiés, par négligence, manque de clairvoyance ou absence de processus d’identification.
Ainsi, on pense notamment au cas de l’un des traders stars de la banque Goldman Sachs qui était identifié comme clé[1] et à se titre percevait une rémunération supérieure à celle du patron. Ce départ a fait l’objet d’une médiatisation particulière en raison de l’influence de la banque, à forte notoriété plus particulièrement post subprimes, et notamment avec l’attention des médias et journalistes d’investigation sur cette [2]entité.
La gestion des collaborateurs clés est un risque RH parfois mal identifié et insuffisamment documenté et ce alors même que la plupart des managers seront enclins à chercher à limiter naturellement la dépendance à l’un des membres de leur équipe et auront tous bien en tête l’enjeu de continuité de service.
Dans le cas de Kerviel, le cumul de compétences nécessaires à une activité critique (au regard de la finalité des opérations mais aussi des montants engagés) et dans des domaines très variés faisait de ce collaborateur un profil potentiellement à risques.
Enfin, le fait de laisser un collaborateur, certes hautement spécialisé, sur le poste où les positions pouvaient atteindre des montants déraisonnables semble peu prudente.
Une telle situation aurait largement pu être anticipée et évitée notamment au regard des enjeux managériaux mais aussi d’un cadre d’appétence au risque nécessaire pour éviter toute défaillance de contrôle interne.
La situation particulière des banques appelle notamment à la vigilance en raison des profils très pointus de certains collaborateurs d’une part et des risques de fraude d’autre part.
Heureusement, les traders bien que leurs activités puissent mettre en péril l’organisation, ne sont pas nécessairement tous des collaborateurs clés. Ce sont plutôt les process qui le sont !
Caroline Diard et Nicolas Dufour
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[1] A paraitre GERESO : lien
[2] Voir notamment l’ouvrage de Marc Roche (2010), La Banque, Comment Goldman Sachs dirige le monde, Albin Michel.
14/03/2025