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La fin d'année est toujours l'occasion des bilans et des bonnes résolutions. Dans le domaine du terrorisme[1], l'année passée a été terrible, le fait le plus marquant restant l'émergence puis la montée en puissance de Daech. Les victimes se comptent dizaines de milliers, réparties principalement sur le front syro-irakien, au Nigéria, en Afghanistan, en Libye, en Egypte et au Sahel, sans oublier l'Extrême-Orient. Bien que les Occidentaux aient connu des pertes non négligeables, force est de constater que la grande majorité des victimes sont des musulmans, en raison de la haine qui anime les salafo-djihadistes envers les chiites et les sunnites dits modérés.
Les théâtres de guerre et d'action des mouvements terroristes ne cessent de croître ayant, en particulier, profité du vide laissé par la suite des printemps arabes. En premier lieu, l'Irak et la Syrie ont vu Daech prendre le contrôle d'environ un quart de la superficie de ces pays, même si ce sont globalement des régions peu peuplées. A partir de l'automne, la progression des djihadistes semblant globalement stabilisée - en partie en raison des frappes aériennes de la coalition anti-Etat islamique -, les attentats se sont multipliés en zones chiites - particulièrement à Bagdad - et dans les régions kurdes. D'autre part, le « calife Ibrahim » (Abou Bakr al Baghdadi) a appelé tous les djihadistes de par le monde à lui faire allégeance. Des activistes ont suivi cette injonction, particulièrement en Libye, en Tunisie, en Algérie, en Egypte, au Pakistan et aux Philippines. Par contre, la majorité des responsables djihadistes a refusé de se soumettre en réaffirmant leur confiance dans le docteur al-Zawahiri, le successeur d'Oussama Ben Laden. Cette situation peut être assimilée à un choc des générations : celle des « jeunes djihadistes » contre les combattants « historiques » qui ont connu la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan. Le Nigéria constitue un cas un peu à part puisque Abubakar Shekau, l'émir de Boko Haram, a apporté son soutien, à la fois à Al-Baghdadi et à Al-Zawahiri, tout en proclamant un califat islamique dans le nord-est du pays.
L'année 2015 risque fort d'être encore plus dramatique que 2014 avec l'extension des zones d'insécurité et l'augmentation de la violence terroriste.
La zone AFPAK
L'Afghanistan est le pays qui risque de connaître le plus de bouleversements en 2015, les taliban devant passer à l'offensive après le départ des troupes de l'OTAN à la fin de l'année, avec l'appui des Pachtouns. Les Etats-Unis sont si conscients de ce qui va se passer qu'ils ont décidé de renforcer leur contingent de 9 800 « conseillers » par 1 000 hommes supplémentaires. L'expérience de l'effondrement de l'armée irakienne face à Daech en 2014 est passée par là. Mais, si le calendrier est respecté, les militaires américains devraient ne plus être que 5 500 fin 2015 et plus personne dans deux ans. Les taliban afghans n'attendent que cela pour lancer leurs forces à l'assaut du pouvoir du président Ashraf Ghani, élu en septembre de cette année. L'exemple du retrait des forces soviétiques en 1989 risque de se répéter. L'armée afghane qui, sur le papier, était alors bien plus puissante à l'époque qu'aujourd'hui, a été défaite et le pouvoir communiste de Mohammed Najibullah s'est effondré en 1992. Il est possible qu'il faille moins de deux ans aux taliban pour se réinstaller à Kaboul. Dans ce pays, 2015 sera donc l'année des attentats terroristes à répétition, des actes de guérilla puis de la conquête. La raison de la suprématie des taliban est simple : la motivation de ses troupes.
Les zones tribales pakistanaises frontalières avec l'Afghanistan joueront un rôle important dans cette reconquête. En effet, elles serviront de bases arrières aux insurgés qui devraient, en conséquence, y baisser le niveau des activités insurrectionnelles dirigées contre le pouvoir pakistanais de manière à s'assurer la tranquillité nécessaire. Même Islamabad n'a pas intérêt à relancer ses offensives dans les zones tribales car son souhait secret est le retour des taliban à Kaboul. En effet, ces derniers sont très hostiles à « l'ennemi indien » qui soutient discrètement le régime actuel. Au delà de la chute du pouvoir en place à Kaboul, c'est l'adversaire historique du Pakistan qui est visé : l'Inde. Le billard à trois, quatre ou cinq bandes, est la discipline qui peut se rapprocher le plus de ce qui se passe au niveau international aujourd'hui.
Par contre, Al-Qaida central - que l'auteur préfère appeler Al-Qaida « canal historique » - ne l'entend pas de cette oreille. En effet, le docteur Ayman al-Zawahiri, qui est en lutte pour la primauté sur les djihadistes avec Abou Bakr al-Baghdadi, le calife de Daech, a décidé de reprendre l'initiative en créant en septembre 2014 une nouvelle branche, « Al-Qaida en djihad dans le sous-continent indien ». Bien qu'il s'agisse plus d'une argutie que d'une nouveauté, les militants affectés à ce front étant déjà présents sur le terrain, il traduit la volonté d'étendre les actions - vraisemblablement de type terroriste, Al-Qaida n'ayant pas les moyens de faire plus - à l'Inde, au Bengladesh et au Myanmar (la Birmanie). En cette occasion, il a été symptomatique de constater qu'il se plaçait sous l'autorité du mollah Omar, le chef des taliban afghans. Cela peut s'expliquer par le fait qu'al-Baghdadi est considéré comme plus savant dans le domaine religieux qu'Al-Zawahiri, puisqu'il aurait obtenu un doctorat auprès de l'Université des sciences islamiques d'Adhmiyah (banlieue de Bagdad) avant de devenir imam. Le mollah mohammad Omar, par contre, est considéré comme plus érudit[2].
Le front syro-irakien et les pays voisins
Zones tenues par Daech (gris), l'opposition armée -al-Nosra, Front Islamique, ASl- (vert), les Kurdes (jaune), les forces loyales syriennes (ocre) et irakiennes (rose).
Il n'y a pas beaucoup de chances que la situation du front syro-irakien ne s'améliore, même si Daesh préfère désormais renforcer ses positions de manière à gérer l'« Etat » qu'il a sous sa coupe. De manière à ce que la pression internationale ne se fasse pas trop puissante, il appelle ses partisans présents en périphérie à intensifier les actions terroristes, ce qui oblige à mobiliser de nombreuses forces contre lui, dont une partie du Hezbollah libanais. Chose étonnante, au Liban voisin, les activistes qui lui ont fait allégeance semblent coopérer avec le Front al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaida, pour maintenir un climat délétère dans le nord du pays. Il est légitime de s'interroger sur ce type d'alliance alors que la guerre des chefs fait rage au sommet. Il semble qu'il s'agit, pour l'instant, d'accords de circonstance conclus entre des groupes qui existaient avant l'apparition de Daech sur la scène syrienne. Certains ont adopté le label « Etat islamique » jugé désormais comme plus porteur que celui d'Al-Qaida.
Le cas israélien
Il est prévisible que les Israéliens vont connaître un accroissement des actes terroristes qui viendront de plusieurs fronts, de différents mouvements et d'individus isolés influencés par la propagande circulant sur le net et dans les medias. Si le nord de l'Etat hébreu devrait rester relativement préservé, le Hezbollah étant accaparé pour le moment par d'autres combats, il n'est pas exclu que quelques individus se réclamant du sunnisme-djihadiste ne déclenchent tout de même depuis le Sud-Liban quelques actions avec des tirs de roquettes ou de mortiers, voire des tentatives d'incursions de petits commandos suicides.
Sur le plateau du Golan, c'est essentiellement le Front al-Nosra qui est à la manœuvre. Il s'est emparé du point de passage de Qunaytra, ce qui inquiète au plus haut point les Israéliens, mais la configuration du terrain et les forces en présence font que seules des actions sporadiques sont vraiment réalisables.
La situation est beaucoup plus floue au niveau de la Cisjordanie car de nombreux activistes de Daech se seraient infiltrés dans cette enclave et en Jordanie même en se mêlant aux réfugiés syriens (1,4 million). Ils peuvent avoir recruté de nouveaux adeptes au sein des camps de réfugiés de Zaatari ou Azraq, mais aussi au sein de la jeunesse palestinienne qui ne se reconnaît plus dans l'Autorité palestinienne jugée comme trop timorée. Il ne faut pas oublier le problème posé par le Jihad islamique palestinien, le mouvement terroriste sunnite soutenu par l'Iran qui est toujours doté d'un pouvoir de nuisance élevé.
La bande de Gaza, une menace pour Israël et l'Egypte
C'est la même chose dans la bande de Gaza, ajouté au fait que les responsables du Hamas soutiennent, via le Jund al-Islam (L'Armée de l'islam), des groupes liés idéologiquement à islam radical sur le territoire qu'ils contrôlent. Le plus redoutable de ces groupes est le Ansar Bait al-Maqdis (Les partisans de Jérusalem). Il a officiellement prêté allégeance à Daech le 10 novembre 2014. Ces formations auraient leurs bases arrières situées à cheval sur la bande de Gaza et le Sinaï. Ils sont dangereux, non seulement pour l'Etat hébreu, mais aussi, et peut être surtout, pour l'Egypte.
En particulier, le Ansar Bait al-Maqdis va tout faire pour intensifier ses opérations, à la fois à la frontière israélienne et dans la profondeur du territoire égyptien jusqu'à Sharm el-Sheikh, au sud-est, et à la frontière libyenne, à l'ouest. Si en Israël, son pouvoir de nuisance reste limité en raison de l'efficacité du quadrillage du terrain mis en place par les forces de sécurité, en Egypte il est beaucoup plus important. Les symboles du pouvoir, les militaires, les policiers, le trafic sur le canal de Suez, les lieux touristiques - en particulier le long du Nil - vont vraisemblablement faire l'objet d'attaques de commandos et d'individus isolés qui auront la capacité d'infliger de lourdes pertes. La possession de missiles sol-air portables par ses fanatiques pose un problème sécuritaire de première importance.
Le Hamas trouve son compte dans l'affaire en n'apparaissant pas directement en première ligne et en s'attaquant par activistes interposés à Israël dont il refuse l'existence et au régime égyptien du maréchal Sissi. Ce dernier l'a privé du soutien apporté par les Frères musulmans en renversant le président Morsi qui en était issu. Le ressentiment du Hamas à l'égard du Caire est donc important. A noter que malgré le blocus, le Hamas parvient encore à obtenir les composants nécessaires au montage local de roquettes.
La Libye, base arrière pour le djihad au Sahel
La Libye va continuer à s'enfoncer dans une guerre civile car les acteursen présence sont nombreux, disparates et dangereux. Les villes de Benghazi[3] et Derna sont déjà contrôlées par Ansar al-Charia (maintenant affilié à Daesh), le reste du pays se partageant entre les mouvements dépendant des Frères musulmans et les légalistes du gouvernement officiel, qui siège à Tobrouk faute de pouvoir s'installer à Tripoli. En effet, la capitale libyenne est aux mains d'un second gouvernement patronné par la confrérie.
Au sud, au milieu des luttes tribales latentes entre Toubous et Touaregs, des activistes d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et du groupe Al-Mourabitoune[4] de Mokhtar Belmokhtar (MBM) se sont installés pour échapper aux frappes de l'opération Barkhane et des armées des pays du Sahel. Depuis cette zone sûre où les différentes katibas peuvent se ressourcer et se réapprovisionner, des raids sont lancés dans les pays voisins : Tchad, Niger, Algérie puis, en fond de tableau, Mali et Mauritanie. Bien sûr, ces raids s'appuient sur des militants et des sympathisants restés sur place, mais qui, en période habituelle, demeurent discrets afin de ne pas attirer l'attention des autorités locales.
Au Mali, la question des Touaregs qui souhaitent l'indépendance de facto du nord du pays va se poser. De manière à être « présentables », les activistes des différents mouvements se sont attachés à rompre - du moins en apparence - leurs relations avec AQMI. Des violences devraient se produire en 2015, d'autant que, si les djihadistes sont relativement faciles à identifier, la caractérisation de l'« adversaire » est beaucoup plus délicate à faire dans le cadre de la question touarègue qui dépasse les frontières maliennes.
Algérie : le président Bouteflika, symbole de l'unité nationale
L'Algérie est actuellement relativement calme en dehors de l'insécurité traditionnelle qui prévaut à l'est d'Alger, berceau des islamistes, et dans le sud-saharien, où la situation est liée à la crise malienne. Cependant, elle est sous la menace de la disparition du président Abdelaziz Bouteflika dont la santé est pour le moins sujette à inquiétude. S'il décède, la lutte de pouvoir qui est actuellement feutrée entre les cadres du FLN, l'armée et les puissants services de renseignement (Département du Renseignement et de la Sécurité/DRS) risque d'éclater au grand jour. Personne ne sait aujourd'hui qui gagnera la bataille pour le pouvoir et à quel prix. Or l'Algérie joue un rôle de premier plan dans la lutte contre le terrorisme islamique, particulièrement en matière de renseignement et de contrôle des frontières. La situation est si délicate que beaucoup souhaitent une longue vie au président Bouteflika qui est le symbole de l'unité nationale même si, d'évidence, ce n'est plus lui qui est directement aux manettes.
AQMI est confronté à la sécession de plusieurs katibas dont celle du Jund al-Khalifa (Les soldats du califat), mouvement responsable de l'assassinat d'Hervé Gourdel, en septembre dernier. Les activistes sont de plus en plus tentés par le ralliement à Daech qui est dans une dynamique de succès. L'émir d'AQMI, Abdelmalek Droukdel, toujours fidèle à Al-Zawahiri, serait de plus en plus isolé. Il est donc possible que le morcellement du mouvement se poursuive, mais cela n'empêchera pas la réalisation d'actions terroristes. L'emploi d'engins explosifs improvisés est actuellement une des techniques favorites des moudjahidines algériens car ils préfèrent éviter les affrontements directs avec l'Armée nationale populaire (ANP) qui leur sont forcément défavorables étant donnée la disproportion des forces en présence.
La Tunisie
En Tunisie voisine où le peuple semble revenu des bienfaits du printemps arabe, la situation sécuritaire reste plus que délicate dans le sud et à l'ouest, notamment dans la région du mont Chaambi. La katiba Okba Ibn Nafaâ, la branche militaire de Ansar al-Charia Tunisie a fait allégeance au calife Ibrahim en juillet 2014. Pour le moment, il est difficile de distinguer clairement qui dépend d'AQMI et qui de Daech. La crainte réside dans une unification possible de la rébellion sous la bannière de l'Etat islamique.
Le reste du continent africain à la dérive ?
En dehors du fait que tous les pays africains, à quelques exceptions près, sont toujours des foyers de tension où tout peut arriver à tout instant, le Nigéria, qui doit connaître une élection présidentielle en 2015, présente la caractéristique d'avoir un califat autoproclamé par Abubakar Shekau, le leader de Boko Haram, dans le nord-est du pays. L'inquiétude provient du fait que ce mouvement - qui reconnaît Daech tout en gardant sa confiance à Al-Qaida « canal historique[5] » - est en train de déborder sur les pays voisins pour des raisons tactiques : le nord du Cameroun, le Tchad et la Centrafrique. Les relations qu'il aurait eues avec AQMI se seraient interrompues suite à l'opération militaire française Serval. Toutefois, certains de ses membres seraient restés auprès de Belmokhtar. Il faut se rappeler que ce dernier, avant d'être un intégriste islamique, est un contrebandier de renom qui donne dans les trafics drogue, de cigarettes (d'où son surnom, M. Marlboro), de véhicules et d'armes. Il a été un des principaux intermédiaires pour la vente d'armes libyennes sur le continent africain, en particulier à Boko Haram. Ce mouvement a également noué des relations, au moins idéologiques, avec les shebabs somaliens.
Ces derniers sont certes en perte de vitesse en Somalie même, ayant abandonné sous la pression le port de Barawé début octobre 2014. Il leur servait de point d'approvisionnement principal, par lequel ils échangeaient les biens dont ils avaient besoin contre du charbon de bois, dont une grande partie était destinée à l'Arabie saoudite. Ils ont alors accentué les actions terroristes, particulièrement au Kenya voisin, mais aussi en Somalie et à Mogadiscio. Sachant que le sud de la Somalie reste sous leur contrôle, ce qui leur permet d'y rançonner les populations, il est vraisemblable que les opérations terroristes vont perdurer.
Le Yémen : une guerre entre chiites et sunnites qui inquiète Riyad
Avancée des tribus al-Houthi en décembre 2014. En rouge clair, les zones contestées par AQAP
De l'autre côté du golfe d'Aden, le Yémen est en proie à une guerre civile où les chiites ont repris l'initiative avec les tribus Houthis qui se sont emparées à l'automne de la capitale Sanaa et surtout du port d'al-Hodeida donnant sur la mer Rouge. Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQAP) a relancé les attaques contre les al-Houthi et ce qui reste de pouvoir légal du président Abd Rabo Mansour Hadi, toujours en utilisant le moyen privilégié du faible au fort : le terrorisme. Cependant, AQAP est loin d'être défait et le pays se dirige vers une partition Nord/Sud comme c'était le cas jusqu'en 1990.
L'Arabie saoudite voisine est particulièrement inquiète de l'évolution de la situation d'autant que les Houthis sont fortement soupçonnés être directement soutenus par le grand concurrent politico-religieux de Riyad, l'Iran chiite. Mais, les islamistes radicaux qui s'opposent à la poussée des Houthis (aidés par des partisans de l'ancien président Ali Abdallah Saleh démis en 2012) ne sont pas en odeur de sainteté dans le royaume car l'objectif de leurs dirigeants, que ce soit Al-Qaida « canal historique » ou Daech, est clairement de déposer la famille Saoud.
La grande crainte de tous les gouvernants de la région est le retour des djihadistes internationalistes ayant combattu sur le front syro-irakien. Ces derniers pensent, avec l'assentiment du calife Ibrahim, que le combat doit être désormais porté à domicile. Ces combattants expérimentés vont toutefois se heurter à des forces de sécurité qui sont prévenues du danger et pour qui la fin justifie les moyens. Là, il ne faudra pas s'attendre à des rapports sur les interrogatoires renforcés commis par les services secrets !
Le rôle primordial de l'Iran et le retrait de la Turquie
Naturellement, cela amène au rôle central qui est joué par l'Iran dans la lutte contre les salafo-djihadistes. Téhéran, fort logiquement, joue dans le sens de ses intérêts[6]. Or, les salafos-djihadistes se sont attaqués à deux de ses plus fidèles alliés : les régimes irakien (à majorité chiite) et syrien (alaouite, proche des chiites). Cela a été jugé intolérable car les intérêts vitaux de l'Iran semblaient alors être mis en cause. De plus, la liaison avec le Hezbollah libanais, qui a fait de la Syrie le point de passage obligé entre ce mouvement politico-militaire et son grand frère iranien, semblait pouvoir être rompue. Les forces iraniennes dont une majorité de pasdaran, ont été appelées à la rescousse se livrant à des combats plutôt à caractère défensif aux côtés des forces syriennes, irakiennes et des différentes milices chiites.
Parallèlement, pour faire pencher la balance dans le camp chiite qui s'oppose aux sunnites emmenés par l'Arabie saoudite, il a été décidé de faire un effort au Yémen en soutenant les tribus Houthis dans leur offensive. La prise du port d'al-Hodeida est très importante pour la suite des évènements. Cela va permettre à Téhéran de faire peser une menace potentielle sur le trafic maritime à la sortie de la mer Rouge (détroit de Bab-el-Mandeb) alors que potentiellement, l'Iran est déjà en mesure de fermer le détroit d'Ormuz. Cette menace théorique n'est pas rien dans le « grand jeu » qui se déroule au Proche-Orient et notamment dans les négociations sur le nucléaire iranien qui devraient aboutir en 2015. Enfin, Téhéran fait régner une incertitude au Bahreïn à majorité chiite mais dirigé par des sunnites. En effet, l'Iran soutiendrait discrètement les brigades d'Al-Ashtar, un mouvement insurrectionnel susceptible de déclencher des troubles dans le petit Etat.
Mais la chute des cours du pétrole voulue par Riyad[7] fait mal au régime théocratique car, ajoutée aux sanctions internationales décrétées à son encontre, elle plonge le pays dans une crise économique de première importance.
Le pouvoir turc, très personnalisé par son actuel président Recep Tayyip Erdogan, a été contraint à un certain retrait sur la scène internationale en raison de la résilience dont a fait preuve le président Bachar el-Assad. Après avoir entretenu pendant des années des relations cordiales avec ce dernier, Erdogan a complètement changé son fusil d'épaule en pensant que le régime syrien allait tomber rapidement. Voulant accompagner le vent de l'Histoire et pensant que les Frères musulmans allaient enfin être reconnus comme une force politique majeure - ce qui a bien failli se passer après les printemps arabes -, la Turquie a appuyé à fond l'opposition armée syrienne sans être trop regardante sur les motivations profondes de certains groupes. L'objectif du « nouveau sultan » - ainsi qu'est surnommé Erdogan par ses opposants -, était de faire de la Turquie un des pays les plus influents du Proche-Orient. Le retour de bâton est sévère. La confrérie n'est plus active officiellement qu'en Turquie et un peu en Libye. De plus, l'hypothèse d'un Kurdistan indépendant de fait - la hantise d'Ankara - à sa frontière sud ne relève plus de l'utopie. Une fois de plus, la Turquie moderne se retrouve isolée en raison de sa politique étrangère aventuriste qui est allée à l'encontre des principes même de son fondateur, Mustafa Kemal Atatürk, qu'Erdogan souhaite secrètement plonger dans les oubliettes de l'Histoire.
Ce tour du monde des menaces terroristes d'origine islamique serait incomplet si le Caucase, la Russie et l'Extrême-Orient (Philippines, Indonésie, Cambodge) n'étaient évoqués. Dans ces régions, les mouvements insurrectionnels djihadistes sont anciens. Ils ont été durement frappés dans le passé mais se sont toujours relevés. Les responsables de l'Emirat du Caucase, du groupe Abou Sayyaf (Philippines), du Jamaat Islamiya indonésien hésitent encore à se rallier à Daech, comme l'a fait Abou Bakar al-Bashir[8] en août 2014, depuis la prison où il purge une peine de quinze ans d'enfermement. Tout va dépendre de ce qui se passe sur le front syro-irakien. Daech a connu de nombreux succès depuis le début de l'année, bénéficiant de ressources importantes grâce aux trafics de pétrole et d'antiquités, aux saisies de fonds dans les établissements bancaires des pays conquis, et aux taxes imposées dans les zones contrôlées. Cette dynamique serait en train de s'achever puisque la progression est désormais stoppée et son avancée s'est heurtée à la résistance acharnée des Kurdes en Irak et en Syrie[9]. Le califat islamique a désormais beaucoup (trop ?) d'ennemis : la coalition occidentale mais aussi l'Iran, les chiites dans leur globalité, les pays du Golfe persique, l'Arabie saoudite... Mais, même si l'enthousiasme initial s'affaiblit face à la gestion du quotidien, Daesh reste redoutable d'autant qu'Al-Qaida « canal historique » est piquée au vif et repart de plus belle. Une sorte de course à l'attentat le plus spectaculaire est lancée. Le combat des forces de sécurité pour tenter d'empêcher l'inéluctable doit être complétée par le développement de la résilience des populations. Si un nouveau « 11 septembre » est techniquement difficilement réalisable, des actions ponctuelles de groupuscules isolés, implantés dans les pays cibles, seront difficiles à contrer systématiquement. Enfin, le rôle, en coulisses, du crime organisé n'a pas été évoqué dans cette note. A n'en pas douter, il est très important - même vital - car, sans lui, Daech, les taliban afghans, Boko Haram, AQMI et autres mouvements islamiques ne pourraient subvenir à leurs besoins. Il accompagne les guerres en profitant de l'aubaine qui permet de développer les trafics de drogue, d'armes, d'êtres humains et même de biens de première nécessité[10]. La grande différence réside dans le fait que les « parrain »s tiennent à préserver un maximum de discrétion autour de leurs affaires à la différence des djihadistes qui font tout pour se faire connaître.
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[1] La définition « terrorisme » est toujours sujette à polémique. Cette note ne prend en compte que les actes de terrorisme attribué aux musulmans radicaux sans aborder les problèmes des indépendantistes ukrainiens, appelés « terroristes » par le pouvoir en place à Kiev, ni des maoïstes très actifs en Inde ou des marxistes (FARC, ELN, Sentier rouge, etc.) d'Amérique latine.
[2] Dans l'islam sunnite, il n'y a pas de clergé comme dans le chiisme.
[3] Benghazi est l'objet d'une intense bataille entre les islamistes et les forces de général en retraite Khalifa Haftar appuyées par des forces légalistes et vraisemblablement des unités égyptiennes.
[4] Une alliance entre la katiba des signataires par le sang et du Mujao
[5] C'est un des rares mouvements qui maintient une double allégeance
[6] Voir Note d'Actualité n°371 de novembre 2014: « l'Iran est-il en train de gagner la guerre contre les monarchies sunnites ? ».
[7] L'Arabie saoudite emploie cette arme pour affaiblir son rival iranien mais aussi pour tenter de casser le développement de l'industrie du gaz et de l'huile de schiste aux Etats-Unis.
[8] Le chef historique du Jamaat Islamiya.
[9] Voir Note d'Actualité n°375 de décembre 2014 : « Syrie : la bataille de Kobané ».
[10] Par exemple quand l'aide alimentaire fait l'objet d'abjects trafics.
14/12/2014