Le principe de subsidiarité au secours de la souveraineté nationale !
12/06/2023 - 6 min. de lecture
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Lorraine Tournyol du Clos est Conseillère du Président de l'Institut Choiseul.
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La souveraineté de l’État est un concept à la fois complexe, car politique, juridique et philosophique, et en même temp fondamental. Comme pour la liberté individuelle, on en mesure souvent l’importance une fois qu’on l’a perdue : État failli, État fantoche, État vassal, etc. Disons, pour simplifier, que la souveraineté est la capacité d’un peuple, d’une nation, à décider librement de son sort et à agir en conséquence.
Le terme de souverain est d’ailleurs issu de superus qui signifiait "au-dessus" en latin du XIIème siècle. Le souverain est donc celui au-dessus duquel rien ne se tient. Autrefois, le souverain était le Roi et tenait son pouvoir de Dieu (le roi était "lieu-tenant" de Dieu en son royaume). Aujourd’hui, le souverain est l’État et tient son pouvoir du peuple. "La démocratie se confond exactement, pour moi, avec la souveraineté nationale. La démocratie c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave" (discours du 25 mai 1942 de Charles de Gaulle à Londres).
La souveraineté de l’État est absolue mais pas illimitée
Ce pouvoir est absolu puisqu'il ne dépend de rien d’autre que de lui-même, mais il n’est pourtant pas illimité ! D’une part, il est limité par l’extérieur, pourrait-on dire : la souveraineté d’un État s’arrête en effet là où commence celle des autres États. D’autre part, il est aussi limité par l’intérieur. Et, dans la conception moderne de la souveraineté née au XXème siècle[1], on reconnaît généralement trois limites internes à la souveraineté.
La première limite est celle du "principe supérieur du Droit", c’est-à-dire des principes et valeurs qui fondent l’État de droit comme, par exemple, le nécessaire respect de la dignité humaine. La deuxième limite est naturellement celle du respect de la Constitution : l’État tient sa souveraineté du peuple qui lui en a délégué l’exercice et ce peuple entend fixer dans le même temps les conditions cette délégation.
Le respect du contrat social est en particulier essentiel à la légitimité de l’État
La troisième limite, moins connue, est pourtant énoncée dès le XVIème siècle par Jean Bodin, le "père" du concept de souveraineté dans sa préface à La République : c’est celle du “contrat qu’il (le roi) a passé avec ses sujets [2]". Et il s’agit là d’un contrat moral, bien différent du seul respect de la Constitution écrite (qui n’existait d’ailleurs pas au XVIème siècle), ou plutôt d’un contrat social tourné vers le "bien collectif que l’État est appelé à réaliser" (Louis Le Fur).
Si donc l’une de ces limites n’est plus respectée, alors l’État n’est plus légitime à exercer la souverainté nationale et la délégation de pouvoir qui le fonde n’est plus valable. Par exemple, c’est sur le fondement de ces limites que la communauté internationale a peu à peu légitimé des atteintes, pourtant à l’origine prohibées par le droit international, à la souveraineté des États dans le cas d’intervention pour cause d’humanité ou de responsabilité de protéger. En particulier, si l’État ne respecte pas le contrat social, il n’est plus légitime.
Mais l’action de l’État doit parfois affronter l’impopularité
Est-ce à dire que l’État pour être légitime doit toujours rester populaire ? Non, bien sûr. D’une part, la popularité mesurée par les sondages n’est pas à elle seule la voix du peuple (malgré l’éthymologie commune). Ensuite, dans l’histoire individuelle de chacun comme dans la vie collective d’une Nation, le bien à long terme peut parfois s’opposer à l’intérêt immédiat. Par exemple, si l’État avait toujours suivi l’avis du peuple français (en ayant recours au référendum), certaines mesures qui nous paraissent aujourd’hui naturellement bonnes n’auraient sans doute pas été prises en leur temps : interdiction du travail des enfants, droit de vote des femmes, abolition de la peine de mort, scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, etc.
À l’opposé, l’Histoire nous a également montré que vouloir le bonheur d’un peuple contre sa volonté conduit généralement à des désastres meurtriers. Comment donc faire la part des choses ? Comment savoir si l’État remplit son rôle, c’est-à-dire en fait comment savoir ce qui est bon pour la Nation ?
Le principe de subsidiarité est un outil d’efficacité de l’action publique
La définition même du but à atteindre échappe parfois à notre réflexion collective ou se révèle complexe à préciser (qu’est-ce qu’une "vie digne" ? Comment concilier des objectifs apparemment contradictoires comme développement économique et protection de l’environnement, liberté de chacun et sécurité de tous ? etc.) et l’État se retrouve alors comme à conduire le peuple vers un bien commun obscur, par des chemins brumeux, sans consensus, voire même contre la volonté de ceux qu’il guide… Comment donc adapter l’action de l’État à des buts qui ne se révèlent que peu à peu et, encore, à condition d’avancer vers eux ? Par le respect du principe de subsidiarité !
Aussi ancien que la philosophie politique elle-même (Aristote introduit le principe de subsidiarité dans ses Politiques), reformulé au XVIIème siècle par Johannes Althusius en lien avec le féderalisme, et repris (quoique dans un sens un peu différent) par le droit européen en 1992, le principe de subsidiarité peut s’énoncer de nombreuses façons : "laisser chacun faire son travail", "traiter les problèmes au plus proche de leurs causes", "l’État ne peut pas tout"… ou, de façon plus savante "réserver uniquement à l’échelon supérieur ce que l’échelon inférieur ne pourrait effectuer que de manière moins efficace" : le principe de subsidiarité est donc avant tout un principe d’efficacité.
Et renforce l’exigence de dialogue social
Cependant, afin d’éviter que cette décentralisation de l’action n’ait des conséquences négatives (risque d’inégalités territoriales, de manque de concertation, de doublons, de lourdeurs et de gaspillages, etc.), une exigence parallèle de concertation augmente en même temps que le nombre des échelons d’actions. Le rôle de l’État (au sens de échelon supérieur et centralisé de l’action publique) devient alors d’assurer la coordination, la communication et la complémentarité des différents acteurs de la société (collectivités territoriales, organisations syndicales, familles, etc.) autant que de conduire les politiques publiques qui sont dans son champ d’action.
Et l’entreprise est bien évidemment concernée ! D’abord dans ses relations avec l’État, où elle est moteur de l’économie et actrice du bien commun à son niveau propre. Et dans ses relations avec son personnel également, notamment avec les syndicats, afin d’écouter l’expression de chacun, respecter les droits de tous dans la poursuite de ses objectifs.
Conclusion
L’effritement du syndicalisme auquel nous sommes en train d’assister est de ce point de vue une mauvaise nouvelle, que l’on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle avec la montée violences collectives, spontanées, anarchiques, constatées dans le même temps. Le contrat social semble se déliter sous nos yeux, tanquis que la société "s’archipellise" (Jérôme Fourquet) au sein d’un courant de "constestation populaire", violente ou non (comme la radicalisation des discours, le vote aux extrêmes, l’appel à la réforme des institutions, etc.). En d’autres termes, il se pourrait que la France soit en train de laisser sa souveraineté nationale pourrir de l’intérieur.
Il ne s’agit évidemment pas de chercher des coupables ni de dresser des tribunaux populaires. L’heure est au rétablissement, au colmatage des failles, à la consolidation en urgence. Attendre, voire accélérer l’effondrement afin de mieux rebâtir sur des ruines est une stratégie toujours beaucoup plus coûteuse qu’il n’y paraît (et qui épargne rarement ceux qui la souhaitaient). L’heure est plutôt à la signature d’un nouveau contrat social : redéfinition d’un but commun (quel modèle de société sohaitons-nous construire ?), nouvelle délégation claire de souveraineté à l’État chargé d’y tendre (élections, référendum, convention citoyenne, etc.) et un nouvel engagement collectif à participer à ce nouveau projet fédérateur. Il ne s’agit en fait de rien de moins que de refonder notre souveraineté intérieure.
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1. Par exemple, Louis Le Fur, État fédéral et confédération d’états, Paris, Marchal et Billard, 1896
2. Spitz, Jean-Fabien, "Bodin "absolutiste" ?", Bodin et la souveraineté, sous la direction de Spitz Jean-Fabien, Presses Universitaires de France, 1998, pp. 11-30
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