Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Luc Chouchkaieff est Médecin de santé publique et Contrôleur au contrôle général des lieux de privation de liberté.
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À lire nos médias, l’insécurité serait, de nouveau ou toujours, un problème majeur de notre pays.
Pourtant, après avoir visité de nombreux commissariats, brigades de gendarmerie et rencontré de très nombreux détenus dans nos prisons françaises, je ne me suis jamais senti en insécurité, tant dans la rue d’une ville ou d’un village, qu’au milieu des personnes incarcérées dans la cour de promenade de Fleury-Mérogis.
Dans les commissariats et les brigades, la majeure partie de la délinquance est constituée de violences intrafamiliales, de délits liés à l’alcoolisation ou à l’usage de stupéfiants, aux petits larcins ou escroqueries sur internet. Certaines villes ne connaissent un vol à main armée qu’une fois par an, voire moins. Les crimes sont aussi rares que cela et souvent l’assassin est un proche. D’ailleurs, n’oublions jamais que le premier crime de l’histoire est intrafamilial puisque Caïn tua son frère Abel.
Aussi, quand on entend que les coups et blessures font 700 victimes par jour en France, la majeure partie de ces coups ne surviennent pas dans la rue et ne sont pas portés par un étranger à la famille ou au pays, mais par un proche dont on ne se méfie jamais assez. La police passe une grande partie de son temps à régler des problèmes sociaux, familiaux ou à prendre en charge des personnes souffrant de troubles psychiques sans y être formée, aux dépends du judiciaire et du renseignement insuffisamment valorisés et dotés.
De la même façon, dans les maisons d’arrêt, la majeure partie des personnes qui s’y trouvent l’est pour des petites peines et pour du trafic de stupéfiants, du vol, mais aussi des récidives de conduite sans permis ou sous l’emprise de l’alcool et des récidives de pensions alimentaires non payées. Un tiers souffrent de problèmes psychiques souvent liés à l’infraction. Là aussi, les grands criminels dangereux ou terroristes sont rares et tellement rares que les maisons centrales censées accueillir spécifiquement les longues peines ne sont pas remplies.
Alors oui, il y a ici ou là, dans quelques grandes villes, quelques quartiers où la délinquance organisée s’est installée et où la police ne peut plus aller. L’économie du stupéfiant illégal y a remplacé celle disparue de la vie réelle et prospère sur une clientèle toujours plus large dans laquelle on trouve parfois les plus grands dénonciateurs de l’insécurité. Mais est-ce cela qui fait peur à 65 millions de français alors que moins d’un pour cent y mettra un jour les pieds ?
De plus, des hommes et des femmes qui respectent les valeurs républicaines habitent aussi dans ces quartiers. Mes fonctions m’ont amené, il y a quelques années, à fréquenter ces gens dits "de la politique de la ville" et je crois que j’ai vécu avec eux des expériences inoubliables de chaleur, de sincérité, de noblesse et de dignité. Je ne m’y suis jamais senti, seul dans mon costume, en insécurité. La dignité est souvent la seule chose qui vous reste lorsque vous n’avez plus rien et elle prend alors une lumière évidente.
Il faudra un jour accepter deux choses : depuis l’origine des temps, l’homme cherche à ne pas souffrir et ressentir le plaisir. Et, pour survivre, son intelligence l’amènera à rechercher ce qui lui procure l’assouvissement de ses besoins élémentaires avec le moins d’effort possible. L’échec de la prohibition des boissons alcoolisées en Amérique dans les années 1920 l’a déjà démontré. Il faudra donc bien en arriver, malheureusement peut être, à stopper ce trafic des quartiers par une légalisation de certaines drogues avec un encadrement conséquent.
Car ne soyons pas hypocrites, la vie moderne est tellement stressante qu’une majorité de la population ne la supporte qu’au prix de psychotropes au long cours, que ce soit par des médicaments (anti-dépresseurs, sédatifs, somnifères : 25 % des français), l’alcool (24 % en abusent), le tabac (26 %), les drogues plus ou moins douces ou dures (entre 8 et 10 %), les jeux, etc.). Le scandale de l’oxycodone (opioïdes) aux États-Unis est en cela emblématique et 400 000 morts y seraient associées en vingt ans. L’éventail montre que l’usage de psychotropes (parfois cumulés) devient la norme. Sans parler de ceux qui se réfugient dans le monde virtuel de l’internet. Combien ne regardent plus les informations pour conserver un semblant d’équilibre mental ?
C’est donc plus globalement qu’il faut lutter contre toutes ces addictions et toutes ces violences intrafamiliales, en comprendre l’origine, le besoin et répondre à ce besoin par d’autres alternatives. Mais tout cela prendra autant de temps qu’il en a fallu pour en arriver là car cela touche à l’organisation même de la société, à la place laissée à chacun et la lutte contre les inégalités.
D’ici là, faire peur au peuple en permanence ne fait qu’accroitre ce stress ; il est urgent de clarifier où sont les dangers dans une démarche prospective et pragmatique, et le réchauffement climatique en est un réel, autrement plus important et probable que le risque de recevoir un coup de couteau un soir de pleine lune d’un inconnu dans une ruelle de l’Ardèche…
19/10/2021