Contourner les risques de l’inattendu : l’importance de l’anticipation stratégique face aux ruptures géopolitiques

21/01/2025 - 5 min. de lecture

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Djilali Benchabane est Directeur de CEOS Stratégie & Conseil, expert des questions de stratégie et de géopolitique.

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Dans un monde en perpétuelle mutation, les ruptures géopolitiques ne cessent de se multiplier, rendant plus complexe, par leur imprévisibilité, la mise en œuvre de réponses suffisamment dimensionnées pour répondre pleinement aux situations de crise qu’elles génèrent. Ces événements, souvent soudains et déstabilisants, peuvent avoir des répercussions profondes sur la stabilité des entreprises et des gouvernements. Face à cette réalité, l’anticipation stratégique peut se révéler un outil précieux pour naviguer dans l’incertitude, préparer l’avenir et réduire les coûts d’une crise.

Comprendre les ruptures géopolitiques

Les ruptures géopolitiques se caractérisent, avant toute chose, par des changements brusques et significatifs dans l’ordre mondial, à l’instar d’une tectonique qui refaçonne le système international de façon constante mais imprévisible.

Ces événements peuvent être déclenchés par des facteurs économiques, politico-sécuritaires, technologiques ou sociétaux. Les attaques du 11 septembre 2001 ont ainsi radicalement transformé les équilibres stratégiques, en amenant à une prise de conscience de la vulnérabilité des États face à un terrorisme global qui, au travers d’une lutte asymétrique, a réduit l’écart de puissance entre acteurs étatiques et non-étatiques.

De même, les révolutions des printemps arabes en 2011 ont bouleversé la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, en amenant à une recomposition de cet espace, que ce soit par l’effondrement de régimes forts (ex. : Égypte, Syrie, Irak, Libye, Tunisie, etc.) ou l’apparition du proto-état (l’État islamique). Mais aussi, elles ont créé les conditions de réémergence de l’empreinte au Moyen-Orient de nations telles que la Russie, dont l’effacement avait pourtant été significatif durant la période 1990-2010.

Plus récemment, la crise en Ukraine réinscrit la conflictualité aux portes de l’Europe, avec pour effet immédiat de bouleverser de façon durable les approvisionnements énergétiques de l’U.E (conséquences industrielles et renchérissement des coûts), et contraint le vieux continent à repenser la guerre comme une éventualité.

Ces ruptures ne sont pas seulement liées à des événements ou des crises historiques ; elles sont aussi le produit de trajectoires à long terme. La montée en puissance économique de la Chine a désinhibé, au fil des décennies, le rôle de Pékin, basculant d’acteur majeur du commerce mondial vers un statut prééminent dans le système international. L’implication croissante de la diplomatie chinoise dans la résolution des conflits ou l’apaisement des tensions internationales témoigne d’une Chine qui affirme sa puissance et assume son rang mondial. L’exemple de la médiation chinoise en mars 2023, dans le rétablissement du dialogue entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, marque ainsi la recomposition d’un Moyen-Orient où la prédominance anglo-américaine cède le pas à d’autres influences.

Les impacts du changement climatique et les crises sanitaires mondiales sont également des facteurs susceptibles de provoquer des aggiornamentos à l’échelle globale. La COVID-19 a particulièrement révélé la vulnérabilité d’un monde où les bénéfices de la globalisation masquaient les limites de la maîtrise des chaînes d’approvisionnement, mais aussi les écarts dans la capacité de mobilisation industrielle et de recherche des États en situation de crise.

L’anticipation stratégique : un outil indispensable

Dans un monde où la constante devient l’incertitude, l’anticipation stratégique consiste à bâtir une culture de l’analyse pour accompagner la prise de décision. Elle sert autant à l’adaptation des organisations qu’à la formalisation de réponses face à des évolutions complexes. L’acculturation à ce domaine repose sur une multiplicité de vecteurs tels que la mise en œuvre de scénarios prenant en compte l’écosystème, les déclencheurs, les temporalités, etc., les analyses des tendances et la détection des signaux faibles. Ces méthodes offrent aux décideurs un temps d’avance pour se préparer aux différents futurs possibles, mais aussi développer des stratégies de résilience.

Les défis de l’anticipation stratégique

Si l’anticipation stratégique constitue une ressource utile dans le processus décisionnel, elle n’est pas sans défis. La complexité et l’imprévisibilité inhérentes aux événements géopolitiques rendent par essence difficile toute prévision. De plus, les organisations doivent disposer des ressources nécessaires, tant humaines que technologiques, pour mener à bien ces analyses d’anticipation. La résistance au changement au sein des organisations - qu’elles soient publiques ou privées - peut également constituer un obstacle majeur à l’adoption de pratiques d’anticipation.

L’anticipation stratégique au service de la décision

Tout processus de décision est un acte fondamental qui engage un gouvernement ou une entreprise. Au travers de la décision, c’est une dynamique qui mobilise les ressources (humaines, financières, technologiques, etc.) qui s’enclenche en vue d’atteindre un résultat.

C’est pourquoi les décideurs doivent être en mesure d’intégrer l’anticipation stratégique dans la planification à long terme de leurs objectifs pour parer aux incertitudes.

Il est, à ce titre, crucial de former des équipes dédiées à la prospective stratégique en vue de constituer un vivier d’experts à même d’accompagner les décideurs, tout en pérennisant l’émergence d’une culture de l’anticipation.

La pluridisciplinarité, face à l’incertitude, est également un facteur de nature à optimiser les capacités d’anticipation de toute organisation. Aussi, les partenariats avec des think tanks et des praticiens de l’anticipation stratégique ne doivent pas être négligés au vu des ressources complémentaires qu’ils peuvent apporter.

Si les synergies externes constituent un levier complémentaire à l’acquisition d’une compétence en anticipation, le décloisonnement de l’information entre départements reste bien souvent insuffisamment exploité. Or, l’ensemble des ressources disponibles par les acteurs publics et privés, que ce soit en interne ou via leurs filiales à l’étranger, constitue des capteurs informationnels essentiels à tout processus d’anticipation.

Les organisations doivent également savoir gagner en agilité pour adapter leurs stratégies en fonction des évolutions géopolitiques. Cela implique une culture organisationnelle ouverte au changement et à même de réagir avec célérité aux nouvelles données.

La mise en place de systèmes de veille géopolitique s’avère, de ce fait, essentielle pour détecter les signaux faibles et lignes de rupture, et réadapter des stratégies qui deviennent inopérantes à chaque nouvelle évolution stratégique.

Conclusion

Dans un monde marqué par des ruptures géopolitiques récurrentes et imprévisibles, l’anticipation se révèle être un atout précieux pour décrypter et s’adapter au brouillard stratégique. En optant pour une culture de l’anticipation, les organisations s’émancipent du réflexe de la posture défensive - mobilisatrice de ressources -, pour tendre vers une résilience fondée sur la prévision des possibles. Les dirigeants qui intègrent l’anticipation stratégique dans leur planification à long terme s’inscrivent dans une vision où le risque géopolitique devient une variable d’opportunité : anticiper le changement, c’est à la fois construire la résilience et saisir les reconfigurations du monde.

Djilali Benchabane

21/01/2025

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