Le défi de la réindustrialisation

30/05/2022 - 6 min. de lecture

Le défi de la réindustrialisation - Cercle K2

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Nicolas Siwertz, Ancien Directeur d’usine et Directeur Général Délégué de l’ingénierie du cycle du combustible nucléaire d’Areva (désormais Orano), Nicolas Siwertz est actuellement en charge de la Business Unit Industrie couvrant les activités Nucléaire, Life Sciences, Mines & Métaux et Aerospace de Technip Energies.

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Le défi de la réindustrialisation

 

Une France forte pour peser à l’international : ce qui se pose en évidence du point de vue géopolitique apparait tout aussi pertinent dans le monde industriel. Jamais la France n’a été aussi présente, reconnue et, la plupart du temps, compétitive que quand elle disposait de champions nationaux capables de rivaliser à l’échelle mondiale grâce à leur excellence technologique ou leur maîtrise du cycle de vie d’un produit.

Avec un solde positif d’ouverture de sites sur les années précédant la crise Covid-19 et une forte reprise en 2021, l’industrie française semble retrouver une vigueur qu’on ne lui connaissait plus. Dans un contexte de crise sanitaire, économique et géopolitique, il apparait nécessaire de bien identifier les facteurs qui permettront de soutenir cet élan et sortir plus forts de la tempête qui s’annonce : une vision stratégique résolument tournée vers l’émergence de nouveaux champions, une transition industrielle fondée sur une immersion des entreprises, de leurs outils et compétences dans le monde de l’industrie 4.0, et enfin une ingénierie d’excellence dans la réalisation des projets pour répondre aux enjeux de défossilisation, de sécurisation des chaines d’approvisionnement. Le tout, en répondant à des attentes de plus en plus élevées des parties prenantes en termes d’emploi, de sécurité, de santé et de préservation de l’environnement.

Vision stratégique  

L’impulsion d’une Europe ou d’un État stratège est à même de faciliter l’émergence et la pérennité de groupes industriels : Airbus, Safran, ArianeGroup, Thalès, Dassault, Vinci, Bouygues, Eiffage, Renault, Peugeot, EDF, Orano, Naval Group ou les Chantiers de l’Atlantique sont autant de têtes de files « historiques » qui disposent, dans la proximité de leurs implantations, d’une base industrielle établie, performante, capable de répondre aux besoins des clients les plus exigeants mais aussi d’établir les standards internationaux ou de structurer les marchés, J’ai personnellement suivi le renouvellement de l’outil industriel d’AREVA qui a, en quelques années, modernisé ses installations de transformation de l’uranium avec la mise en service des usines Georges Besse II et Philippe Coste. Chacun de ces projets portait en son sein la promesse d’une performance accrue, mais aussi d’une réduction significative de l’impact environnemental et de l’amélioration des conditions de travail.

L’ambition stratégique de conserver en France la maîtrise du cycle du combustible nucléaire a ainsi permis de construire des usines reconnues comme des références mondiales pour les décennies à venir, tout en offrant à une myriade de PME/ETI l’opportunité d’innover et de maintenir leur expertise et leurs compétences. Notre responsabilité s’étend aussi aux générations futures, un enjeu illustré par le projet CIGEO sous la responsabilité de l’ANDRA (Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs) : véritable défi technologique au vertige du temps long permettant de stocker de façon sûre dans une géologie située à 500m sous terre pour des milliers d’années des déchets nucléaires de haute activité, il est le creuset d’une intense recherche scientifique depuis de nombreuses années et a mobilisé les meilleures ingénieries françaises pour son dossier de conception. Dans quelques années, sous réserve de son autorisation par les pouvoirs publics, il soutiendra le développement économique et industriel local pendant le temps long de sa construction et tout au long de son fonctionnement qui durera plus d’un siècle, tant l’inventaire national des déchets radioactifs à stocker est vaste.

La Crise de la Covid-19 a paradoxalement mis en évidence les faiblesses d’une société « Fab less », miroir aux alouettes de certains capitaines d’industrie et investisseurs du début des années 2000, survalorisant les services au profit de pays émergeants pour produire et transporter à moindre coût au détriment de l’environnement.

Mardi 16 mai 2020, à l’occasion d’une visite chez SANOFI, le Président Macron a appelé à relocaliser certaines productions médicamenteuses critiques. Fallait-il y voir le signal d’une prise de conscience plus large en matière de souveraineté économique ? On aimerait y croire et rêver à la renaissance d’un tissu industriel « made in France » comme un label de qualité, de sécurité sanitaire et d’éco-conception. Paradoxalement, c’est peut-être à cet instant, alors qu’une crise économique prolonge une crise sanitaire sans précédent et que les équilibres géopolitiques mondiaux se modifient, que la France doit prendre ce tournant. Maintenant que les vannes de l’endettement public sont largement ouvertes, nous devrions veiller à ce qu’elles alimentent évidemment la survie à court-terme des entreprises, mais aussi qu’elles soient résolument tournées vers les investissements industriels de long-terme, renforçant et pérennisant l’innovation et la compétitivité de nos entreprises.

Transition industrielle

La France dispose, seule ou avec l’appui de ses partenaires européens, d’atouts non négligeables pour faire de l’adversité le ferment d’un formidable élan productif. Encore faut-il oublier les clichés grisâtres d’une organisation industrielle dépassée, pour s’engager avec volontarisme dans la transition industrielle, vers ce que certains appellent l’industrie du futur ou industrie 4.0. L’intégration de nouvelles technologies (big data, IA, robots collaboratifs, blockchain, simulateurs immersifs…) va aussi bien révolutionner les méthodes de production, qu’entrainer une profonde mutation des méthodes de management et des compétences requises dans l’entreprise.

Les gains espérés, supérieurs à 15 % en coût de production et 25 % en flexibilité, ouvrent la voie à une relocalisation compétitive et réactive face à une demande de plus en plus premium du client : exigences produit spécifiques et réduction drastique du time to market. La place des femmes et des hommes dans ce nouveau contexte opérationnel en sera radicalement bouleversée. Là où charge mentale et physique étaient la norme, le lean manufacturing prendra pleinement son sens. L’humain exercera ses talents sur l’adaptation et l’optimisation des outils productifs afin d’éliminer les pertes de temps, de matières ou d’énergie.

Ingénierie d’excellence

Enfin, un facteur clef de succès d’une telle initiative réside dans notre capacité à réaliser ces projets d’investissement avec une totale maîtrise des coûts et délais de réalisation. Dans ce domaine, la France dispose de champions de l’ingénierie au premier rang desquels figure Technip Energies. Résolument ancrées dans la transition énergétique et fortes d’une expérience de plus d’un demi-siècle, ses équipes réalisent les plus grands projets industriels (Yamal LNG), sont à l’origine de nombreuses premières mondiales (Prelude FLNG), y compris sur des unités de plus petite échelle, telle que la plus grande ferme verticale d’insectes du monde à Poulainville près d’Amiens pour le compte de la start-up Ÿnsect.

Industriels et investisseurs ont pu être échaudés par les difficultés de certains projets récents dans le domaine de la production d’énergie, nucléaire en particulier, mais aussi dans des domaines plus conventionnels où l’impact environnemental s’est in fine révélé prépondérant. C’est pourquoi il est important de garder la maîtrise de l’exécution des grands projets complexes grâce à l’implication d’ingénieries fortes et disposants des moyens financiers, techniques et humains pour proposer des solutions innovantes. 

Les ingénieries doivent accompagner les industriels dans leur virage numérique. Par exemple, la généralisation de l’ingénierie système permet de gérer des exigences de performance de plus en plus diverses et complexes et d’assurer la complète traçabilité de la conformité de la phase étude à la réalisation de l’investissement. Par ailleurs, les modèles numériques développés pour la conception peuvent être couplés en exploitation avec les capteurs physiques pour faciliter le travail des opérateurs ou encore développer la maintenance prédictive et réduire les temps d’arrêts prévus ou imprévus.

Maîtriser les outils et les processus de l’ingénierie constitue une condition nécessaire, mais plus suffisante, pour réussir des projets toujours plus complexes. En raison de la multiplication des parties prenantes, de la nécessité de maximiser la rentabilité des capitaux investis et de minimiser les impacts, chaque projet nécessitant un investissement lourd doit être considéré et conduit comme une entreprise en tant que telle. C’est la capacité du chef de projet et de ses proches collaborateurs à faire vivre et collaborer ensemble les équipes projets, à écouter les différentes parties prenantes, et à partager les risques et opportunités entre maîtres d’Ouvrage et maîtres d’Œuvre qui fera le succès ou l’échec du projet.

Les années qui viennent restent évidemment pleines d’incertitudes. Malgré cela, nous sommes nombreux à vouloir investir maintenant et mobiliser les énergies des industriels et des ingénieries françaises et européennes pour redonner à notre pays un avenir industriel en y attirant les plus grands projets français et étranger. Penser la réindustrialisation n’est plus seulement un devoir stratégique, c’est une priorité absolue pour la défense de notre souveraineté. Aux femmes et aux hommes de se lancer dans cette belle aventure de refaire de la France un champion industriel, forte de son histoire et résolument tournée vers l’avenir.

Nicolas Siwertz

30/05/2022

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