Quand celui qui veut trop plaire, déplait !
17/07/2020 - 5 min. de lecture
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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été Directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire, puis Directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures, notamment à Sarajevo comme Commandant en second des forces multinationales.
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2 et 3 novembre 1989 : nouveau sommet franco-allemand à Bonn.
Ces rencontres étaient devenues routinières, aussi bien dans leur organisation que dans le déroulement du programme. Une fine horlogerie réglait en effet chacun des moments de ces événements. C’était ainsi, qu’invariablement, sommet après sommet, ces rencontres s’achevaient par un déjeuner organisé alternativement par la partie française ou allemande.
A l’occasion de ce sommet, le PR recevait à l’ambassade de France.
Durant la rencontre il était apparu que les Allemands étaient préoccupés par le prochain déplacement du Chancelier en Pologne qui s’annonçait délicat. Celui-ci souhaitant disposer de temps, sollicita du PR de ne pas participer au déjeuner. Le PR, qui ne voulait pas s’attarder, décida de rentrer au plus tôt à Paris. Le déjeuner aurait lieu à l’ambassade pour les délégations, sans le Président ni le Chancelier.
Le PR décida cependant de déjeuner à bord de son avion pendant le vol retour après la conférence de presse commune qui marquera la fin du sommet. C’est à cette occasion qu’il annonça qu’il ne craignait pas une réunification allemande, à la grande satisfaction du Chancelier.
Contrairement à l’habitude mais en présence de son Aide de Camp et d’un conseiller, le PR organisa directement avec l’Ambassadeur, le déjeuner à bord. Il lui demanda de faire servir pour tous les passagers des sandwiches avec de la charcuterie et des fruits.
L’ambassadeur fut surpris mais ne fit aucun commentaire. Il s’approcha de moi et en aparté je lui confirmai la commande présidentielle.
Les sandwiches étaient pour le Président un souvenir des repas pris sur le pouce lorsqu’il était parlementaire. Il aimait d’ailleurs me rappeler l’endroit précis, à proximité de l’Assemblée, où il se les procurait et, avec force détails, leur composition :
« Une demi-baguette de pain frais tranchée, largement beurrée, et une belle tranche de jambon de Parme… ». Son regard brillait alors intensément !
C’était aussi l’occasion de faire une entorse à son régime.
Après la conférence de presse et que le PR ait pris congé du Chancelier, le cortège présidentiel rejoignit l’aéroport de Bonn.
Le PR embarqua dans le Falcon 50 ainsi que les conseillers qui l’avaient accompagné pour ce sommet. J’allai tout de suite m’enquérir du déjeuner auprès du steward. Il me rassura en me disant que l’ambassade avait livré le repas, comme prévu.
Tout allait donc pour le mieux.
Mais l’avion ne mettait pas en route ses moteurs. Chacun dut prendre son mal en patience, en maudissant intérieurement ces aéroports surchargés qui n’avaient pas la religion des horaires, loin de là. Mais il me sembla qu’il se passait quelque chose d’anormal, alors que l’avion du Président était traditionnellement prioritaire sur les autres vols.
Je me levai pour rejoindre le pilote qui me fit cette réponse sans détour : « Nous sommes en panne ! » Le contretemps était fâcheux, mais pas irrémédiable. Il y avait toujours un avion de secours pour les déplacements présidentiels. J’informai de la situation le PR et lui demandai de bien vouloir prendre place à bord du Mystère 20 de secours situé à proximité.
Bien entendu, je m’assurai que les repas étaient bien transférés d’un avion l’autre.
Nous décollâmes cette fois-ci sans problème, puis, arrivés à l’altitude de croisière, je demandai à l’adjudant steward de servir le déjeuner. Celui-ci vivait sa première mission. C’était très visible à son visage où son émotion affleurait.
Alors que le PR rappelait à ses conseillers avec un certain plaisir, le menu commandé, à notre grande surprise, l’adjudant nous apporta un saladier dans lequel baignait une belle salade de fruits de mer !
Après l’étonnement, c’est l’insatisfaction du PR qui se lit sur son visage et dans ses propos : « Où sont les sandwiches ? Ce n’est pas ce que j’ai demandé ! » « C’est le repas fourni par l’ambassade, Monsieur le Président ! », répondit le steward, rouge de confusion.
Le conseiller qui avait assisté à l’échange entre le PR et l’ambassadeur se sentant malgré lui, associé à cette mauvaise surprise roula des yeux effrayés tant il craignit le reproche du PR. Il me lança, de façon très insistante, des regards réprobateurs sans pour autant aller jusqu’à oser me faire des reproches directs devant le PR.
Nous avions tous un peu perdu l’appétit sauf les autres conseillers qui s’amusairent du spectacle et des malheurs de leur collègue. Ils ne se privèrent pas de cette excellente salade.
La colère du PR finit tout de même par s’apaiser. Il consentit à manger quelques cuillérées tout en s’informant de la suite, comme pour s’assurer qu’il n’y aurait plus de mauvaises surprises : « Il y a bien de la charcuterie et des fruits ? » « Oui », répondit simplement le steward qui aurait visiblement dit oui à tout.
La charcuterie fut apportée, mais ce fut une nouvelle déconvenue : il s’agissait d’épaisses tranches de jambon bien grasses comme on peut les trouver en Allemagne. Or, chacun sait que le PR n’aime que le jambon de Parme ou de Bayonne.
Le PR refusa d’y toucher au plus grand désespoir du steward qui ne savait vraiment plus où se mettre.
Restait encore le dessert qui pouvait peut-être nous sauver du naufrage général. Mais c’était oublier cette loi qui veut que les choses susceptibles d’aller mal iront nécessairement mal. Les fruits que nous avaient annoncés notre héroïque steward étaient en fait cuits sur une tarte à la pâte bien épaisse : tout ce que le PR n’aimait pas ! Avec un dépit à peine dissimulé, il repoussa aussitôt cette tarte et renonça à demander quoi que ce soit d’autre.
La suite du vol me parut interminable.
Le conseiller s’efforça de retrouver son calme et à l’imitation du Président, par pure solidarité convenue, se priva de tout. Les autres savourèrent ostensiblement leur déjeuner et le steward, tout en épongeant régulièrement son front, attendit avec impatience son retour à Paris.
L’atterrissage se fit à Villacoublay et, selon l’habitude, nous effectuâmes un bord à bord avion hélico. Hélas, trois fois hélas, le Super Puma où nous embarquâmes ne voulut pas démarrer ! Nous dûmes rejoindre le Dauphin de secours, qui nous transporta à l’École Militaire.
Dans la voiture qui nous conduisit à l’Élysée, le PR s’épancha : « Ce n’est pas un bon point pour le GLAM. Colonel, vous ferez les observations qui s’imposent ».
Cette réflexion avait aussi une arrière-pensée de suspicion. Toutes ces pannes n’étaient-elles que le fruit du hasard ?
Le conseiller qui avait pris place à bord de la voiture présidentielle, retrouva alors vie, en ajoutant perfidement : « Pourtant, ils ont tout le temps pour vérifier leurs appareils ! »
Renseignements pris : l’Ambassadeur n’avait pas voulu croire que le PR désirait réellement des sandwiches. Il pensait qu’il s’agissait d’une formule de style et avait donc donné ordre pour que le déjeuner, qui aurait dû être servi à l’ambassade à la fin du sommet, fut servi à bord !
Pour les pannes, seul le « manque de chance » pouvait les expliquer.
A vouloir trop plaire, on risque le déplaisir de celui qu’on souhaite favoriser ! C’est aussi vrai quand on cherche à se disculper.
Général (2s) Jean-Pierre Meyer
17/07/2020