Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Bertrand Chandouineau est Consultant en stratégie de sécurité et de défense.
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La Rome antique est connue pour avoir développé, il y a plus de deux mille ans, un urbanisme moderne, pragmatique et inventif. D’abord moderne parce que l’augmentation exponentielle des échanges économiques et des populations citadines de l’Empire romain poussa celui-ci à adapter son urbanisme à l’intensification de la circulation des personnes, du commerce et du peuplement des villes.
Pragmatique ensuite parce que l’ensemble des besoins et des aspirations des populations fut pris en compte : alimentation en eau potable, évacuation des déchets et des eaux usées, création de zones économiques, culturelles et politiques distinctes des quartiers d’habitation, voies de circulation praticables, etc. Inventif enfin car pour répondre à la fois à la modernité et au pragmatisme de l’urbanisme romain, de nouvelles techniques de construction, de nouveaux matériaux et de nouveaux types d’infrastructures furent inventés et constamment améliorés.
Malheureusement, entre l’Urbs romaine et la ville européenne de la fin du Moyen-âge, à de rares exceptions près, toute l’intelligence urbanistique de l’Antiquité sembla disparaître. Nos villes européennes devinrent étriquées, malodorantes, encombrées et peu sûres. Fébrilement recroquevillées derrière de hauts remparts, elles furent sujettes à des incendies et des épidémies catastrophiques, tant les habitations et les populations citadines étaient littéralement compactées. Quelques efforts existèrent aux 17 et 18ème siècles mais il faudra attendre le 19ème siècle pour que, sous la pression d’une augmentation exponentielle de la population citadine, la ville s’organise, s’adapte et s’étende. Initié notamment par le Baron Hausmann à Paris, un nouvel urbanisme naquit, qui n’hésita pas à détruire des quartiers entiers, devenus insalubres, à créer des plans de circulation aérés et à étirer la ville pour loger décemment ses habitants.
Depuis, l’urbanisme n’a pas réellement évolué et la ville du 21ème siècle ressemble beaucoup à celle du début du 20ème, à quelques aménagements près, tels que les grandes surfaces commerciales, les cités "dortoirs" et les quartiers de banlieue, aujourd’hui qualifiés de prioritaires. Ainsi, beaucoup de villes, y compris certaines métropoles, ont le plus souvent conservé en leur centre des rues étroites, des surfaces commerciales réduites, des habitations datant souvent de la fin du 19ème siècle et peu adaptées, des places-parkings encombrées de véhicules, des lignes de tramway et des plans de circulation compliqués.
Certaines municipalités courageuses ont pourtant éloigné les voitures individuelles d’un centre historique devenu piétonnier, au grand dam de commerçants et d’habitants mécontents d’abord, puis heureux quelques années plus tard. D’autres, tout aussi courageuses, ont entrepris des programmes de grands travaux pour réhabiliter, embellir et rationaliser des quartiers entiers, le plus souvent autour des gares ou dans des banlieues hâtivement construites à la fin du 20ème siècle. Dans l’ensemble, ces évolutions ont été le fruit de l’imagination et de la volonté politique de quelques maires éclairés, s’appuyant parfois sur des dispositifs d’aide publique ciblée. Mais combien de villes, si l’on excepte les grandes métropoles, n’ont pas bénéficié d’une telle évolution ?
Combien de villes ont vu leur centre déserté, leur habitat ancien se vider et se dégrader, leur activité sociale disparaître, au bénéfice des galeries commerciales extérieures et de zones pavillonnaires de plus en plus éloignées de tout, à partir desquelles seule la voiture individuelle permet de se déplacer ? Ces villes ne risquent-elles pas ainsi, dans quelques années, de n’avoir plus d’autre intérêt que d’être le pôle administratif du territoire, quand une grande partie du besoin de se loger, de travailler, de s’alimenter et peut-être même d’étudier pourront s’affranchir d’un socle urbain ? N’assistons-nous pas déjà à un mouvement d’exode de plus en plus important qui voit les villes se vider au bénéfice des campagnes dans lesquelles les néo-ruraux imaginent vivre loin des nuisances urbaines tout en exigeant un confort… de citadin ?
Dès lors, l’un des enjeux de notre avenir serait bien de rendre la vie citadine de demain attirante, tout en conciliant celle-ci avec les enjeux vitaux de durabilité globale : sobriété énergétique, préservation environnementale, fluidité de circulation, autonomie économique, durabilité des matériaux et intelligence urbanistique ?
Il semble intéressant d’initier une réflexion indépendante sur cet enjeu. Tous les travaux actuels sur la ville du futur reposent sur des organes institutionnels, dépendant plus ou moins directement de l’État, ou sur des entreprises liées de près ou de loin à l’évolution de la ville en général et de ses aspects urbanistiques en particulier. Dans les deux cas, l’intérêt d’orienter la réflexion dans un sens voulu (administratif pour l’État et économique pour les entreprises) est aisément compréhensible. Une réflexion totalement indépendante de l’État et des entreprises semble donc indispensable pour que les habitants des villes futures puissent initier et construire leur propre vision de la vie citadine qu’ils veulent pour l’avenir. Par une réflexion commune avec l’ensemble des acteurs possédant l’expertise et l’expérience des domaines concernés, ces habitants seront ainsi en mesure d’imaginer de nouveaux concepts pour la ville de demain.
"Urba Futuris" est un cercle de réflexion, en gestation, qui se propose de porter cette réflexion. À partir d’un groupe d’une cinquantaine de membres fondateurs, des travaux de conception de la ville du futur seront menés par des groupes de travail qui aborderont des thématiques définies pour des "séquences" de deux à trois ans, donnant lieu à des rencontres (séminaires, colloques, conférences, tables rondes), des articles et ouvrages ciblés et des rendez-vous annuels de synthèse. Ces groupes seront constitués à la demande, pour des temps déterminés, par des habitants intéressés, mais sans expertise particulière, et par des experts invités à partager leur connaissance et leur expérience.
PS : pourquoi aller vers la modernité avec un nom en latin ? Parce que le latin est une langue certes morte, mais quasiment universelle, et qu’aller vers le futur ne signifie pas qu’il faut oublier d’où l’on vient.
26/11/2022