Plaidoyer pour l’établissement d’un service d’initiation militaire commun en Europe

16/03/2022 - 18 min. de lecture

Plaidoyer pour l’établissement d’un service d’initiation militaire commun en Europe - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Olivier Gramail est Directeur des Ressources Humaines et Auditeur IHEDN, 54ème AED.

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Alors que nos démocraties libérales découvrent avec un peu plus d’effroi chaque matin les effets terribles de la résurgence sur le sol européen d’un conflit de haute intensité, nous ne pouvons être, dans le même temps, qu’admiratifs devant la manifestation de l’incroyable esprit de défense et de résistance dont fait preuve le Peuple Ukrainien, "Nation en armes" levée en masse face à l’envahisseur russe. Mais, si c’était la France ou une autre Nation européenne qui était attaquée de manière aussi massive et brutale, trouverions-nous les mêmes ressorts de résistance patriotique et de survie ? De manière plus introspective, sommes-nous confiants en l’existence d’un "esprit de défense" dans nos démocraties libérales européennes qui avaient pris l’habitude de vivre dans une sorte d’illusion de Paix perpétuelle héritée de la fin de la Guerre froide ?

De fait, nous avons pu nous sentir protégés par la garantie d’intervention conférée par l’Alliance Atlantique[1] et, peut-être encore plus subrepticement pour nous Français, grâce à cette forme "d’assurance-vie" que constitue notre force de dissuasion nucléaire. Il est aujourd’hui légitime de se demander si cette dernière ne constitue pas une sorte de "Ligne Maginot" morale et psychologique nous ayant conduit collectivement et un peu légèrement à nous sentir protégés de tout péril grave et à développer une "armée bonzaï"[2]. La France avait abrogé son service national militaire le 28 mai 1996 avec une date d’effet au 1er janvier 1997, mettant ainsi fin à un "monument de [son] identité nationale depuis 1798"[3]. Cette décision historique, qui sera suivie ensuite en Europe par de nombreux exemples[4], fut le signe de notre désir de croire le message messianique de Francis Fukuyama sur la Fin de l’Histoire et de la victoire définitive du modèle démocratique libéral. De façon plus prosaïque, cette décision du Président Chirac venait prendre acte de la chute des budgets de défense militaire partout en Europe, de la volonté de réaliser des économies afin de préparer le passage à l’Euro, de la difficulté d’encadrer les jeunes conscrits alors que le métier des armes requerrait de plus en plus d’expertises et de compétences techniques pour servir des équipements de plus en plus complexes et coûteux[5]. Par ailleurs, les détracteurs du Service National universel mettaient en avant que celui-ci n’était précisément plus universel et facteur de brassage social. L’un des "derniers cons"[6] à avoir fait mon Service National (classe 1996-1997), je ne peux m’empêcher de me remémorer ma rencontre, fin 1995, à l’Institut de France, avec l’ancien Premier Ministre Pierre Messmer. J’étais alors étudiant à Sciences-Po et, dans le cadre d’un enseignement sur les questions de défense, j’étais allé interviewer celui qui s’était vu confier[7], par le Président Chirac, le projet très gaulliste de mettre fin à la conscription et de professionnaliser les Armées[8]. Après une heure d’échanges politiques et techniques, et alors que l’interview touchait à sa fin, je lui avais posé la question suivante : "Monsieur le Premier Ministre, vous avez été un grand Résistant. Pensez-vous que le sursaut national qui avait conduit à l’émergence de mouvements de résistance en France aurait été possible sans la préexistence d’un "esprit de défense" préalablement diffusé par la conscription et le service national de la IIIème République ?". Je n’oublierai jamais le regard clair de Pierre Messmer qui m’a fixé longuement, en silence, avant de conclure notre entretien par un : "c’est intéressant, je vais y réfléchir".

L’attaque de l’Ukraine par la Fédération de Russie marque un tournant historique et conduit à reposer la question de l’abrogation du Service National en Europe occidentale. Après que le Président Volodymyr Zelensky a invité les Européens ayant une expérience de combat à venir en Ukraine pour combattre l’Armée russe, ces derniers jours ont vu également une expression - très minoritaire, il est vrai - du désir de jeunes Européens de s’engager librement dans des "brigades internationales".

Au-delà d’un sursaut légitime d’émotion devant la tragédie du Peuple Ukrainien, il est à présent nécessaire de nous interroger collectivement sur les efforts de long terme à consacrer de nouveau pour préserver notre modèle démocratique libéral. D’ores et déjà, la France a prévu de renforcer le budget annuel consacré à sa défense, portant celui-ci à 42 milliards d’euros dès 2022. De manière spectaculaire, le Chancelier Olaf Scholz vient d’annoncer devant le Bundestag un investissement de 100 milliards d’euros destiné à la reconstitution de l’Armée allemande après un constat d’impréparation et de déliquescence préoccupant. 

Face à cette situation, le "désir" d’OTAN s’exprime avec vigueur depuis l’attaque russe en Ukraine et des pays neutres comme la Suède et la Finlande sont en train de reconsidérer la question d’une demande d’adhésion à l’Alliance Atlantique. Parallèlement, c’est également un "désir d’Europe" qui s’exprime de nouveau avec force et l’on peut considérer qu’il existe aujourd’hui un "Momentum" en faveur d’un approfondissement de la construction européenne sur le plan politique et militaire, avec le souhait réaliste de pouvoir bénéficier de la "réassurance" apportée par l’OTAN, le temps que l’Union européenne puisse créer les conditions de son autonomie stratégique. Un bond de géant semble avoir été franchi depuis le Discours de la Sorbonne du Président Macron du 26 septembre 2017 lors duquel il avait formulé six propositions clés en faveur de l’émergence d’une souveraineté européenne. Cette Initiative pour l’Europe avait alors reçu un accueil poli, notamment de la part de nos partenaires Allemands[9]. En raison, entre autres, de ce désalignement, un certain nombre d’observateurs français se sont montrés dubitatifs quant à l’advenance prochaine d’une "Armée européenne" autonome. De fait, avec la crise ukrainienne, l’Union européenne semble être sur le point de faire son aggiornamento sur la question de sa défense. S’appuyant sur un Fonds Européen de Défense doté de 8 milliards d’euros créé en 2021 pour accroître sa puissance d’intervention militaire, l’Union a mis en œuvre pour la première fois un nouvel outil dit de "Facilité européenne pour la Paix" (FEP) permettant d’organiser la livraison d’équipements militaires à des États tiers (cet outil va permettre d’acheter, au nom de l’UE, pour 450 millions d’euros d’armements, qui vont être acheminés vers l’Ukraine). Ainsi, le potentiel économique de l’Union européenne pour financer des achats en matière de défense place cet espace politique et géographique en 3ème position, avec 232 milliards de dollars dépensés en 2020, loin devant la Fédération de Russie (62 milliards de dollars). L’effort financier de l’Union européenne doit conduire à l’acquisition rapide de nouvelles capacités défensives, dont le caractère d’interopérabilité, afin de pouvoir conduire des coalitions militaires dans la durée[10], doit primer sur l’origine géographique et communautaire des armements acquis. Cependant, cette prise de conscience de la "nécessité de payer pour notre propre défense" représente certes un tournant historique, mais ne saurait être suffisante sans une forme de "réarmement mental et citoyen" qui doit favoriser la résilience de nos sociétés démocratiques. 

Le 6 octobre 2021, le Général Thierry Burkhard, Chef d’État-major des Armées (CEMA), a formulé l’impératif pour nos forces de pouvoir "gagner la guerre avant la guerre", en substituant au triptyque classique paix-crise-guerre composé de trois états successifs et délimités un nouveau triptyque "compétition-contestation-affrontement" aux contours plus flous et intriqués et nécessitant d’intégrer simultanément les différents outils d’expression de la puissance, militaire, diplomatique, économique, culturelle. Ainsi, au-delà de la seule contestation, un risque de conflit de haute intensité peut survenir de manière crédible si les forces conventionnelles de la puissance contestée sont perçues par la puissance d’agression comme insuffisamment dissuasives comme le précise l’ancien adjoint du commandant suprême des forces alliées en Europe (DSACEUR), Sir Richard Shireff, dans son livre "War with Russia"[11]. C’est peut-être d’ores et déjà une explication possible du pari extrêmement dangereux opéré par le Président Poutine qui est passé, en envahissant l’Ukraine, du stade de la "compétition" avec les pays européens, à celui de la "contestation" ouverte et brutale[12]. Pour autant, la guerre en Ukraine est déjà révélatrice du retour des conflits de haute intensité du 21ème siècle qui, au-delà de leur caractère global, vont nécessiter de faire appel aux capacités de résilience des belligérants et de leurs populations : "depuis la Guerre de Sécession, soit la guerre se gagne en quelques jours, soit c’est le pays qui a l’industrie la plus puissante qui finit vainqueur. De la guerre de 1914 à la Guerre froide, aucun conflit n’a dérogé à cette règle"[13]. Par ailleurs, comme nous le voyons en Ukraine, "il est fort probable que les engagements futurs se déroulent en milieu urbain – sachant que la planète comptera 37 mégalopoles de plus de 10 millions d’habitants à horizon 2030, et que la moitié de la population mondiale sera urbaine. Or, le combat en localité est terriblement consommateur en effectifs et en matériels. Il ne s’agit pas uniquement de conquérir mais aussi de contrôler"[14].

De fait, il est sans doute nécessaire pour les nations européennes de rechercher rapidement un nouveau mix capacitaire sur le plan militaire entre des équipements de haute technologie, interopérables au sein de l’OTAN et de contingents européens d’intervention rapide, et des équipements de masse, plus rustiques et résilients, susceptibles d’être efficacement utilisés par de "simples citoyens" suite à une préparation militaire initiale (high-low mix).

Au-delà des problématiques technologiques et de dotation en masse de moyens militaires, ce sont bien les questions liées aux besoins de compétences et donc de ressources humaines qui représentent in fine le plus de difficultés pour les armées européennes qui rencontrent des difficultés de recrutement. Partout, et en concurrence avec le secteur privé - notamment sur le plan salarial -, le renouvellement des compétences pointues nécessaires impose un niveau de recrutement de professionnels très qualifiés et des formations initiales qui permettent une incorporation dans les forces rapide. Nos pays européens devront consentir à des efforts importants pour fidéliser ces personnels au sein de leurs forces armées, que ce soit sur le plan salarial ou en matière de formation continue, afin de répondre à la sophistication croissante des matériels et des modes opératoires. Insistant fortement sur les enjeux RH cruciaux auxquels l’Armée française fait déjà face, le Chef d’État-major des Armées a appelé prioritairement à "renforcer et soutenir la communauté humaine des armées, qui représente notre richesse et notre force principale. Elle doit être résiliente, compétente et nous devons en exploiter la richesse et la diversité"[15]. On constate également, en Ukraine[16], toute l’importance pour un État envahi de pouvoir mobiliser efficacement ses réservistes pour suppléer les forces armées régulières et contribuer à organiser la défense territoriale. Les États européens qui, comme la France, avaient opté pour des armées régulières de métier[17], devraient consacrer davantage de moyens pour attirer, fidéliser et former leurs réservistes. En France, le Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN) travaille à une stratégie nationale de résilience pour le mois de mars 2022, avec une dimension nationale et territoriale[18], afin d’assurer l’ordre public, réveiller l’esprit civique et susciter du volontariat dans les réserves. 

Face à une menace russe durable et imprévisible, nos démocraties européennes, post-modernes et prisonnières de l’immédiateté, sont vulnérables du fait de l’hyper-connexion permanente. Elles doivent se réarmer sur le plan moral pour affronter des adversaires "dont le rapport à la mort, au sacrifice et à la patrie ne sont pas les mêmes que chez nous"[19]. "Le retour de la guerre"[20] révèle l’impréparation mentale et morale de nos sociétés européennes face au retour du tragique historique. Ainsi, "les efforts consentis pour préparer l’appareil de défense à la haute intensité seront vains si les Français ne sont pas davantage informés des enjeux de défense et impliqués dans les choix structurants à faire pour le pays (…). La singularité militaire est menacée, tout comme la pérennité de nos industries de défense, du fait des évolutions d’une société qui ne comprend plus la défense. En dépit de succès ponctuels et notables, l’insuffisance des dispositifs actuels a été évoquée (…) : faiblesse de l’enseignement de défense, des relations civilo-militaires dans les territoires, des réserves, manque d’exercices d’envergure, de planification interministérielle, indifférence positive à l’égard du monde militaire. Le Service National Universel est un outil intéressant sur lequel l’État peut s’appuyer pour alimenter l’esprit de résilience au sein de la jeunesse en l’approfondissant encore, à condition de faire l’objet d’un financement ad hoc"[21].

Il y a aujourd’hui urgence de renouer le lien entre les citoyens européens et leurs armées nationales, et la question du rétablissement du service militaire se trouve de nouveau au cœur de l’actualité en Europe, avec une acuité plus grande depuis l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie en 2014.

Ainsi, si de nombreux sondages montrent que la majorité des populations européennes se dit favorable à la restauration ou mise en place d’un service militaire, "ce soutien aux armées ne semble pas aussi assuré parmi les plus jeunes. La violence de certaines critiques à l’égard du SNU en France est symptomatique de cette part de la jeunesse pour qui le fait militaire et les enjeux de défense sont étrangers"[22]. Pourtant, face à l’agression militaire russe d’un pays aux marches de l’UE, défi belliqueux adressé aux européens pour tester leur solidarité et leur cohésion, ces derniers n’ont pas d’autre option que d’opposer une réponse crédible sur le plan de leur défense militaire. Il ne s’agit pas ici de plaider pour la constitution d’une "armée européenne" qui reste encore largement hypothétique[23]. Néanmoins, c’est un fait que l’Union européenne n’a pas manqué de surprendre les sceptiques depuis plus de deux ans, avec la mise en place d’une solidarité économique, financière et sanitaire sans précédent lors de la crise de la Covid-19 ou la mise en place de la Facilité Européenne pour la Paix en 2021, instrument extrabudgétaire de 5,7 milliards d’euros permettant de financer les initiatives de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC) en matière de renforcement de la sécurité internationale et de prévention des conflits. Que de progrès réalisés depuis le rejet par la France de la Communauté Européenne de Défense (CED) en 1954 ! La crise européenne a servi d’électro-choc puissant permettant une réelle prise de conscience commune et la réalisation d’actes destinés à renforcer encore les logiques de coopération intra-européenne en matière de défense. À titre d’exemple de coopération existant sur la "dimension Ressources Humaines", il est possible de citer la création en 2008, dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne (PFUE), de l’Initiative européenne pour les échanges des jeunes officiers (dite "ERASMUS militaire") ayant l’objectif d’avancer sur le chemin de la défense commune en favorisant l’interopérabilité future au sein des corps européens, la mise en commun des savoirs, aptitudes en matière de défense et au final, l’émergence d’une culture européenne de sécurité et de défense. 

Au "nationalisme intégral" russe, qui semble brandi avec violence par le Président Poutine, l’Union européenne doit pouvoir mobiliser un "patriotisme démocratique européen" transcendant sans les nier ou les assimiler nos identités nationales. Si l’on désigne le patriotisme comme l’amour de la patrie[24], il est possible de soutenir que l’idée d’un patriotisme européen partagé par les citoyens de l’Union européenne ne représente pas un oxymore. Ainsi, la citoyenneté de l’Union européenne, instituée par le Traité de Maastricht en 1992, est conférée à toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l'Union ne remplace pas la citoyenneté nationale : elle s'y ajoute. Selon Habermas, sur ce fondement juridique, un "patriotisme constitutionnel"[25], démocratique et constitutionnel européen peut se développer en mettant en avant les principes communs de l’État de droit, des Lumières, de liberté et d’égalité, d’économie sociale de marché. Ainsi, "l’europatriotisme" doit permettre de réunir l’ensemble des citoyens européens autour de principes démocratiques communs et ce, malgré leurs différences culturelles héritées de l’histoire : "une identité européenne assumée serait nécessaire pour renforcer l’Europe en interne et sur la scène mondiale"[26].

La succession de crises géopolitiques récentes font émerger un désir majoritaire de souveraineté européenne (même si le concept reste mal compris[27]), ainsi qu’un sentiment d’appartenance à une communauté de destin autour des valeurs démocratiques et libérales. Les Européens sont en train de prendre conscience collectivement que la liberté nécessite un engagement citoyen qui ne se délègue pas. Sa préservation ne peut reposer sur nos seules forces armées. Il ne s’agit pas de rétablir la conscription telle qu’elle existait par exemple en France jusqu’à la fin des années 1990. L’objectif serait, en revanche, de reconnecter, de façon universelle, dans un cadre communautaire et démocratique, la jeunesse européenne avec ses armées nationales[28]. 

Une initiative européenne pourrait proposer la mise en place, dans un cadre communautaire à définir, d’un "service militaire 2.0"[29] construit selon une proposition d’architecture à débattre, à affiner, à financer et à faire adopter démocratiquement dans les 27 pays de l’UE :

  • Un service d’initiation militaire national, obligatoire et universel, de 4 semaines, mettant en place une sujétion expresse des citoyens au titre de leur défense nationale[30], construit selon le modèle croate et "principalement tourné vers la résilience et la préparation à l’intervention en cas de catastrophes naturelles, par exemple"[31]. Ce service militaire serait mis en place pour les jeunes hommes et jeunes femmes, sous encadrement par leurs armées nationales, sur la base d’un programme militaire commun à toute l’UE complété par des spécificités liées aux systèmes de défense de leurs pays d’origine. Lors de ce service, les jeunes gens suivraient un enseignement de capacités militaires fondamentales (à définir de manière communautaire).
  • Ce service d’initiation militaire national pourrait être suivi d’une période d’engagement volontaire spécialisé de quelques mois soit pour une intervention civique et citoyenne en France ou en Europe, soit pour approfondir ses capacités militaires en vue d’intégrer les réserves militaires de leurs pays.

L’ensemble du dispositif de service militaire européen serait financé par le nouveau Fonds Européen de Défense et administré par l’Agence Européenne de Défense (AED)[32]. Le FED pourrait également être utilement mobilisé pour aider à financer la reconstitution de forces de réservistes dans les différents pays de l’UE. Enfin, il pourrait également permettre la création d’un Institut Européen d’Études de Défense sur le modèle de l’IHEDN français afin de favoriser la réalisation d’études académiques et de renforcer le lien entre les sociétés civiles européennes et leurs forces armées.

Face à la remontée des périls sur le continent européen, l’instauration d’un service militaire universel communautaire pourrait être un levier de construction de la résilience de nos démocraties qui redécouvrent avec effroi le retour du tragique dans l’Histoire. Dans le "brouillard d’incertitude" dans lequel nous sommes de nouveau condamnés à vivre, la résilience de nos sociétés européennes, que nous parviendrions à bâtir en mettant en place un tel dispositif, jouerait comme une sorte de "capital défensif a priori" susceptible de contribuer à dissuader l’attaque d’un potentiel ennemi qui ne parviendrait pas à mener une guerre d’écrasement en quelques jours. La mobilisation démocratique des Européens sur cette question permettrait de montrer aux différents "compétiteurs" de l’Union européenne que celle-ci, unie et résolue, est enfin sortie de la sorte d’irénisme post-historique dans lequel elle avait cru, jusqu’à présent, pouvoir se sentir protégée.

Olivier Gramail

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[1] Article 5 du Traité de l’OTAN et sa clause dite "des trois mousquetaires" : un pour tous et tous pour un…

[2] "Nous sommes une petite armée, une armée bonsaï ou presque une armée Canada Dry", Général Desportes, 12 novembre 2014.

[3] Stéphane Oiry.

[4] Comme par exemple l’Espagne en 2001, la Slovénie en 2004, l’Italie en 2006, la Pologne en 2008, la Suède en 2010 ou l’Allemagne en 2011.

[5] On peut se référer à la fameuse "Loi d’Augustine", du nom de Norma R. Augustine qui a prophétisé une croissance géométrique des coûts d’armements face à une croissance arithmétique des budgets militaires.

[6] "1996-1997 : Jacques Chirac signe la fin du service militaire pour les français", Le Parisien, 5 juin 2018 – "L’amertume des derniers des cons".

[7] Aux côtés de Charles Million (en caution gaulliste ?).

[8] Vers l’Armée de Métier, Charles de Gaulle, Berger-Levrault, 1934.

[9] J’ai le souvenir d’un déplacement avec l’IHEDN à Berlin au printemps 2018 lors duquel les propositions françaises en matière de défense européenne avaient été interprétées par nos amis Allemands uniquement comme un désir non refoulé de puissance française sous couvert d’Europe !

[10] "Il est hautement improbable que la France se trouve isolée dans un conflit de haute intensité, aussi est-il vital d’être assurés de pouvoir conduire des opérations efficacement avec des partenaires sûrs". "L’Europe ne parviendra vraisemblablement à renforcer son autonomie stratégique qu’au prix d’un nouveau pacte avec les États-Unis fondé sur une volonté européenne préalable d’exister comme puissance – objet de la "boussole stratégique" actuellement en discussion –, et sur le constat renouvelé d’intérêts de sécurité communs", Rapport d’information n° 5054 de l’AN, op cit.

[11] War with Russia : An Urgent Warning from Senior Military Command, Général Sir Richard Shirreff, octobre 2016.

[12] On peut émettre l’hypothèse selon laquelle Vladimir Poutine applique en Ukraine la même logique dite de "stratégie du piéton imprudent" qu’en Syrie, ou que l’URSS appliqua de manière "classique" en Hongrie ou en Tchécoslovaquie.

[13] Général de corps d’armée Christian Jouslin de Noray.

[14] "La Masse dans les Armées Françaises : un défi pour la haute intensité", Focus stratégique de l’IFRI n° 105, Raphaël Briant, Jean-Baptiste Florant, Michel Pesqueur, juin 2021.

[15] Compte rendu de l’audition du Général d’armée Thierry Burkhard, Chef d’État-major des Armées, sur le projet de loi de finances pour 2022, op.cit.

[16] Environ 20.000 réservistes.

[17] Au sein desquelles, contrairement aux armées dites "de levée", il n’y a pas de conscription, qui sont exclusivement composées de professionnels et qui comportent des réserves composées de volontaires.

[18] En impliquant l’État, les collectivités territoriales, les opérateurs d’importance vitale (OIV), les entreprises et les particuliers.

[19] Général Denis Mistral, in Rapport d’information A.N, op.cit.

[20] François Heisbourg, Éd. Odile Jacob, 2022.

[21] Rapport d’information A.N sur la Préparation à la haute intensité, op.cit.

[22] Association Les Jeunes IHEDN, Constance Gauthier, 20 juin 2020.

[23] On pourrait par exemple citer l’historien britannique Antony Beevor pour qui "l’idée d’une armée européenne reste ridicule", in Le Point, le 5 mars 2022.

[24] La patrie peut être définie comme une "communauté politique d’individus vivant sur le même sol et liés par un sentiment d’appartenance à une même collectivité, notamment juridique, culturelle, linguistique etc.".

[25] Voir "Jürgen Habermas et le patriotisme constitutionnel", Sophie Heine, in Revue Politique, 14 octobre 2011.

[26] Jürgen Habermas, "Sur l’Europe", Bayard, 2006.

[27] "La "souveraineté européenne", promue par les dirigeants de l’UE est mal comprise par les Européens", Le Monde, 1er mars 2021.

[28] L’anti-modèle serait celui des camps de jeunesse patriotique mis en place en Russie par le Président Poutine en 2005 afin de repolitiser les jeunes russes, en les faisant participer par milliers à des cours d’histoire révisionnistes, à des activités sportives, mais aussi à des débats politiques autour de thèmes ultra-nationalistes. 

[29] "Le Service Militaire en Europe, entre Déclin et Renouveau", Geostrategia, 11 octobre 2019.

[30] Sujétion constitutionnellement possible en France au titre de l’article 34 de la Constitution.

[31] "Le Service Militaire en Europe, entre Déclin et Renouveau", op.cit.

[32] Créée en 2004, l’Agence Européenne de Défense aide les États membres (sauf Danemark) à développer leurs ressources militaires, à lancer de nouvelles initiatives et à renforcer leurs capacités de défense communes. L’AED est présidée par Josep Borrell.

16/03/2022

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