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Dominique Lamoureux est Président du Cercle d’Ethique des Affaires.
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La Covid-19 confirme - s'il en était encore besoin - que les grandes questions qui interrogent les citoyens se posent de plus en plus fréquemment au niveau planétaire, que ce soit le dérèglement climatique, le terrorisme, la crise économique, les pandémies diverses, sans oublier la corruption ou la criminalité économique.
Pourtant, la gouvernance mondiale – ou planétaire - témoigne quotidiennement de son impotence. Les organisations nées au lendemain de la deuxième guerre mondiale ne parviennent pas à imposer leur pouvoir, victimes non seulement de leurs propres règles de fonctionnement mais également de l'"inflation étatique" (en 1945, l'ONU regroupait 50 États ; en 2020, ils sont 193). Par ailleurs, les États, même les plus évolués, sont de plus en plus dominés par des courants nationalistes avec des stratégies court-termistes portées par des préoccupations électoralistes. Ils n'ont ni le pouvoir, ni la volonté d'administrer la Planète, excepté les grandes puissances impériales… Et encore !
De cette situation, émerge un nouveau paradigme : si les États sont globalement incompétents, fragiles, corrompus et trop égoïstes, pourquoi ne pas transférer la "gouvernance" de la Planète aux entreprises. Ces dernières sont, en effet, globales, puissantes, souvent efficaces avec des visions long-termistes. Cette tendance est illustrée par les 17 Objectifs du Développement Durable promus par Monsieur Ban Ki Moon, ancien Secrétaire Général des Nations Unies, comme par les Principes Directeurs de l'OCDE applicables aux Entreprises Multinationales, révisés en 2011.
Cette doctrine impose, pour garantir que le secteur privé s’acquitte effectivement des nouvelles missions qui lui sont ainsi confiées, de faire de la transparence une impérieuse obligation. Toutes les activités des entreprises sont ainsi soumises à des mécanismes de reporting de plus en plus conséquents et pointilleux. Cette pratique permet notamment de faciliter la mise en cause de la responsabilité des sociétés comme celle de leur réputation et de leur image. Elle est complétée par de multiples outils qui vont de la notation extra-financière au droit d'alerte. Par ailleurs, de nombreuses législations nationales et extraterritoriales renforcent ces obligations [1], complétées par un nombre toujours croissant de normes et de standards contraignants.
Mais un tel transfert de responsabilité est-il légitime et crédible ? Les entreprises relèvent par essence du domaine de la "technique"[2]. Elles ont pour but de faire du profit et n'ont pas, a priori, d'objectif politique ou moral au sens que peut en attendre la Cité. Elles peuvent, au mieux, développer des politiques d'éthique ou d'engagements RSE et tenter d'élaborer leur "raison d'être".
En outre, elles sont obligées de mettre en œuvre de rigoureux et coûteux programmes de conformité (en vue d'une gestion de leurs risques pénaux ou réputationels) qui n’évitent pas, malheureusement, une insécurité juridique croissante pour les acteurs économiques évoluant à l’international. Ainsi, cette "dictature" de la transparence conduit parfois à interpeller directement la protection légitime du savoir-faire technique et commercial, voire même la souveraineté nationale.
Toutefois, il convient de s’interroger : ces exigences de plus en plus exorbitantes ne sont-elles pas - non pas l'expression de tiers-mondialistes irresponsables ou d'écologistes exaltés - mais le stade ultime de la pensée libérale incarnée dans le "libertarisme" ? Les économistes classiques, comme Adam Smith ou David Ricardo, considéraient qu'il était nécessaire d'éliminer toutes les contraintes et obstacles pour que la "main invisible" du marché conduise à l'optimum attendu. Les institutions interventionnistes comme les dysfonctionnements du monde – de la pollution au non-respect de la diversité ou des droits humanitaires - sont des obstacles au marché libéral. Dans ce contexte, seule la transparence imposée à l'ensemble des acteurs économiques serait en mesure de garantir la croissance et, ce faisant, le progrès des nations.
Face à ces nouveaux enjeux, le Citoyen du Monde doit très sérieusement s'inquiéter d'un tel transfert de responsabilité comme de la démission des enceintes politiques et des instances de gouvernance mondiales. Parallèlement, les Comités exécutifs et les Conseils d'administration doivent assurément s'interroger sur ces nouvelles contraintes imposées aux acteurs économiques.
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[1] Directive européenne sur le reporting extra-financier, loi Sapin sur la Transparence de la Vie Économique, Devoir de Vigilance, etc.
[2] Cf. A. Comte-Sponville, "Le Capitalisme est-il moral ?"
22/11/2020