Course de fond et performance : et si une évaluation perçue comme juste et équitable était la clé du succès ?

17/06/2025 - 3 min. de lecture

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Caroline Diard est Professeur associé chez TBS Education.

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La course de fond, discipline d’endurance en plein essor, séduit aujourd’hui plus de 621 millions de pratiquants à travers le monde, dont 12,5 millions en France (Courrier International). Pour prétendre s’élancer sur le tracé olympique de 2024, seuls six athlètes (trois hommes et trois femmes) par délégation ont pu être qualifiés, en atteignant un chrono maximal de 2 h 08'10'' pour les hommes et 2 h 26'50'' pour les femmes.

Dans ce contexte, il est évident que la performance est évaluée de manière objective, à travers deux critères explicites : le temps et la distance. Le chronomètre constitue l’unique juge. Cette règle du jeu est connue, claire, diffusée à l’avance et acceptée de tous. C’est précisément cette transparence qui fonde la légitimité de l’évaluation dans le sport de haut niveau. Courir, c’est affronter les autres, mais aussi – et surtout – soi-même, dans une quête de progression qui passe parfois par l’échec.

Évaluation et transparence dans les organisations

En entreprise, l’évaluation repose également sur la fixation d’objectifs, souvent déclinés par la direction et les managers selon la méthode dite SMART (Objectivs Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes et Temporellement définis). Pourtant, cette logique de performance ne s’accompagne pas toujours d’une transparence comparable à celle du monde sportif. Les objectifs sont parfois peu partagés, mal expliqués, voire modifiés en cours de route.

L’entretien d’évaluation, encadré par le Code du travail, devrait pourtant être un levier de pilotage de la performance et de développement professionnel. Idéalement, il se construit de manière concertée entre les ressources humaines, les managers et les collaborateurs. L’article L.1222-3 stipule que « les salariés doivent être expressément informés des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles avant leur mise en œuvre. Les résultats obtenus sont confidentiels ». Par ailleurs, l’article L.1222-2 précise que « les informations demandées à un salarié ne peuvent avoir pour finalité que d’apprécier ses aptitudes professionnelles ». Lien

Le sentiment de justice perçue : un enjeu central

Que se passe-t-il lorsqu’un salarié découvre qu’il est évalué selon des critères non partagés en amont ? Un sentiment d’injustice peut émerger, nuisant à l’engagement, à la motivation et au climat social.

Le concept de justice interactionnelle permet de mieux comprendre ces mécanismes. Il repose sur deux dimensions :

  • La justice informationnelle : qualité et clarté des explications données, circulation transparente de l’information.
  • La justice interpersonnelle : respect des personnes, absence de propos déplacés ou blessants.

Lorsque les salariés perçoivent que les décisions sont justifiées et expliquées de manière sincère, ils les acceptent plus facilement. Le manque d’explication ou la rétention d’informations génèrent au contraire des perceptions d’arbitraire, voire de trahison.

Un parallèle éclairant : sport, entreprise et recherche académique

Ce principe de justice perçue peut être transposé à d’autres sphères. Dans la course de fond, personne ne conteste les règles : elles sont claires, immuables, et les performances sont jugées de manière impartiale. À l’inverse, dans les entreprises, et même dans le monde de la recherche académique, les règles du jeu peuvent parfois évoluer sans concertation, voire être manipulées à des fins stratégiques.

Ainsi, un champ de recherche émergeant conduit de nombreux scientifiques à tenter de détecter des méconduites voire la Fraude académique et s’intéresse à l’intégrité académique (Bergadaa, Peixoto, 2021).

Ces méconduites peuvent consister en une modification non concertée et non affichée des règles du jeu. (dans le but d’avantager ses collègues ou de désavantager une équipe de recherche concurrente lors d’évaluations). 

Imaginons un instant que l’on impose à Eliud Kipchoge, recordman du monde du marathon en 2 h 01 min 09 s, une nouvelle distance à parcourir après sa course pour conserver le titre : l’injustice serait flagrante. Transposée à l’entreprise, une telle pratique reviendrait à modifier les critères d’évaluation après coup, au mépris de toute équité. Dans le monde académique, les critères d’évaluation ne sont pas toujours affichés et la transparence fait défaut.

Ce type de dérive n’est pas anecdotique : dans le champ académique, les règles encadrant les publications sont parfois contournées. En l’absence de sanctions, l’éthique peut être fragilisée. 

Modifier discrètement les critères d’évaluation ou favoriser certains au détriment d’autres est perçu comme une atteinte à la justice du système.

Serions-nous prêts à accepter un monde où les règles affichées changent au gré de stratégies individuelles, de jeux politiques ? Est-ce que ce monde serait sérieux ?

Dans tous les univers – sport, entreprise, recherche – la transparence des règles, leur communication claire et leur application cohérente constituent les piliers d’une évaluation perçue comme juste. 

Cette perception, bien plus qu’une question de forme, est un levier stratégique : elle conditionne l’adhésion, l’engagement et, in fine, la performance collective.

Caroline Diard

17/06/2025

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