La révolution du Web3 : un nouvel Internet, pour qui, pourquoi ?

16/11/2023 - 5 min. de lecture

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Cet article est le fruit de la collaboration de deux experts qui sont régulièrement interrogés sur les opportunités concrètes des transformations digitales. Vincent Katchavenda est spécialiste du Web3 et éclaire régulièrement tant les spécialistes que les novices sur les subtilités de cette nouvelle ère du web. Kevin Dumoux est un praticien à la croisée de la stratégie d'entreprise et des innovations technologiques. Il conseille dirigeants et entreprises et intervient régulièrement dans des Grandes Écoles.

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Annoncé comme le "web décentralisé", le Web3 marque l'aube d'une nouvelle ère numérique, contrastant avec notre Internet actuel. À ses débuts (fin des années 90), le Web1.0 était constitué de sites Internet statiques, semblables à une bibliothèque silencieuse où vous pouviez simplement lire sans interagir. L'arrivée du Web2.0 (fin des années 2000) a bouleversé notre manière d'interagir en ligne. Cette époque, incarnée par des plateformes comme Facebook ou Wikipedia, était semblable à l'ouverture d'un grand centre commercial interactif où chacun pouvait non seulement parcourir, mais aussi contribuer, partager et collaborer. Cependant, malgré cette apparente liberté, nous ne sommes au final que des visiteurs dans ce centre commercial numérique où chaque magasin, couloirs et allées est possédé et surveillé par des géants du web. Alors que nous pouvons flâner, discuter et échanger, les règles, les interactions et même nos données sont (presque) toutes sous la coupe de ces grandes entreprises, qui analysent, régulent et monétisent notre présence.

Le Web3 transforme la dynamique : chaque visiteur reçoit une clé en entrant dans ce centre commercial. Cette clé ne vous donne pas seulement accès à tous les recoins, mais symbolise un droit de propriété et d'influence sur le centre lui-même. Le centre commercial ne devient pas seulement un lieu que vous fréquentez ; il se transforme en un espace que vous co-détenez et façonnez activement. En somme, vous devenez co-propriétaires d'une coopérative sans limite de taille, où chacun est artisan de ses contenus et de ceux des autres.

 

Décentralisation : plus qu'un simple mot à la mode

La décentralisation est au cœur de cette révolution. Dans l'univers du Web2.0, nos informations, souvent assimilées à l'or noir du 21ème siècle, résident dans des réservoirs détenus par d'importantes sociétés (les GAFAM en sont le fer de lance). Elles utilisent ces données pour des publicités sur mesure, orientent nos choix de consommation, et même parfois nos convictions politiques.

Avec le Web3, ces données vous appartiennent. Imaginez un réseau social où vous décidez exactement qui voit vos publications, sans algorithmes cachés décidant pour vous. Ou une plateforme de streaming musical où les artistes sont directement rémunérés par leurs auditeurs, sans intermédiaires captant une grande partie de la valeur générée. Le Web3 vous permet de reprendre le contrôle de vos données.  Imaginez un espace social où vous choisissez qui accède à vos contenus, sans algorithmes opaques. Mieux, vous pouvez créer vos propres algorithmes et les changer "à la volée".

 

Blockchain : le cœur battant du Web3

Le sous-jacent technologique à ces réalités est la blockchain. Plutôt qu'un registre centralisé de transactions ou de données sous la tutelle d'une seule entité, la blockchain fonctionne comme un grand livre partagé par des milliers d'acteurs. Toute tentative de manipulation ou de falsification est contrecarrée en temps réel par le réseau. Bien au-delà de sa fonction pour les cryptomonnaies, cette technologie peut être adaptée à presque toutes les formes de transactions ou d'accords. Conclure un bail ou un contrat professionnel via la blockchain est simple : une fois scellé, il devient inaltérable, transparent et vérifiable par tous, depuis partout et tout le temps.

La blockchain se positionne comme la prochaine étape logique dans l'évolution du stockage et de la transmission d'informations. Elle est perçue comme une solution potentielle aux contraintes actuelles de l’Internet. En effet, si l’Internet tel qu’on le connaît excelle dans la communication et la collaboration en ligne, il montre ses limites pour la réalisation de transactions et la gestion de relations commerciales sécurisées et transparente, tâches souvent confiées à des plateformes tierces, qui s’accaparent toute la valeur, au point de vouloir devenir monopoliste sur leur marché. C’est l’adage bien connu du "winner takes all" que les start-upper rêvent d’accomplir. La blockchain offre la possibilité à plusieurs parties de mener des transactions et de gérer des relations d'affaires de manière directe, sans l'intervention d'intermédiaires.

 

Des applications concrètes du Web3

De nombreuses applications basées sur cette technologie émergent. Citons-en deux :

  • Aragon, basé à Zug en Suisse, est une plateforme basée sur la blockchain qui permet de créer et de gérer des organisations décentralisées autonomes (ou DAO, pour "Decentralized Autonomous Organizations" en anglais). Ces DAO sont des entités qui fonctionnent grâce à des smart contracts sur la blockchain, sans nécessité d'intermédiaires. L'objectif d'Aragon est de rendre la création et la gestion d'organisations aussi facile et transparente que possible, tout en éliminant les points de défaillance centralisés et la bureaucratie. À ce jour, plus de 6000 organisations ont rejoint cette initiative, rassemblant plus de 300,000 membres qui gèrent collectivement plus de 13 milliards de dollars.
  • Kleros est une plateforme de résolution de litiges basée sur la blockchain Ethereum. Elle utilise un système d'arbitrage décentralisé pour résoudre des litiges dans un large éventail de domaines, tels que le commerce électronique, le contenu enfreignant les droits d'auteur, et d'autres types de contrats. Le système de Kleros repose sur des "jurés" qui sont sélectionnés au hasard pour examiner et trancher un litige. Ces jurés sont incités par des récompenses en tokens (pièces numériques) pour rendre des décisions justes et équilibrées. L'idée est d'utiliser la sagesse de la foule et les incitations économiques pour assurer une résolution rapide et équitable des litiges sans avoir recours à des systèmes judiciaires traditionnels, souvent lents et coûteux. À ce jour plus de 700 jurés sonts actifs et ont résolus plus de 1600 litiges.

 

Défis et avenir du Web3

Le Web3, bien que prometteur, est confronté à plusieurs défis. Sa nouveauté et sa complexité technique limitent le nombre de développeurs capables de l'exploiter pleinement. En outre, son cadre réglementaire reste indéfini, suscitant des interrogations et des préoccupations écologiques, notamment liées à des systèmes comme celui de Bitcoin. Par ailleurs, des institutions influentes pourraient percevoir le Web3 comme une menace, freinant ainsi son adoption.

Un autre frein à son adoption massive réside dans la perception de ses applications. L'engouement autour de Bitcoin et d'autres crypto-monnaies de ces dernières années a mis en avant une tendance à privilégier la spéculations financières de la blockchain, occultant d'autres usages plus transformateurs à notre sens.

 

Conclusion

Le Web3 ne se résume pas à une tendance éphémère. Il promet de bouleverser notre expérience numérique. Plus qu'une avancée technologique, il incarne une vision où la souveraineté individuelle et la confiance décentralisée prévalent sur les monopoles. Ces attentes soulèvent des questions sur les visions et ambitions des consommateurs et citoyens du 21ème siècle.

Malgré les incertitudes inhérentes à toute innovation, son potentiel est indéniable. Seul l'avenir dira s'il inaugure une nouvelle ère ou s'il restera une note marginale dans l'histoire du  web…

Kevin Dumoux et Vincent Katchavenda

16/11/2023

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