La guerre du Golfe - Partie 3

14/06/2020 - 4 min. de lecture

La guerre du Golfe - Partie 3 - Cercle K2

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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire puis directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.

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L’installation du Conseil de Défense ou lorsque le symbole prévaut sur l’opérationnel

Les préparatifs de l’opération « Tempête du Désert » allaient bon train. Les échanges entre les différentes capitales des membres de la coalition se multipliaient et une certaine effervescence régnait à l’Élysée. Le PR était en liaison téléphonique constante avec les principaux chefs d’État et principalement avec le Premier Ministre du Royaume-Uni, John Major, et le Président des États-Unis, George H.W. Bush. La guerre était présente à tous les étages et dans tous les esprits.

Un ultimatum avait été lancé à Saddam Hussein pour évacuer le Koweït avant le 16 janvier 1991 : si cet ultimatum n’était pas suivi d’effets, des frappes aériennes seraient lancées.

Dans ce contexte inflammable, le PR décide de réunir tous les jours, à 18 heures, un Conseil de Défense élargi pour évoquer les questions militaires. Or, le choix du lieu où devait se tenir ces réunions allait mettre en tension deux exigences différentes, celle, opérationnelle, du militaire et celle, symbolique, du politique.

Dans les choses de la guerre, le symbole et l’opérationnel ont, bon gré mal gré, partie liée. La guerre étant la continuation de la politique par d’autres moyens, les affaires militaires ne peuvent faire l’économie de l’importance des signes. Le PR, Chef des Armées, connaissait d’autant mieux ce principe qu’il était passé maître dans l’art des signes (souvenons-nous de la cérémonie de la rose au Panthéon lors de sa première investiture).

Du point de vue opérationnel, tout conduisait au choix du PC Jupiter pour la tenue des réunions du Conseil de défense. Installé dans les locaux du Palais, le PC Jupiter est dédié à la mise en œuvre de la dissuasion nucléaire et est équipé pour accueillir des réunions de travail avec tous les dispositifs modernes de projection servant notamment pour les cartes. Le PR rejette cependant immédiatement ce choix. Il considère que le PC Jupiter est le lieu symbolique de la force nucléaire française et il est pour lui hors de question que, dans cette crise, la possibilité de recourir à cette force soit ne serait-ce que suggérée par l’installation de son Conseil de Défense. L’image qui serait renvoyée à la presse, à l’opinion publique et à Saddam Hussein serait complètement contraire à la position réelle de la France dans ce conflit.

Le choix se porte alors sur le Salon des Aides de Camp, qui est le seul salon du Palais disponible. Historiquement, ce salon, contigu au Salon des ambassadeurs, servait entre autres d’antichambre aux Ambassadeurs étrangers qui, accueillis par les Aides de camp, venaient présenter leurs lettres de créance au Président de la République. Ces lettres très officielles, signées par les Chefs d’État des pays représentés, étaient contenues dans une grande enveloppe, qui était ensuite transmise au Président, lequel ne les ouvrait pas mais les confiait à un collaborateur du Quai d’Orsay. Il arrivait cependant que certains Ambassadeurs oublient leurs lettres ou ne soient pas informés de cet usage. Le service du protocole de l’Élysée avait alors la délicatesse de proposer à l’Ambassadeur embarrassé une enveloppe vide pour sauver les apparences.

Le signal du Président ne manqua pas d’atteindre son but puisque la presse – quand elle fut informée du choix du Salon des Aides de Camp pour réunir le Conseil de préféré au PC Jupiter – s’empressa de saluer cette décision qui, d’après ses avis éclairés, était le meilleur choix pour montrer la mesure de l’engagement du PR et de la France dans cette crise.

Du côté de l’État-Major Particulier et des Aides de Camp, chargés de préparer ces réunions du Conseil, cette décision de ne pas utiliser le PC Jupiter allait naturellement compliquer les choses. Il fallait équiper en urgence le Salon des Aides de Camp qui n’était pas destiné à servir de QG. Toute préparation militaire nécessite l’utilisation de cartes géographiques, instruments par excellence du militaire. Elles permettent la visualisation, d’un coup d’œil, du théâtre des opérations et du positionnement des troupes et aident à la détermination des objectifs stratégiques et des manœuvres à réaliser. Il nous fallait donc une carte pour présenter au PR les différents objectifs des frappes aériennes et, selon l’évolution de la crise, les lieux où devraient plus tard faire mouvement les troupes. Nous devions également trouver un substitut du dispositif de projection du PC Jupiter qui permettait de mettre à jour la carte des opérations en temps réel. Les services de l’IGN nous fournirent une carte que nous fixâmes, avec l’aide des services techniques de l’Élysée, sur une plaque de contreplaqué et, pour renseigner la carte des opérations, nous eûmes recours à des crayons feutres. Je me voyais revenu à mes jeunes années de lieutenant d’artillerie lors des manœuvres !

Chaque jour, le même cérémonial. Tous les matins, très tôt, nous mettions à jour, avec nos crayons feutres, la carte des opérations grâce aux informations transmises au PC Jupiter par les Armées. Ensuite, vers 9 heures, deux gardes républicains se présentaient pour transporter la carte du PC jusqu’au bureau du Président, pour servir aux premières réunions avec lui. Comme il était nécessaire de passer par tous les couloirs de l’Élysée, la carte était recouverte d’un tissu qui la couvrait complètement et qui ne laissait filtrer aucune lumière afin de la protéger des regards indiscrets. La situation opérationnelle pouvait alors être présentée au PR par l’officier de l’État-Major Particulier.

Lors des réunions du Conseil de Défense, le PR se montrait très vigilant sur le choix des objectifs, en particulier ceux désignés aux forces aériennes françaises. Il tenait, dans les premiers temps, à ce que leur positionnement soit bien situé au Koweït. Il savait que le choix des cibles et l’éventualité de frappes en Irak, qu’il ne se refusait pas, était source de tension entre lui et son Ministre de la Défense. Il voulait préserver les apparences tant que l’ultimatum était en cours. Le PR jouait une nouvelle fois des signes pour garder la maîtrise de la temporalité.

Général Jean-Pierre Meyer

14/06/2020

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