Sciences dominantes et Défense Nationale

29/10/2020 - 6 min. de lecture

Sciences dominantes et Défense Nationale - Cercle K2

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François Lhoste est Professeur des Universités & Co-directeur fondateur du Mastère Stratégie et Management des Industries de Santé (SMIS), ESSEC.

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La souveraineté et l’indépendance des Nations dépendent de leur maîtrise des sciences et des technologies compétitives.

Au moment historique où la mondialisation technologique impose aux humains une nouvelle culture comportementale pour leur propre survie physique et mentale, trop de communautés à forte identité idéologique s’opposent à toute évolution socio-économique.

En conséquence, la question cruciale aujourd'hui est de déterminer quelle autorité opérative doit prévoir et maîtriser les conséquences de l’innovation scientifique et économique. En quoi les sciences cognitives et celles de l’énergie notamment pourraient-elles accompagner une restructuration sociétale nécessaire pour la survie économique et géopolitique ?

Quant à cette question essentielle, il apparait que le rôle d'une défense militaire nationale n'est plus seulement de garantir par la force l'ordre intérieur et international, mais de détecter en temps réel et pour action les menaces contre l'unité et la souveraineté nationale. Ces menaces sont comme dans tous les conflits, et depuis toujours, portées par des innovations technologiques étrangères non maîtrisées, voire non comprises. Aujourd’hui, les souverainetés nationales sont menacées par des innovateurs scientifiques ou technologiques, publics ou privés, qui s’imposent de fait aux pays qu’ils finissent par dominer progressivement. En conséquence, ceux qui, comme les militaires, ont pour vocation première, jusqu’au sacrifice de leurs vies, d’assurer le présent et le futur de leur communauté de destin doivent revenir au premier rang. Il leur reviendrait de pouvoir exiger des recherches scientifiques, qu’ils savent nécessaires pour protéger l’avenir et l’indépendance du pays. Or, les organismes civils de recherche se veulent indépendants, et tout particulièrement du pouvoir politique dont ils ne veulent recevoir que des subventions mais pas d’instructions. La recherche scientifique et ses applications sont pourtant aujourd’hui en première ligne de la défense des Nations, pour preuve les instituts de recherches militaires dans le monde des nations dominantes qui sont parfaitement identifiés.

Pourtant, partout dans le monde et en particulier dans les zones à haut niveau de vie, l’indifférence, les oppositions culturelles, voire civilisationnelles refusent viscéralement au nom de la liberté individuelle toutes évolutions adaptatives.

Contre une néo-civilisation globalisante, qui s’impose pourtant dans la compétition pour la maîtrise de l’avenir, surgissent des revendications d’identités culturelles spécifiques, souvent violentes. Ainsi, la transformation, à marche forcée, voulue par le dirigeant politique d’une culture, voire d’une civilisation de référence apparaît actuellement comme inacceptable et incompatible avec les traditions et l’histoire des peuples. L’identité spécifique des populations humaines et de leur culture ancienne reste partout revendiquée, comme en témoignent les extrémismes séparatistes que l’on constate aujourd’hui. Effectivement, les civilisations, les cultures et les traditions forment des communautés de destin qui se veulent homogènes, intangibles et moralement supérieures. Actuellement, sans doute parce que les écarts de niveau de vie sont perçus comme injustes, les réfractaires incitent, non à relever les défis, mais à une jalousie destructrice et à la haine des dominants tenus pour responsables de changements trop autoritaires. Pourtant le progrès scientifique et technologique des cinquante dernières années peut être tenu pour responsable d’une nouvelle ère civilisationnelle qu’on ne veut pas reconnaître comme un progrès. L’Histoire nous rappelle sans cesse les conséquences sociétales des innovations. Au chasseur-cueilleur s’est imposé l’agriculteur. Après l’Âge de pierre est survenu l’Âge du bronze, puis du fer, de l’architecture, puis de l’informatique.

Face à l’adversité, les cultures devenues obsolètes sont toujours tentées de se pérenniser par des politiques de peur du risque et de l’avenir. Il est vrai que les communautés de destin, encore qualifiées en géopolitique de "Nations", vivent selon des traditions culturelles, spirituelles ou religieuses partagées de gré ou de force entre tous les citoyens. Autrefois, si une culture jusque-là satisfaisante changeait, c’était en le faisant par étapes. Il n’en est plus de même aujourd’hui dans un environnement en bouleversement permanent et très rapide. Peut-on nier des changements climatiques adverses aussi évidents que brutaux ? Peut-on nier la désaffection pour les idéologies temporelles ou spirituelles ? Peut-on nier les changements comportementaux humains tels qu’imposés par les nouvelles technologies et leurs réseaux sociaux ?

En conséquence, partout les humains apparaissent désemparés, égocentrés, sans doute parce qu’ils se savent en majorité face au changements inadaptés et inadaptables, à court et moyen termes. L’inadaptation conduit de manière prévisible à l’obsolescence, la désintermédiation, puis à l’exclusion sociale, en commençant par le chômage de masse.

L’impossibilité de rattrapage et d’actualisation qu’auraient dû favoriser l’éducation de base et surtout une formation continue semble évidente pour beaucoup. Ceci explique sans doute bien de crises sociales, de marginalité, de révolutions,  d’idéologies, voire d’émigration volontaire, toutes manifestations censées éviter un avenir devenu trop incertain.

Pourtant, au plan humain, la première valeur, celle qui est prioritaire, reste celle d’une survie possible de soi-même, des siens et de sa communauté. L’histoire, les épopées, les idéologies fournissent bien des exemples tragiques de destruction des communautés de destin. À l’intérieur du territoire commun, ce sont les guerres civiles ou de religions, tristement tragiques. À l’extérieur, c’est la guerre, jusqu'à la soumission de l’autre ou à l’autre. Depuis le 20ème siècle, les conflits armés et destructeurs sont devenus si terrifiants qu’on peut comprendre qu’une négociation "win-win" (gagnant-gagnant) ou "give and give" (donnant-donnant) soit systématiquement perçue comme préférable pour la sauvegarde d’un avenir possible. C’est sans doute pourquoi l’unité face à l’adversité devrait rester maintenue par le devoir et les compétences des plus courageux face à l’adversité.

Le devenir d’un pays est plus que jamais menacé par un possible asservissement économique imposé par des forces technologiques nationales ou privées. Ces puissances adverses asservissent les populations cibles non par la force mais par la domination technologique, l’éducation, voire les idéologies. Autant d’agressions qui en réponse alimentent le terrorisme et son nouveau rapport du faible au fort. Pour survivre dans un monde hyper-peuplé, très dépendant de ressources cognitives ou matérielles étrangères, la solution n’est plus la force uniquement mais la supériorité technologique et éducative.

Autrefois, la supériorité idéologique se validait par le bonheur ressenti par comparaison avec les autres peuples. Aujourd’hui, la notion des écarts "qui ne cessent de se creuser" est devenue une priorité politique. Une réponse immédiate devient exigible, sous peine de dislocation de la communauté de destin. L’indépendance productive pour les biens et services essentiels apparaît comme une des solutions face à la domination de l’adversaire économique. Conserver sa liberté et un avenir possible dans le monde hyperconcurrentiel actuel exige certes une position dissuasive en termes de forces militaires, mais aussi aujourd’hui une supériorité en compétences scientifiques et technologiques.

Cette position raisonnable ne peut cependant être soutenable que s’il existe des ressources cognitives et des compétences opérationnelles mobilisables, rapidement.

Dans ce contexte, que devient le rôle national de la science et des innovations incrémentales ou spécialement disruptives ? Peu de sociologues au cours des trente dernières années ont compris que les innovations qui s’accumulent précipitamment n’étaient pas d’égale valeur en termes de conséquences sociétales. C’est le mérite de Jean-Marie Dru, auteur français du bestseller "NEW", d’avoir clairement distingué les innovations incrémentales qui proposent un peu mieux sur le marché, des innovations disruptives qui, elles, feront que plus jamais rien ne sera comme avant. Aujourd’hui, il s’agit moins de découvrir que d’inventer une technologie dominante. Un exemple classique en est l’Intelligence Artificielle, qui serait d’ailleurs mieux nommée Intelligence Augmentée. Se faire imposer unilatéralement une technologie dominatrice, c’est renoncer à toute souveraineté nationale.

En signalement prioritaire, il apparaît clairement que les applications disruptives de la physique quantique et des neurosciences deviennent un moyen de domination culturelle, comme le savent et le veulent les services scientifiques des ministères des armées de pays à prétention hégémonique.

En conséquence, nous appelons, en tant que scientifique, le pouvoir politique à confier à la Défense Nationale, responsable au plus haut niveau de la protection de notre avenir, une mission hyperspécialisée de veille scientifique chargée de programmation effective de recherches prioritaires. Veille scientifique, intelligence économique et défense économique relèvent pour leur activité systémique d’une seule et même autorité stratégique. Les programmes de recherche reconnus prioritaires seront dès lors imposés et subventionnés par l’État à la communauté scientifique nationale, publique et privée, et si nécessaire sous le sceau du Secret Défense. En cette période de crises et face à l’adversité, nous n’avons plus de temps, il faut agir.

François Lhoste

29/10/2020

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