La sécurité du Président, objet de toutes les attentions
11/10/2020 - 5 min. de lecture
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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été Directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire, puis Directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures, notamment à Sarajevo comme Commandant en second des forces multinationales.
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La sécurité du Président, objet de toutes les attentions
La sécurité du PR était un souci constant pour ceux qui en avaient la charge. Les responsabilités étaient réparties selon qu’il s’agissait de la vie à l’intérieur du Palais de l’Elysée ou des déplacements à l’extérieur, qu’ils soient privés ou officiels.
Le PR imposait dans son agenda, à raison d’une par mois, une visite officielle en province. Il appréciait particulièrement le contact direct avec la population pour l’écouter, lui délivrer des messages politiques et montrer tout l’intérêt de son action au bénéfice des Français.
À la fin des années quatre-vingt, la situation économique et sociale n’était pas très bonne en France, bien que le pays ne soit pas encore en crise. Les mouvements sociaux étaient de plus en plus fréquents, notamment en province. Les déplacements présidentiels devinrent ainsi l’occasion pour certains mécontents de la situation de se manifester. Alors que les manifestations s’étaient déroulées sans heurt particulier jusqu’à présent, un nouveau déplacement du PR donna lieu à un incident marquant. Les autorités locales avaient annoncé des manifestations pouvant être violentes : les syndicats ainsi que les agriculteurs locaux étaient particulièrement hostiles à la politique gouvernementale. Le PR en fut averti et certains conseillers lui suggérèrent d’annuler la visite. Il refusa toute annulation considérant qu’il ne devait pas montrer une quelconque faiblesse devant l’opinion, qu’il saurait l’écouter et la maîtriser. Néanmoins, contrairement à l’habitude établie, et afin que le PR ne soit pas menacé physiquement ou placé dans une situation difficile en cas de contact direct, le Préfet, avec l’assentiment du Chef de Cabinet de l’Elysée, avait décidé d’éloigner systématiquement les manifestants et de les tenir à distance respectable à la fois du Président et de la presse qui le suivait au plus près. Le PR n’avait pas été prévenu de ces dispositions, qu’il aurait sûrement refusées, lui qui cherchait toujours à être proche de la population même si celle-ci montrait une certaine hostilité. Ces dispositions d’écartement furent mal perçues par les syndicats qui manifestaient en début de visite. Même éloignés, ils tinrent à être entendus. Ils s’équipèrent de moyens de sonorisation extrêmement puissants, déployés au dernier moment pour diffuser avec force leurs slogans et revendications. Cette attitude n’avait pas été anticipée par les autorités locales qui furent surprises par l’extrême sonorité, sans pour autant se décider à saisir leur matériel, ce qui aurait augmenté l’agressivité des manifestants. Les décibels déversés ne modifièrent pas le comportement du PR, indifférent à ces slogans, notamment lors de la revue des troupes militaires qui, selon le protocole républicain, étaient venues lui rendre les honneurs. La musique jouant la Marseillaise était pourtant à peine audible tout comme les acclamations des sympathisants, pourtant nombreux, venus accueillir le Chef de l’État.
Celui-ci entra dans l’hôtel de ville, étape suivante de la visite, visage fermé mais sans faire de commentaire particulier. Le Chef de Cabinet du PR m’interpella et, en accord avec le Préfet, me demanda d’ordonner à la musique militaire de donner une aubade lorsque le PR sortirait du bâtiment. Il pensait que cette réaction permettrait de couvrir les slogans et d’atténuer cette situation difficile qu’ils n’avaient pas anticipée et qui leur serait sûrement reprochée. Cette demande heurta l’image que je me faisais de notre Armée et je lui répondis plutôt sèchement que l’Armée n’avait pas vocation à mener ce type d’action et qu’en aucun cas, la musique interviendrait en dehors de ce qui était prévu par le protocole militaire pour le Chef de l’État. En outre, les militaires et leur musique avaient déjà quitté la Place de l’Hôtel de Ville. Le Chef de Cabinet ne fit aucun commentaire et ne revint jamais sur le sujet.
Cette journée, qui avait mal débuté, allait se conclure de façon encore plus pénible pour les responsables de la sécurité. Après le déjeuner officiel, le PR évoqua dans son discours la situation du monde agricole en général et celle de la région en particulier. Elles n’étaient pas excellentes. Son intervention entraîna quelques remous, mais sans plus. Après avoir pris congé des personnalités locales qui l’avaient reçu, il quitta les lieux de la cérémonie. À l’extérieur de la salle des fêtes, alors que le cortège des voitures officielles s’était constitué, des agriculteurs s’étaient rassemblés pour manifester leur colère. Comme pour les syndicalistes le matin, ils étaient tenus à distance respectable par les gendarmes pour ne pas contrarier le départ du PR. Eux aussi avaient trouvé la parade à cette disposition. Un bruit sourd retentit soudainement et une odeur désagréable se fit sentir à proximité des voitures. Il s’agissait de bouses de vache que les agriculteurs lançaient à l’aide de canons anti-grêle qu’ils avaient dissimulés sous leurs manteaux et qui n’avaient pas été découverts par les gendarmes chargés de les surveiller. Si la situation pouvait faire sourire, surtout pour ceux qui assistaient à ce spectacle, l’action présentait un réel danger, les « obus métalliques » venant frapper, en rebondissant, les véhicules. Le PR ainsi que ceux qui l’entouraient au plus près pouvaient être gravement blessés par les projectiles. Les sécurités rapprochées du GSPR entourèrent le PR, déployant leur parapluie blindé et poussant le Président dans sa voiture. Je m’y engouffrais à mon tour. Le cortège démarra en trombe sous une pluie d’excréments, le conducteur devant faire fonctionner ses essuis glaces pour évacuer les restes des projectiles qui obstruaient sa vision. Le bruit de leur impact sur la voiture, même si elle était blindée, était très inquiétant. Le PR demeurait impassible et poursuivait indifférent une conversation improvisée avec le maire de la ville qui l’avait accompagné à bord lequel, de son côté, était particulièrement inquiet pour sa sécurité. Nous sortîmes de la zone dangereuse pour rejoindre l’aéroport où l’hélicoptère présidentiel attendait la délégation. Sans un regard sur les voitures maculées, ni un mot pour ceux qui l’accompagnaient, le Président monta à bord. Il avait sûrement pris conscience de la violence des propos qu’il avait entendus. Il constatait aussi que sa popularité était mise à mal, contrairement à ce que ses conseillers lui laissaient croire. Sa longue expérience politique lui permettrait surement de rebondir.
Par le hublot, j’observai le Ministre de l’Intérieur faire part au Préfet de son sentiment sur cette journée et des dispositions sécuritaires particulièrement malheureuses et peu professionnelles. Il évoqua la relève de son poste, confirmée lors du Conseil des Ministres la semaine suivante. Nous avons décollé sans attendre le Chef de Cabinet qui avait dû rencontrer des difficultés pour nous rejoindre, ce dont il ne devait pas être trop mécontent…
Le retour à Paris se fit sans problème et sans commentaire. La presse fut discrète sur cet événement. Lors du déplacement suivant, les manifestants ne furent pas systématiquement écartés. Le PR avait sûrement donné quelques directives...
Général (2s) Jean-Pierre Meyer
11/10/2020