L’Intelligence artificielle, grande absente du débat politique
18/04/2025 - 4 min. de lecture

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Christian Aghroum, commissaire divisionnaire honoraire, est l’auteur de « La Grande illusion du monde numérique » sous titré « Notre avenir à l’heure de la robotique et de l’IA ».
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L'intelligence artificielle (IA) désigne l'ensemble des technologies et des méthodes permettant à des machines de simuler des capacités humaines, telles que l'apprentissage, le raisonnement, la perception et la prise de décision. L’accélération du recours à l’Intelligence Artificielle (IA) est phénoménale. Aujourd’hui, en moins de dix ans, ce qui relevait de la science-fiction ou d’un débat réservé à une portion congrue de spécialistes se révèle bouleverser notre avenir.
Tous les domaines sont impactés : santé, finance et banque, commerce et distribution, industrie, transport et logistique, architecture, éducation, arts et lettres, loisirs… Au quotidien, l’Intelligence Artificielle se traduit par le remplacement d’emplois de proximité (à travers la montée en puissance du nombre de caisses automatiques dans les commerces de grande et moyenne distribution, par exemple), l’usage d’outils bureautiques génératifs (assistants modernes générant à la demande des comptes-rendus de réunions, des traductions automatiques, des présentations bonifiées), l’analyse et le croisement de données de masse (génération instantanée de propositions de vidéos, de relations sur les réseaux sociaux, de souvenirs, de rappels divers …). Les exemples sont déclinables à l’infini.
Cependant, les effets de l’IA sont encore mal mesurés et peu compris du grand public : citons le déploiement de robotique humanoïde, de ces robots à forme humaine. L’un des freins à leur déploiement reposait sur leur mobilité et la possibilité de leur demander de résoudre des problèmes complexes (interpréter des ordres, répondre à des questionnaires multiples). Les progrès réalisés sur leurs capacités de déplacement (marcher, courir, porter des charges en conservant l’équilibre) sont avérés ; ils savent dorénavant obéir et répondre avec des capacités d’auto-apprentissage que l’IA autorise. Les assistants répondant à la voix ou les robots tondeuses et autres aspirateurs automatisés ont ouvert la voie à la sociabilisation très prochaine de robots humanoïdes annoncés à environ 15 000 euros l’unité (prix annoncé du G1 de la firme chinoise Unitree). D’aucuns y voient avec conviction le remplacement d’humains affectés à des taches ingrates, sensibles ou dangereuses : gestion des déchets, assistance des personnes âgées ou handicapées, surveillance, défense.
Toute œuvre de science-fiction rejoint la réalité un jour, les dystopies d’Asimov prennent forme. Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins ! S’opposer au recours à l’IA et à ses avancées serait vain : le progrès est inéluctable (ne serait-ce pas un pléonasme ?). Trois domaines sont révélateurs du besoin à venir appelant à une prise de conscience rapide et générale :
La souveraineté nationale - c’est-à-dire la capacité à gérer les affaires internes d’un pays sans ingérence extérieure - est menacée. La maîtrise de nos données, l’indépendance de nos outils d’Intelligence Artificielle, notre capacité à développer nos propres modèles et à en maitriser le contenu sont en jeu. Faut-il rappeler que la France et l’Europe sont passés à côté de la révolution de l’informatique et de l’internet. Non par absence de compétences mais par manque de vision à long terme. Les GAFAM mais aussi leurs homologues chinois ont monopolisé le marché. L’explosion de notre monde depuis la fin de la guerre froide, le repli isolationniste de nombreux pays, la circulation incessante de fausses informations, les manœuvres de déstabilisation et autres attaques cyber bouleversent les équilibres précaires sur lesquels reposaient nos alliances.
Le marché de l’emploi va être considérablement modifié. Croire que tous les emplois en voie de disparition (de la caissière au traducteur, de l’assistante de direction à l’éboueur, de l’aide-soignante au scénariste …) seront remplacés par autant de techniciens et autres ingénieurs au service de l’IA est un vœu pieux, tout aussi peu crédible que le recours au revenu universel. Des métiers vont disparaitre à l’échelle d’une génération au plus, d’autres sont encore à inventer, mais les uns pourront-ils être formés à occuper les autres. Une génération suffira-t-elle à opérer le changement ?
La formation doit être anticipée. Qu’elle soit initiale ou continue, elle se nourrira de l’Intelligence Artificielle. Utiliser l’IA pour développer des formations ad-hoc, cela parait évident. Taxer tout recours à une IA entrainant une chute d’emplois serait également une solution de bon sens. Par exemple, on estime que le recours à l’IA générative (assistance personnelle) permet de gagner 20% du temps de travail. Ne soyons pas crédules, cela n’entrainera pas la généralisation de la semaine de travail de quatre jours, mais bien la disparition de 20% des emplois ! Taxer les outils d’assistance personnelle, les caisses automatiques, les robots à venir (entre autres base d’imposition) et consacrer cette manne à un fonds de formation dédié à la requalification, à la reconversion professionnelle compenserait l’effet de bord de cette avancée technologique.
"La volonté générale est toujours droite, mais le jugement qui la guide n'est pas toujours éclairé" disait Rousseau (Du Contrat Social – 1762). Le recours à l’IA ne s’inscrit pas dans un simple progrès technique et les modifications que provoque Intelligence Artificielle ne peuvent demeurer la préoccupation de spécialistes. Le sujet de l’IA mérite une prise de conscience générale, une réflexion sociétale, le jugement de tous doit être éclairé. Anticiper les progrès de l’IA, coordonner leur déploiement, au niveau national puis international est un choix éminemment politique. Les élections présidentielles françaises sont pour demain ; au regard du déploiement rapide de l’IA, l’échéance de 2027 s’inscrit dans un délai particulièrement court.
Au-delà des sempiternels sujets qui animent ad libitum nos débats électoraux (sécurité, immigration, retraites …), voilà pourquoi il m’apparait nécessaire de porter fermement, au cœur du prochain débat présidentiel, la réflexion sur l’IA, ses enjeux stratégiques et de souveraineté, ses conséquences économiques, durables et sociales. Soyons convaincu qu’un nouveau contrat social est en marche !
18/04/2025