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Philippe Bilger est Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole.
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Quel sentiment complexe et difficile que l'amitié et comme on a tort de croire qu'à cause d'une moindre incandescence apparente, il serait moins intense et profond que l'amour !
D'ailleurs, il y a une infinité d'amitiés possibles et ce terme commode recouvre des liens divers, des relations fluctuantes, des complicités fortes aussi bien que des ententes intermittentes. Un ami peut être présent pour la vie ou parfois temporaire comme une grâce octroyée par le destin qui a perçu un vide à combler. Il y a des amis qu'on quitte, qui vous quittent et d'autres indéfectibles parce qu'ils savent résister à tout. Il y a des déceptions, des trahisons amicales qui peuvent être pires, plus bouleversantes que les désillusions de l'amour ou les retombées de la passion.
Dire de quelqu'un qu'il est véritablement un ami est un superbe compliment, un éloge rare. A moins d'être trop libéral, un homme "facile" comme il y a des femmes qui, paraît-il, le sont - c'est toujours pour les autres ! -, les amitiés authentiques se comptent sur les doigts d'une main, et c'est déjà beaucoup.
Je voudrais mettre en lumière deux attitudes très contradictoires dans l'univers de l'amitié, qui suscitent, pour l'une, frustration et, pour l'autre, satisfaction.
La première se rapporte à l'amitié naissante, grandissant, chaleureuse, à la vitesse de l'éclair mais avec cette réserve, cette limite que, dans le couple créé par le hasard qui a besoin d'une communauté de pensée, d'esprit, de coeur et de volonté pour s'épanouir, la malchance fait qu'un seul a l'obsession de pousser les feux, de faire avancer et de nourrir le sentiment par une disponibilité, des propos, des rencontres et des actes. Et qu'en face le partenaire ne bouge pas, attend, se contente de prendre acte de l'amitié désirée mais n'accomplit rigoureusement rien pour favoriser son développement et répondre ainsi aux sollicitations répétées qui lui sont adressées.
Ce n'est pas forcément que le premier se méprenne sur les dispositions du second mais il y a des âmes et des sensibilités qui répugnent à être bousculées, qui se campent comme des évidences conscientes de ce qu'elles sont et pas mécontentes de ce lien inégal : elles reçoivent sans quasiment rien donner. A la longue, l'actif se lasse et puisque son amitié, qu'il croyait partagée, est refusée dans son expansion, il préfère abandonner la partie plutôt que s'humilier et quémander. L'autre ne sait pas ce qu'il perd mais tant pis pour lui !
Je suis persuadé que nous avons tous connu de telles expériences de vie qui, avec tristesse, à la fin, nous obligent à constater que ce que nous offrions n'était pas jugé digne d'intérêt ou pas suffisant, en tout cas, pour mobiliser autrui.
Je n'évoque même pas ces fausses excuses de surcharge de travail ou de voyages incessants qui n'ont jamais empêché quiconque de prouver son amitié. Sauf quand il y a une inaptitude profonde à le faire. Parce que, dans l'existence, des êtres espèrent et d'autres attendent, des êtres expriment et d'autres se taisent, des êtres avancent et d'autres piétinent. Il y a des amitiés qui meurent ainsi parce qu'elles n'ont brûlé que l'un, et pas l'autre. Qui finissent parce que l'épuisement vain a gagné et que l'irritation d'avoir sans cesse à rappeler qu'on avait besoin de cette amitié qui se refusait a été définitivement trop lourde, trop dure à supporter.
Mais quel triomphe que l'inverse, quelle allégresse, quand l'amitié à peine surgie est appréhendée de la même manière ! Que sa substance va être emplie par une entreprise commune, qu'il n'est pas une étape, une séquence, un épisode, un coup de téléphone, un dîner, une conversation qui la laisseront immobile mais qu'au contraire, elle saura s'appuyer pour s'amplifier sur le plaisir d'hier, la certitude de l'élan d'aujourd'hui et de l'accroissement de demain ! Une amitié non seulement en mouvement ascendant, une création, une invention de tous les instants, avec cette béatitude intime qu'on n'est pas plus besogneux que l'autre pour attiser le feu, qu'aucun n'est en retard, passif, en train de contempler mais qu'à deux, on façonne une histoire qui nous constitue en même temps.
Il y a des amitiés qui font mal. Des amitiés qui rassurent. Ou qui exaltent. Des amitiés fraternelles ou festives. Des bouts, des fragments, des virtualités, des malentendus. Des impossibles.
Mais il y a aussi des amitiés heureuses et quand on peut faire l'amitié, c'est si doux, si bon. Unique.
Hors post, s'agissant d'amitié, je ne veux pas manquer à ce convivial rituel des voeux. Je les adresse chaleureusement à tous ceux qui me font le plaisir de lire cette tribune.
25/01/2022