Le politique, le stratégique et le criminologique : une réflexion sur l’urgente nécessité d’institutionnaliser la criminologie en France

15/01/2025 - 3 min. de lecture

Le politique, le stratégique et le criminologique : une réflexion sur l’urgente nécessité d’institutionnaliser la criminologie en France - Cercle K2

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Isabelle Dréan-Rivette est diplômée en sciences humaines (clinique criminologique et victimologique), docteure en droit en pénal et sciences criminelles, elle a été avocate en France et au Canada avant de devenir magistrate en juridiction, administration centrale et cabinet ministériel.

Co-Présidente de l’Institut des Hautes Études Appliquées sur le Contrôle Coercitif (IHEACC), membre de la Chaire Humanités Numériques du Centre de Recherches de la Gendarmerie Nationale (CRGN), Présidente de la Commission recherches auteurs du Conseil National des Violences IntraFamiliales (CNVIF), elle est également auteure d’ouvrages relatifs à la gouvernance pénale et de capsules numériques pédagogiques sur le concept de contrôle coercitif.

 

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Le politique, le stratégique et le criminologique : une réflexion sur l’urgente nécessité d’institutionnaliser la criminologie en France

 

« La stratégie est l’art d’affronter son destin avec intelligence et courage »

Charles de Gaulle

 

Cet article se propose de questionner une lacune majeure du paysage académique et politique français : l’absence de reconnaissance de la criminologie comme discipline scientifique autonome. Alors que la lutte contre la criminalité occupe une place centrale dans les discours et politiques publiques, la France demeure l’un des rares pays à ne pas inclure cette science au sein de son Conseil National des Universités (CNU), l’organe d’évaluation des enseignants-chercheurs.

Pourquoi un pays pionnier, ayant vu naître des figures fondatrices de la criminologie telles qu’Alexandre Lacassagne ou Émile Durkheim, ne participe-t-il pas pleinement au cadre européen harmonisé des diplômes du Processus de Bologne (instituant le système dit LMD- Licence, Master, Doctorat)?

Pourquoi persister à ignorer la nécessité d’une réflexion scientifique structurée sur le crime et ses dynamiques, alors que la criminalité constitue un enjeu social, politique et stratégique central ?

1. Le politique : une analyse des rapports de force contemporains

Dans le contexte actuel, marqué par une défiance généralisée à l’égard des institutions et une montée des extrémismes, la compréhension des dynamiques de pouvoir est cruciale. La scène politique française illustre actuellement un déséquilibre. Celui de voir d’un côté, une majorité relative fragilisée par un sentiment de trahison et d’abandon. Celui de voir de l’autre côté, une opposition parlementaire traduisant une colère collective, susceptible d’instrumentaliser fréquemment les questions de sécurité et de criminalité.

La lutte contre la criminalité devient ainsi un argument central pour des forces politiques extrêmes, se posant en rempart contre l’insécurité et la vulnérabilité. Dans ce contexte, intégrer la criminologie comme outil scientifique d’analyse et d’évaluation des phénomènes criminels permettrait de dépasser les discours populistes pour offrir des solutions éclairées et protectrices pour la société.

2. Le stratégique : anticiper et comprendre les enjeux de sécurité

La sécurité, intrinsèquement liée à la criminalité, est aujourd’hui au coeur des préoccupations collectives.

Analyser les rapports sociaux et institutionnels nécessite une approche stratégique capable de saisir les intentions, les motivations et les dynamiques sous-jacentes.

Dans un contexte où les institutions sont fragilisées et où les relations sociales sont marquées par des tensions croissantes, la criminologie se révèle indispensable. Elle permettrait de cartographier les sentiments d’insécurité et de répondre aux enjeux relationnels, culturels et politiques qui nourrissent ces perceptions.

3. Le criminologique : une discipline indispensable au service de la société

La criminologie constitue un levier scientifique essentiel pour anticiper les évolutions criminelles et proposer des réponses adaptées. Son absence en tant que discipline académique autonome prive la France d’un outil de réflexion stratégique face à des enjeux sécuritaires complexes, tant au niveau national qu’international.

Historiquement, le territoire français a pourtant été précurseur dans ce domaine, avec des figures comme Gabriel Tarde, Jean Pinatel ou Raymond Saleilles (père du principe cardinal d’individualisation des peines présent dans notre code pénal et code de procédure pénale) dont les contributions ont profondément influencé les sciences criminologiques. Restaurer la place de cette discipline dans le paysage académique français répondrait à plusieurs objectifs fondamentaux :

  • Un objectif stratégique, afin de prévenir l’instrumentalisation politique de la criminalité et d’élaborer des réponses rationnelles et fondées.
  • Un objectif historique, en redonnant à la France sa place légitime parmi les acteurs majeurs de cette science, tout en renforçant son attractivité internationale.
  • Un objectif scientifique, en dotant le pays des moyens nécessaires pour analyser, contrôler et anticiper les dynamiques criminelles à l’ère des technologies numériques et de l’hyperconnectivité.

Conclusion

Face à l’urgence de structurer une réflexion criminologique en France, il est impératif de reconnaître cette discipline comme un élément clé de l’échiquier politique et stratégique contemporain. Cela implique de discerner, analyser et agir avec lucidité pour dépasser les impensés actuels et répondre efficacement aux défis posés par la criminalité dans un monde en constante mutation.

Isabelle Dréan-Rivette 

15/01/2025

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