2024, le début de la fin du "Made in France" ?

03/02/2024 - 6 min. de lecture

2024, le début de la fin du "Made in France" ? - Cercle K2

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Henri Danzin est designer et entrepreneur. Il est le co-fondateur de JAÙH, Maison d'édition de mobilier artisanal contemporain Française.

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Alors que l'on pourrait penser que la tendance était solidement ancrée, en 2024, le "Made in France" se trouve à nouveau en péril. L'étude de janvier d'AgileBuyer "CNA Tendances et Priorités des Départements Achats en 2024" (1) souligne un changement de paradigme dans le secteur. Malgré un engouement pour le Made in France, les réalités économiques et géopolitiques risquent bien de modifier à nouveau le paysage.

Selon l'étude, la majorité des directions achats se concentrent désormais sur la réduction des coûts, témoignant d'une tension entre le désir de soutenir la production locale et la nécessité de rester compétitifs. La baisse d'intérêt pour le Made in France, principalement due aux coûts élevés, représente un signal d'alarme. Cette tendance soulève des questions sur la viabilité à long terme du Made in France dans un marché qui, malgré les déclarations politiques, n'a pas cessé de se globaliser au cours des dernières années, et ce, malgré le COVID et les enjeux climatiques.

Le Made in France n'est pas seulement un label de qualité, mais aussi un indicateur de la santé économique de la France. L'état de la balance commerciale française en 2024 (2) illustre clairement ces défis. Avec un déficit de 163,2 milliards d'euros en 2022, la France n'exporte plus, sauf exceptions qui ne font que confirmer la règle. Cette situation confirme une dépendance croissante aux importations et souligne les difficultés rencontrées par les exportations françaises. Bien que le déficit se soit légèrement amélioré en janvier 2024, il reste un motif de préoccupation majeur, comme le souligne la dernière étude Rexecode de janvier 2024 (3).

Les choix des consommateurs français dans un contexte économique et écologique contradictoire

Dans un contexte économique et social difficile, marqué par une nouvelle augmentation du chômage et une inflation persistante en 2024, les consommateurs français sont confrontés à des choix complexes. Ils se retrouvent contraints de prioriser le coût immédiat des produits sur d'autres considérations, malgré une volonté de soutenir une production plus locale et plus durable. Cette tendance est également exacerbée par une difficulté réelle à percevoir la véritable valeur ajoutée du Made in France, les consommateurs se heurtant souvent à un manque de clarté quant à ce qui constitue réellement un produit fabriqué en France, une confusion renforcée par des pratiques telles que le "French Washing" (4), où des produits sont faussement présentés comme français alors qu'ils ont été en réalité conçus ailleurs puis "finis" en France.

Parallèlement, les consommateurs, bien qu'ayant une meilleure compréhension des enjeux écologiques, et ayant pour beaucoup compris à quel point un retour à la production plus locale était une vraie réponse à ces mêmes enjeux, peinent à concilier ces préoccupations avec leurs contraintes budgétaires. Ces mêmes contraintes budgétaires les amènent ainsi à choisir un produit fabriqué en Asie, dans des conditions de travail qui n'ont pas grand-chose à voir avec celles pratiquées en France et qui va devoir parcourir des milliers de kilomètres avant d'arriver en magasin. Et cette distance est un problème. Si l'on prend l'exemple du transport maritime, sujet largement abordé lors de la COP27 (5), on peut constater à quel point il est très en retard dans la mise en œuvre de mesures pour réduire son impact environnemental et surtout à quel point il reste d'actualité : en 2022, les ports chinois ont enregistré une croissance de 4,7 % de leur trafic, malgré les restrictions liées à la politique Zéro Covid du pays (6).

Bref, consommer ce qui est produit loin à faible coût économique mais à grand coût écologique reste la norme. Et comment faire mine de ne pas comprendre cette réalité dans un contexte économique tel que vécu par nos concitoyens ?

L'international à la rescousse ?

Si les Français peinent à soutenir une économie plus locale et plus durable sur leur territoire, les clients étrangers nous y aident-ils ? Si l'on fait abstraction du sujet environnemental lié au transport, certains secteurs clés continuent d'impacter positivement le commerce extérieur français. Le luxe et la mode, avec un chiffre d'affaires global de 150 milliards d'euros en 2021, restent des locomotives de l'exportation française. L'aéronautique suit de près, avec des contrats majeurs signés par Airbus. Dans l'agroalimentaire, les exportations de vins et spiritueux ont atteint près de 14 milliards d'euros en 2021. L'industrie automobile, malgré ses immenses défis, exporte pour environ 50 milliards d'euros annuellement.

Ces performances illustrent le potentiel des marques françaises à l'international mais lorsqu'elles peuvent imposer des prix (très) élevés au marché. Comme je le soulignais en introduction, le déficit chronique de notre balance commerciale depuis 20 ans nous rappelle également à quel point ces entreprises sont l'arbre qui cache la forêt. C'est un fait : produire en France coûte plus cher qu'ailleurs et, sauf exception ayant réussi à conserver un "price power" important, la valeur ajoutée perçue de la marque France par les clients étrangers reste insuffisante dans de trop nombreux secteurs .

La 'French Tech' comme martingale ?

Comme le soulignent de nombreux économistes, les gains de productivité liés à l'usage des nouvelles technologies sont restés discrets depuis leur émergence, notamment dans le secteur manufacturier français. Mais les (r)évolutions récentes en matière d'IA ou de robotique vont très probablement changer profondément la donne et apporter des solutions très concrètes à la baisse de compétitivité chronique de la France. Selon une étude de Goldman Sachs (7), l’intelligence artificielle générative pourrait donner un coup de fouet à la productivité en augmentant de 7 % le PIB mondial. Mais à quel prix pour la France ? Selon l'OCDE, environ 50 % des emplois en France sont susceptibles d'être affectés par l'automatisation et l'intelligence artificielle. Dans un pays qui conserve un taux de chômage important et un modèle social qui repose sur de moins en moins d'actifs, cette "solution" pourrait bien se révéler catastrophique si elle n'est pas bien gérée.

Comme l'explique très bien Luc Julia (8), co-concepteur de SIRI, technologie d'intelligence artificielle rachetée par Apple en 2010, "l'intelligence artificielle n'est qu'un outil". Derrière chaque outil, il y a une main, un geste, une compétence, une expertise, un savoir-faire. La question de la formation et plus largement de l'adaptation du système éducatif à cette nouvelle réalité est donc très probablement la seule véritable réponse efficace à moyen/long terme pour faire de ces innovations un réel vecteur de croissance du Made in France.

Conclusion

Il n'existe aucune solution miracle pour inverser cette tendance à la lente disparition du Made in France. La "start-up nation" technologique n'est qu'une partie de la réponse. Si l'on oublie les effets de manche de certains politiques parfaitement irresponsables ou des déclarations purement marketing de certaines marques, fabriquer en France est un défi souvent perdu d'avance par les entrepreneurs assez fous pour se lancer dans cette aventure. Certes, la question environnementale, désormais centrale dans les médias, commence heureusement à peser dans les décisions du consommateur. Certes, notre dépendance à l'étranger a éclaté au visage du grand public en faisant disparaître de nos étals certains produits pendant la crise sanitaire. Mais face à la réalité économique présente, les clients arbitrent encore et toujours en faveur de la préservation de leur pouvoir d'achat. Et encore une fois, comment les blâmer ? Concernant l'export, c'est bien la question de la valeur ajoutée qui fait la différence. Qualité, créativité et innovation sont les piliers des stratégies qui peuvent nous permettre de nous en sortir. Mais attention ! Le temps est compté, nos anciens partenaires commerciaux "low cost" montent depuis déjà de nombreuses années en compétence et qualité (9). Ils vont nous rattraper ! et ce jour-là ...

Le mot de la fin

Je vais laisser le dernier mot à une IA. Un outil qui ne fait que condenser dans ses réponses les millions d'articles qu'il a analysés et traitant d'un sujet. À la question "Quelles contraintes devraient être levées rapidement sur les entreprises pour sauver le made in France ?", ChatGPT répond :

Simplification Administrative et Fiscale : Réduire les lourdeurs administratives et proposer un allégement fiscal ciblé pour les entreprises engagées dans le "Made in France". Ces mesures incluraient des démarches simplifiées pour la création et la gestion d'entreprise ainsi que des incitations fiscales telles que des crédits d'impôt pour l'innovation et l'investissement dans l'équipement.
Soutien à l'Innovation et à la Transition Numérique : Faciliter l'accès au financement pour les projets d'innovation et offrir des programmes d'accompagnement à la numérisation pour les PME et artisans. L'objectif serait d'encourager l'adoption de nouvelles technologies et de pratiques commerciales modernes, essentielles pour la compétitivité sur le marché global.
Valorisation du Savoir-Faire Français : Renforcer les labels de qualité "Made in France" et lancer des campagnes de sensibilisation pour promouvoir le savoir-faire français à l'échelle nationale et internationale. Il s'agit de mettre en avant l'excellence et l'authenticité des produits français pour stimuler la demande et l'appétit des consommateurs.
Développement Durable et Économie Circulaire : Encourager les pratiques d'économie circulaire et soutenir les initiatives locales qui contribuent au développement des territoires et à la valorisation de la ruralité. Cela implique des incitations pour les entreprises adoptant des modèles de production durables et un soutien renforcé aux projets qui favorisent le développement économique local.

Des évidences, mais toujours bonnes à rappeler.

Henri Danzin

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(1) https://www.usinenouvelle.com/editorial/les-acheteurs-des-entreprises-erigent-en-priorite-la-reduction-des-couts-en-2024-au-detriment-du-made-in-france.N2206485

(1) https://agilebuyer.com/wp-content/uploads/2024/01/Etude_AgileBuyer-CNA_TendancesAchats_2024.pdf

(2) https://fr.statista.com/statistiques/479363/solde-echanges-exterieurs-france/

(3) https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/lamelioration-trompeuse-du-deficit-commercial-francais-2072831

(4) L'ARNAQUE du "Made in France" https://www.youtube.com/watch?v=Fqm6HQDnxow&t=959s

(5) https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/11/11/cop27-le-transport-maritime-un-secteur-polluant-qui-tarde-a-changer-de-cap_6149485_4355770.html

(6) https://www.enjeuxlogistiques.com/en-2022-le-classement-des-ports-mondiaux-toujours-domine-par-les-sites-chinois/#:~:text=Les%2010%20premiers%20ports%20chinois,fonctionnement%20de%20certains%20%C3%A9tablissements%20portuaires.

(7) https://www.bfmtv.com/tech/intelligence-artificielle/l-intelligence-artificielle-pourrait-faire-disparaitre-300-millions-d-emplois_AV-202303290170.html

(8) https://fr.wikipedia.org/wiki/Luc_Julia

(9) https://www.aefinfo.fr/depeche/702030-brevets-internationaux-la-france-reste-6e-a-l-echelle-mondiale-en-matiere-de-demandes-talonnee-par-l-inde-7e

03/02/2024

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