Le Conseil constitutionnel et la doctrine du droit des assurances

04/02/2022 - 3 min. de lecture

Le Conseil constitutionnel et la doctrine du droit des assurances - Cercle K2

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Joël Monnet est Professeur émérite & Doyen Honoraire à la Faculté de Droit et des Sciences Sociales de Poitiers.

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Le Conseil constitutionnel et la doctrine du droit des assurances

 

La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 17 décembre 2021 (décision n° 2021-957, QPC) intéresse tout autant la pratique que la doctrine du droit des assurances.

En pratique on retiendra que le délai de prescription de deux ans prévu par l’article L. 114-1 du code des assurances est conforme à la Constitution : sauf exceptions, les actions découlant d’un contrat d’assurance ne peuvent pas être engagées au-delà de ce délai. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté. Il avait été soulevé à l’encontre d’un arrêt rendu par la Cour d’appel de Riom le 12 janvier 2021 déclarant irrecevable, comme prescrite, l’action en paiement engagée par un assuré contre son assureur. Parce qu’elle était posée par un assuré agissant en qualité de non professionnel et parce que le délai de prescription de droit commun est de cinq ans (C. civ. art. 2224), il a été jugé que cette question présentait un caractère sérieux ce qui a justifié le renvoi devant le Conseil constitutionnel (Cass. 2ème civ., 7 oct. 2021, n° 21-13251). Sauf à envisager une intervention législative, ce sujet ne sera donc plus discuté, au moins sur un plan interne.

Mais la décision du 17 décembre 2021 ne se résume pas à son dispositif ; pour conclure à la conformité à la Constitution le Conseil fait valoir des arguments dont la portée en droit des assurances soulève des interrogations.

La décision affirme que le contrat d’assurance se distingue des autres contrats, en particulier des contrats soumis au code de la consommation. Faut-il comprendre à travers cette affirmation que le contrat d’assurance ne serait pas un contrat soumis au code de la consommation ou faut-il en nuancer la portée ? La formule est juste dans la mesure où le code des assurances contient de nombreuses dispositions qui assurent par elles-mêmes la protection des assurés, parfois même en les réservant aux assurés consommateurs (art. L. 113-15-1, L. 113-15-2) mais on ne saurait ignorer l’application de solutions relevant du code de la consommation (par ex. l’article L. 211-1 du code de la consommation posant le principe de l’interprétation des clauses en faveur du consommateur, ou encore les mesures de lutte contre les clauses abusives). Par ailleurs le code des assurances renvoie même parfois expressément au code de la consommation (par ex. art. L. 113-12-2 en matière d’assurance emprunteur).

Sauf à vouloir en faire une lecture purement littérale au soutien de l’autonomie du droit spécial des assurances, chacun comprendra donc que cette formulation doit être lue dans le contexte des  deux  questions prioritaires de constitutionnalité posées au Conseil et cela d’autant plus que la distinction qui est faite avec les autres contrats porte essentiellement sur l’objet du contrat d’assurance.

La décision prend en effet soin de déclarer que le contrat d’assurance se caractérise en particulier par la garantie d’un risque en contrepartie du versement d’une prime ou d’une cotisation. Si on doit voir dans cette formulation une définition du contrat d’assurance, il faut saluer le positionnement du conseil car il n’existe pas en droit français de définition légale du contrat d’assurance, les seules définitions sont proposées par la doctrine. Or, il existe deux manières de concevoir le rôle de l’assureur : soit on considère que celui-ci ne s’engage envers l’assuré qu’en cas de réalisation d’un sinistre, soit on admet que le contrat réalise un transfert du risque de l’assuré à l’assureur ce qui entraîne à la charge de ce dernier la création d’une obligation de couverture qui existe dès la formation du contrat et qui peut donner lieu à une obligation de règlement en cas de sinistre. A priori garantir un risque c’est l’envisager autant dans sa potentialité que dans ses conséquences concrètes ce qui rejoint alors plutôt la seconde conception du contrat d’assurance, dans le même sens on peut relever que le conseil ne fait pas référence à la réalisation d’un sinistre. Mais le terme de risque est assez général et s’il peut se comprendre comme l’éventualité de survenance d’un évènement, il peut aussi désigner l’évènement assuré, c’est-à-dire le sinistre lui-même. Il n’est donc pas certain que la décision du conseil puisse être retenue comme un élément au soutien d’une doctrine plutôt que d’une autre.

Cette discussion doctrinale intéresse les auteurs spécialisés mais elle peut aussi se traduire dans l’opinion publique sur la manière dont les relations assureur-assuré sont perçues. Il peut paraître en effet réducteur de réduire le rôle de l’assureur à la seule hypothèse de réalisation d’un sinistre. On oublie sans doute un peu trop que la couverture d’un risque, qu’il porte sur sa personne ou sur ses biens, confère immédiatement un avantage à l’assuré et que c’est bien cet avantage qui justifie aussi le paiement des primes dont il ne faudrait plus dire qu’elles l’ont été pour rien en l’absence de sinistre. Ce n’est pas rien que de savoir qu’un risque est garanti, ce qui suppose bien entendu que chaque assuré puisse savoir précisément contre quel risque il est couvert.

Joël Monnet

04/02/2022

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